Année des médias 2012
Concours-marathons pour développeurs, cellules innovation, partenariats avec des start-up, voire création d’un incubateur… Les médias traditionnels rivalisent de recettes pour «aspirer» l’innovation.

Les 28 et 29 novembre, les claviers cliquetaient dans les locaux du Nouvel Observateur. Sept équipes de journalistes, développeurs et webdesigners de France 24, Libération, Owni (aujourd'hui en graves difficultés financières), Play Bac Presse, Citizen Side et bien sûr du Nouvel Obs se sont affrontées à coups de lignes de codes. Le but: proposer des applications alliant médias sociaux et photos. Bienvenue dans les «hackathons» («hacking» + marathon), que commencent prudemment à tester les médias traditionnels.

Alors que les Facebook, Deezer et autres Criteo sont déjà familiers de ces hackathons, les médias s'approprient des pratiques issue de l'univers des start-up. Leur objectif est d'aspirer l'innovation et découvrir de nouvelles idées. En somme, faire de la recherche et développement (R&D) par procuration. Le tout sans trop dépenser, restrictions budgétaires obligent. Un nouvel enjeu qui s'est confirmé en 2012: comment innover, anticiper les tendances futures de consommation des médias, alors que les nouveaux formats fourmillent (webdocumentaires, transmédia, etc.), tout comme les nouveaux canaux, de la télévision connectée au téléphone mobile?

En octobre 2012, France Télévisions s'est lancé dans l'aventure en coorganisant un hackathon pendant 40 heures en partenariat avec la start-up Joshfire (cf. Stratégies n°1696 du 25 octobre 2012). Pour le groupe public, il s'agit d'un outil de communication interne et externe, mais aussi d'une manière de repérer des talents. «Nous avons recruté un des participants», précise Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions. 

L'enjeu sous-jacent? Que ces médias acceptent de s'ouvrir davantage aux développeurs extérieurs. Et qu'ils leur ouvrent leurs interfaces de programmation, les API («Application Programming Interface»), afin de concevoir de nouveaux services pour leurs sites. Ainsi, lemonde.fr va ouvrir son API «au grand public au 1er semestre 2013», annonçait Morgiane Achache, chef de projet digital du site, lors d'une conférence sur l'«APIsation des médias» organisée par le Social Media Week, le 3 décembre. L'objectif étant de créer de nouvelles prestations, y compris avec des marques. «Nous avons des partenariats marketing à venir. Déjà, l'un d'eux a été monté avec la société de jeux-concours Qualifio», annonçait-elle.

De même, Rue 89 ouvre son API en interne pour développer des applications mobiles. Le groupe Express-Roularta prévoit aussi une «ouverture semi-publique» de ses API en 2013, et dans la foulée «l'organisation d'un hackathon, pour lequel nous ouvrirons notre API mobile en local», annonçait Raphaël Labbé, son directeur de l'innovation, lors de cette même conférence.

Autre enjeu récent, collaborer de près avec des start-up. «On voit s'esquisser un écosystème de start-up autour de la “social TV”, qui travaillent régulièrement avec nous», explique Eric Scherer.  C'est le cas pour Mesagraph, spécialisée dans la mesure d'audience de la social TV, qui travaille avec France Télévisions et Canal+. L'entreprise a fourni ses données aux premiers Social Media Awards, récompenses organisées par NPA Conseil (dont Stratégies est partenaire) le 17 décembre dernier.

