A la fin de la semaine, Marie-Christine Saragosse, PDG de l'Audiovisuel extérieur de la France (RFI, France 24, Monte-Carlo Doualiya), engage des négociations avec le gouvernement pour son futur contrat d'objectifs et de moyen. Objectif: en finir avant l'été, et si possible au mois de mai. Dans un entretien à Stratégies, elle reconnaît avoir "fait budgéter 2 millions d'euros d'économies sur les coûts de structure, donc sur le train de vie".

Le week-end prochain, l'intégralité des rédactions de RFI aura déménagé à Issy-les Moulineaux, aux côtés de France 24. Comment avez-vous fait, alors que les syndicats y étaient hostiles?

M.-C. Saragosse: Il y avait une peur de perdre son identité. J'ai écouté les inquiétudes ou les réticences des élus de l'entreprise et remis les médias et les ambitions éditoriales au centre. Cela a permis de remettre le déménagement à sa juste place.

 

La Cour des comptes estime que l'AEF a connu une «grave dérive financière» et que sa réforme a abouti à des surcoûts massifs qui ont nécessité des crédits de 100 millions d'euros entre 2009 et 2010. Que répondez-vous?

M.-C.S.: J'ai dit que la politique consistant à piloter l'AEF par une approche purement budgétaire de réduction des coûts, avec des calendriers mal maîtrisés, avait atteint ses limites. Le fait que l'AEF ait bénéficié de dotations exceptionnelles importantes pour financer des plans sociaux et le déménagement ne doit pas occulter le fait que nous ne représentons que moins de 9% du budget de l'audiovisuel public. Avec 313,7 millions d'euros de budget en comptant les 75 millions d'euros de TV5, nous pesons 100 millions de moins que BBC International, la moitié d'Al-Jazira ou CNN. Et la Deutsche Welle dispose de 270 millions d'euros, quand notre dotation, en baisse de 5,5% par rapport à 2011, est de 238,7 millions, hors TV5. Il n'y a pas de dépenses superfétatoires, et j'ai fait budgéter 2 millions d'euros d'économies sur les frais de structure, donc sur le train de vie. Il faut que nos ressources aillent soit aux contenus soit à la distribution mondiale. Nous devons avec l'Etat réfléchir à la façon de nous doter de ressources dynamiques, après une baisse de 14 millions d'euros par rapport à 2011. Je rappelle que nos effectifs permanents ont fondu de 22% en trois ans. Si on pense que la France a quelque chose à dire dans le monde sur le plan audiovisuel, il faut stabiliser tout cela. Les salariés doivent pouvoir se concentrer sur leur cœur de métier et être dans une certaine sérénité quant à leur avenir.

 

En période de contrainte budgétaire, est-il difficile de réaliser des économies à l'AEF?

M.-C.S.: Dans une radio et chaîne d'information continue, les contenus ont un lien très étroit avec les salaires, et cette structure de coûts évolue. Il faut donc des recettes croissantes dans un marché international où les recettes propres ne sont pas d'un accès facile. Avec nos recettes commerciales et de distribution, nous arrivons à 248 millions d'euros. Nous avons budgété 3 millions d'euros de publicité pour France 24 alors que le minimum garanti de France Télévisions Publicité s'arrête en 2013. Les bases budgétaires, par rapport à une trajectoire antérieure où il s'agissait de fusionner les rédactions, doivent changer.


Vous souhaitez développer la diffusion de France 24 et de RFI en France. Où en êtes-vous?

M.-C.S.: Nous sommes toujours en discussion avec France Télévisions et Numéro 23. J'ai renégocié avec cette dernière que 50% de la recette publicitaire qui serait faite pendant la tranche horaire où nous serions diffusée serait reversée à France 24. Les pouvoirs publics ont souhaité qu'il y ait d'abord une étude de faisabilité sur France Télévisions, par exemple France O. Nous avons fait une demande de fréquence temporaire à Marseille pour RFI et MCD. Il serait logique aussi que RFI soit captée en FM sur Strasbourg, qui est tournée vers l'Europe.

 

Vous prévoyez aussi de doubler en trois ans la fréquentation sur les nouveaux médias de RFI et France 24.

M.-C.S: Nous avons réalisé en janvier un record de 25 millions de visites. Face à 13 milliards de téléchargements d'application, pour exister sur les nouveaux médias, il faut encore plus de marketing que pour les médias traditionnels. Nous voulons reprendre la main avec un nouveau site Monte-Carlo Doualiya en avril. Suivront RFI et France 24 avant l'été. Nous confortons aussi notre organisation en direction des réseaux sociaux.

 

 
Votre prédécesseur ne jurait que par les leaders d'opinion pour France 24. Est-ce votre cas? Vous dites qu'il faut casser les parallélismes entre chaque antenne...

