Année des médias 2012
«Hollande bashing», unes décomplexées sur l'islam ou l'immigration… les news magazines ont tout fait pour attirer le lecteur. Quitte à déranger ou à flirter avec la provocation gratuite.

Selon Maurice Szafran, le patron de Marianne, il y a eu pour les news magazines un avant et un après Mohammed Merah. Le mercredi 21 mars, L'Express est en effet le premier hebdomadaire à sortir la semaine de l'assaut du Raid, l'unité d'élite de la police. Bouclant le mardi, il n'a pas pu faire sa une sur le tueur de Toulouse. Antisémitisme, islamisme, banlieues, immigration…, ces thèmes suscitent traditionnellement une forte demande d'approfondissement et sont pour les news l'assurance de ventes importantes.

Or, desservi par son calendrier, L'Express, qui ne traite pas de l'événement (il titre sur les programmes des candidats à la présidentielle) est le seul hebdomadaire d'actualité qui se vend bien. «Il y a eu un crash total des news sur l'affaire Merah, qui s'est arrêtée net le 22 mars à la mort du tueur, confie Maurice Szafran. Avec le Net, les chaînes d'information continue, les quotidiens, la consommation d'informations a changé. Il y a une complète redéfinition de la fonction du news.»

Faut-il situer à ce moment tragique le tournant des unes de magazines en 2012 ? Le patron de Marianne n'est pas loin de le penser. Car, ce jour-là, démonstration a été faite qu'il fallait jouer une autre musique, et si possible avec de grosses percussions, pour se faire entendre de l'acheteur en kiosques. «On fait globalement des journaux trop ennuyeux, trop doctoraux, trop chiants», résume Maurice Szafran, qui juge «ridicule» le procès fait aux news magazines de multiplier les unes décomplexées pour mieux se vendre. «Le Point fait des unes décomplexées depuis dix ans, lâche-t-il. La seule nouveauté, c'est L'Express, qui est devenu un vrai hebdo de combat politique contre Hollande. Comme par hasard, on en parle à nouveau dans les revues de presse et il revient dans le débat politique.»

«Comment attraper le chaland ?», telle semble être l'obsession des news magazines, selon Renaud Dély, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, en cette année où «le marché est évidemment et durablement plus difficile» en raison notamment des ventes atones que suscitent les «marronniers», comme le salaire des cadres, les francs-maçons ou encore le mal de dos.

Hollande secoue… les ventes

Avec son «Fini de rire» montrant François Hollande regardant sa montre à l'envers, le ton est donné par Le Point dès l'entre-deux tours de la présidentielle. Suivent «Oh, j'avais oublié de vous dire», «On arrête avec les bêtises» ou «On se réveille», avec un sens parodique inspiré de la culture LOL propre... aux pastiches de unes sur Internet. En août, le titre réalise son record de vente avec son numéro double «La France danse sur un volcan» (120 000 exemplaires). Marianne («Hollande, secoue-toi, il y a le feu»), L'Express («Les cocus de Hollande»), Le Nouvel Observateur («Sont-ils si nuls?») ne tardent pas à lui emboîter le pas. Après le «Sarkozy bashing», voici le temps du «Hollande bashing», écrit Franz-Olivier Giesbert (FOG), le patron du Point, le 5 septembre.
«Il y a aujourd'hui une nouvelle façon de titrer des news magazines, plus radicale et dans laquelle il y a une dose d'humour qui crée de la distance et dédramatise les sujets traités», estime Guillaume Roquette, directeur de la rédaction du Figaro magazine, qui se refuse pour sa part aux «titres éditoriaux». «Comme nous sommes vendus au sein d'un pack week-end, précise-t-il, nous devons être un magazine plus rassembleur, moins clivant que les news magazines, qui sont obligés d'être plus percutants pour se vendre en kiosques.»

«Le journalisme cul-cul n'est pas notre tasse de thé, lance FOG, mais nous n'avons pas fait de “Hollande bashing”. Nous n'avons pas mené de campagne contre lui. Nous l'avons questionné, il n'y a qu'à regarder le nombre incalculable de questions que nous avons mises en une. D'ailleurs, quand il a entamé le virage que nous souhaitions, lors de sa conférence de presse du 13 novembre, nous avons arrêté.»