Externalisation

Plusieurs des innovations dévoilées par France Télévisions lors des conférences Le Web 12 Paris, mi-décembre, ont été élaborées avec des start-up: les minirobots connectés en Wi-Fi avec Readyimate, la connexion Li-Fi (Light Fidelity) via des ampoules LED, avec Oledcomm…

Autres exemples: TF1 a adopté cette année l'innovation de Shazam pour implémenter son outil sur certains spots TV, Reporters sans frontières a conçu le verrouillage de son site «We fight censorship» après un hackathon en juillet, l'AFP a développé cette année Earth News, un «mashup» [combinaison de plusieurs sources d'information] géographique géolocalisé, qui permet de visualiser de informations sur une carte mondiale. Public visé: les lieux d'attente, tels les aéroports. Ou encore le projet Glocal, qui permet de visualiser des événements sous forme de «timeline» chronologique, expliquait Denis Seyssou, responsable éditorial de la structure MediaLab R&D à l'AFP, lors des Entretiens du webjournalisme, à Metz, le 29 novembre dernier. Quant au groupe Express-Roularta, il travaille par exemple avec Exacus, spécialisée dans l'analyse de data [données], et Semio, à l'origine d'un logiciel de référencement naturel.

L'enjeu est bien là: externaliser en bonne partie cette R&D naissante. A l'avenir, peut-être que les médias traditionnels s'aggloméreront davantage à des «pure players» pouvant leur apporter ces compétences. «On verra peut-être des entreprises de presse avec autour d'elles une galaxie de start-up et de pure players, qui ont des compétences complémentaires. Comme Rue 89 et Le Plus, qui sont dans la galaxie du Nouvel Obs. Owni aurait aussi pu apporter ses compétences en “data journalism” à un groupe média», souligne Jean-Marie Charon, sociologue des médias.

Formations pour journalistes

A terme, les médias pourraient-ils s'improviser incubateurs de start-up? Ces derniers commencent à proliférer outre-Atlantique (voir encadré). En France, le groupe Express-Roularta a lancé le sien en septembre, L'Express Ventures. Il associe Corinne Denis, directrice générale adjointe du groupe et directrice multimédia France et Belgique, aux Net-entrepreneurs Stéphane Boukris, Simon Istolainen, Eric Bennephtali et Laurent Schwartz, fondateur du site de vente et achat d'or Gold.fr. Les premières start-up sélectionnées? Le groupe ne communique leurs noms et le mystère reste entier.

Plusieurs médias se sont dotés de directions de l'innovation. Mécaniquement, les journalistes devront acquérir de nouvelles compétences. Les écoles de journalisme commençent à dispenser des cours sur le journalisme de données ou sur le code informatique, comme à l'Ecole de journalisme de Sciences-Po. Outre-Atlantique, certaines écoles proposent à des journalistes des formations sur l'innovation média. Marie-Catherine Beuth, journaliste au Figaro, a ainsi décroché une bourse auprès de la Fondation Knight pour suivre durant un an des cours à Stanford sur le sujet.

Prochain enjeu, rentabiliser ces innovations. TF1 a envisagé puis renoncé à organiser un hackathon, notamment parce qu'«on est d'abord un média. Sur Internet, on peut appliquer immédiatement l'innovation, mais pas en production télé, où les coûts sont élevés», estime Gilles Maugars, directeur général adjoint aux technologies chez TF1.

 

 

Encadré

Incubateurs et «accélérateurs» aux Etats-Unis

La pratique commence à s'imposer outre-Atlantique. Dernier-né, l'accélérateur de start-up Media Matter, lancé lundi 3 décembre à San Francisco par l'entrepreneur Corey Ford. Il incubera des jeunes pousses durant quatre mois et mettra 2,5 millions de dollars pour ce faire, en échange d'une prise de participation. En janvier, Philadelphia Media Network, éditeur de The Inquirer, ouvrait son incubateur, Project Liberty. Début juin, comme le révélait Techcrunch, repris par Le Figaro, le groupe audiovisuel américain Turner Broadcasting, maison mère de la chaîne CNN, a ainsi son incubateur de start-up, appelé Media Camp. En octobre, The Irish Times se lançait aussi, incubant cinq start-up pour huit semaines, avec pour condition que les produits développés soient utilisés par les équipes du journal. Les médias-incubateurs sont donc loin d'être perdants.

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