M.-C. S.: Le public ne se laisse pas cibler ainsi. France 24 en zone arabophone ou francophone, cela va au-delà des leaders d'opinion. Ailleurs, c'est plus difficile de toucher le grand public pour des raisons linguistiques. J'ai dit en effet qu'il fallait se libérer du carcan du parallélisme trop étroit entre les antennes en français, en anglais et en arabe. Elles n'ont pas les mêmes fuseaux horaires, pas les mêmes matinales, pas les mêmes publics cibles. Il faut donc temporaliser les grilles. De plus, on ne dit pas la même chose d'un univers linguistique à l'autre. Dans l'affaire DSK, les pays anglophones n'ont pas besoin d'explication sur le droit anglo-saxon. Il n'en va de même pour la laïcité ou la crise à l'UMP. L'effort de pédagogie n'est pas le même dans les trois langues.

 

Revendiquez-vous toujours le slogan de TV5, détourné de Pascal, «le centre du monde est partout»?

M.-C. S.: Oui, c'est le signe de l'altérité et cela fait partie de notre culture. Mais je crois que ce qu'il se passe en France, ses grands débats, ses évolutions intéressent le monde entier. Pour les gens qui nous écoutent, nous parlons depuis Paris. Au-delà du regard français sur les grands événements mondiaux, il y a une attente pour la France en tant que sujet.

 

Le rôle de l'AEF est-il d'être une vitrine de la France?

M.-C. S.: Je ne sais pas si c'est le bon mot, mais rendre compte de ce qui se passe en France fait partie de nos missions, et cela n'a rien d'exclusif. Monte-Carlo Doualiya veut créer une émission sur Paris et une autre qui serait un tour de France. Concernant RFI, il y a des choses qu'on pourrait réutiliser sur l'antenne francilienne pour l'ensemble de la planète. Pour France 24, il s'agit de faire davantage battre le cœur de Paris. Il en va de même pour l'Europe, qui doit être disséminée dans tous nos sujets. Nous sommes Européens, et il s'agit de rendre cette Europe davantage familière. Nous avons créé en ce sens une nouvelle émission sur France 24: «l'Europe dans tous ses Etats», où nous irons dans un pays des 27 guidés par deux députés du parlement européen. Enfin, nous avons des savoir-faire économiques qu'il nous faut mettre en évidence.

 

L'AEF tourne-t-elle dos aux synergies?

M.-C.S.: Il y a une très forte adhésion au média qui émanent d'une rédaction donnée, mais cela n'empêche pas que si l'on a un scoop, on le partage ou l'on mutualise les contenus. RFI et France 24 ont fait un travail remarquable et coordonné sur le Mali. Je préfère le mot partage. Les synergies sont souvent vues comme des économies ou une absorption d'un média par l'autre.

 

A propos du Mali, considérez-vous que vos rédactions ont pu travailler correctement sur le terrain? Reporters sans frontières s'est plaint que le journalistes étaient tenus à l'écart des zones de combat...

M.-C. S.: Cela n'est pas remonté jusqu'à moi. Là où nous avons eu des décisions déontologiques à prendre, c'est plutôt en Algérie. Nous avons été appelé par un otage français [qui a été tué ndlr] sur le téléphone portable d'un terroriste. Nous avons pris la décision de ne pas diffuser l'intégralité de ce qu'il nous disait pour préserver sa dignité et sa liberté de parole qui n'était pas garantie puisqu'il agissait sous la contrainte. Nous avons refusé de vendre ce témoignage pour n'en garder que quinze secondes. De même, lorsqu'un terroriste a appelé France 24 pour faire une déclaration en arabe, on a refusé de le diffuser tel quel. On a préféré taper un texte avec ces propos pour en garder la maîtrise. Cela fait partie de nos règles des quatre R. R comme rigueur car nous refusons d'être instrumentalisés. Les autres R sont la réactivité et le recul pour éviter l'amnésie collective. Ce dernier point passe par des écritures différentes, entre le grand reportage et le documentaire. C'est pourquoi nous avons mis en place un pôle images au sein de France 24 pour développer des contenus spécifiques, quitte à jouer la carte de la coproduction. Il s'agit d'être référent, comme nous y invite notre dernier R.


Ou en êtes-vous de la concurrence sur la distribution avec TV5 Monde?

M.-C. S.: A nous de nous organiser pour ne pas être mis en concurrence par des distributeurs. Il est très important d'avoir un travail commun avec TV5 Monde sur la distribution. Un des axes écrit dans notre plan, c'est d'avoir des accords avec TV5 Monde présent à Hongkong, Los Angeles et Panama et de lui donner mandat pour nos médias. On peut imaginer aussi de la promotion croisées des langues sur RFI et TV5. On aurait tort de dépenser son énergie dans des logiques de pouvoir et de territoire: le marché mondial ne nous attend pas nécessairement. La France est plus entendue que son poids économique ou démographique ne le laisse penser.

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