Le virage de la compétitivité, né du rapport Gallois, est aussi ce qui aurait motivé L'Express dans sa volonté d'arrêter les frais après avoir enregistré 10 à 15% de ventes en plus en faisant la couverture sur le chef de l'Etat (72 000 à 75 000 exemplaires en kiosques et même 90 000 avec le numéro titré «Et si Sarkozy avait eu raison»). «La réalité de Hollande entre juillet et novembre est désastreuse, il tape à côté, relève Christophe Barbier, directeur de la rédaction. Avec le rapport Gallois et le pacte de compétitivité, on est davantage en adéquation et il n'y a plus de unes agressives.»

Pour combien de temps? Auparavant, L'Express avait suscité la polémique en titrant «Ses femmes qui lui gâchent la vie», évoquant pêle-mêle Angela Merkel, Ségolène Royal, Martine Aubry et Valérie Trierweiler. «Vis-à-vis des femmes qui l'entouraient, il avait l'air de fuir, se défend Christophe Barbier. Il avait fait demi-tour quand il avait croisé quelques jours plus tôt Ségolène Royal à New York. Et on cherche à voir comment la vie privée influe sur la vie publique.» Pour le directeur de L'Express, Twitter a joué un grand rôle dans la mobilisation des mouvements féministes sur les réseaux sociaux.

Décalage entre pays réel et vision du magazine

Avec leurs couvertures sur «L'islam sans gêne» ou «Le vrai coût de l'immigration» montrant une femme en niquab face à une CRS ou devant un bureau d'allocations familiales, Le Point et L'Express ont-ils passé les bornes ? Sur Le Plus du Nouvel Obs, l'essayiste Pascal Boniface et le rappeur Médine dénoncent un «racolage public»: «Le résultat est catastrophique pour la société française. Il accroît les peurs réciproques, crée un cercle vicieux qui conduit de la méconnaissance à l'incompréhension, puis à la haine.» Renaud Dély, du Nouvel Obs, met en garde contre un risque: «Jusqu'où ne pas aller trop loin? Comment faire un couverture attrayante, commercialement vendeuse, sans abimer les valeurs et l'image du journal? Les tensions accrues dans le débat public qui se traduisent par une radicalisation d'une frange de la droite peuvent inciter à faire des unes plus tranchantes. Dans un climat politique violent sur la question des mœurs, du mariage gay ou de la place de l'islam, les news sont tentés de mettre de l'huile sur le feu.»

Guillaume Roquette, du Fig mag, voit dans ces unes en forme de coups de canon «une sorte de surenchère, un emballement dans la titraille», mais assure: «C'est une mode qui passera, car les gens vont se lasser, ils vont finir par se boucher les oreilles.» Surtout si, comme c'est le cas avec L'Express, la une ne reflète pas vraiment le contenu d'un dossier expliquant que l'immigration rapporte à la France. Cela a valu à Christophe Barbier une protestation de la société des journalistes du titre. «C'est normal qu'elle réagisse, rétorque l'intéressé, l'interrogation à la une était violente, la réponse beaucoup plus rassurante. La couverture a suscité un émoi, mais c'est sur l'intérieur du journal que nous avons reçu des courriers. Cela montre un décalage entre le pays réel et notre vision à nous, bien modérée. A force de nous cacher les yeux et de croire que les gens pensent comme nous, on les laisse dériver. Allons les chercher, mettons un hameçon à la une et montrons-leur que la polémique sur l'immigration correspond à un fantasme inavoué et faux.» Pour lui, le temps des couvertures gentillettes est révolu: les news doivent être beaucoup plus agressifs pour être vus sur les devantures des kiosques.
«C'est le principe des unes de faire de la provocation, assume Franz-Olivier Giesbert, du Point. S'il faut passer par les policiers du politiquement correct, on ne fait plus de unes.» Soit, mais l'histoire de Marianne, qui a perdu 11% de sa diffusion payée depuis 2008, peut inciter à la prudence: le titre réalise ses meilleures ventes avec des unes politiques, mais ses couvertures chocs ne font plus mouche à coup sûr. Comme quoi, les magazines trop souvent véhéments finissent aussi par lasser…

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