Cinéma
Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, Eric Garandeau, président du Centre national du cinéma et de l'image animée, met en garde contre les prélèvements de l'Etat sur son budget.

Est-on dans une crise de financement du cinéma?

Eric Garandeau. Non, la position du cinéma s'est plutôt renforcée au fil des années par rapport aux autres pays européens. Entre 2009 et 2011, la fréquentation à été supérieure à 200 millions d'entrées. Un sommet historique! Même l'année 2012, avec 203 millions d'entrées et un parc de 5 464 salles numérisé à 95%, reste très favorable malgré un dernier trimestre en décélération assez forte. C'est encore le cas au premier trimestre, avec une part de marché des films français en baisse. En janvier-mars, on est à -5,7% avec une part de marché nationale à 40,4%, contre 48,1% un an auparavant ou l'on ressentait encore l'effet Intouchables. De grosses sorties ont lieu en avril comme L'Ecume des jours ou Iron Man 3 et le festival de Cannes après mai induit traditionnellement une accélération de la fréquentation. Il n'y a donc pas lieu d'être inquiet car il s'agit d'un marché cyclique, mais il faut rester vigilant. Plus on va au cinéma, plus on voit les bandes-annonces, plus on a envie d'y aller.

 

Les chaînes de télévision sont-elles de moindres contributrices à ce financement ?

E.G. Les investissements globaux dans la production cinématographique ont baissé de 3,4% en 2012. La part venant des chaînes de télévision est en recul de 5,6%. Il s'agit surtout d'une baisse de la contribution des chaînes en clair, liée à des recettes publicitaires qui se portent mal depuis un an, avec des prévisions entre -5 et -10% en 2013, du fait de la dépression générale et de la rivalité TF1-M6 sur les prix. Le plan d'économies de France Télévisions aura aussi un impact sur la création. Comme les chaînes investissent en fonction d'obligations assises sur leur chiffre d'affaires (3,2% dont 2,5% pour la production d'œuvres d'expression française), cela se répercute mécaniquement sur les financements de films. De leur côté, les chaînes payantes ont tendance à conserver leurs abonnés. C'est le cas pour Canal+ et pour Orange Cinéma Séries, qui atteint le million d'abonnés.

 

Y a-t-il une cagnotte du CNC en 2013 ?

E.G. Il n'y a pas de cagnotte, puisque toutes nos dépenses sont soit investies, soit provisionnées, soit mises en réserve pour le numérique. Près de 50 millions ont déjà été prélevés sur le CNC par l'Etat en 2012 et 150 millions le seront en 2013. Le gonflement du compte de soutien était lié à la progression des offres triple play (autrefois à taux de TVA réduit), et à l'explosion du mobile. Mais cette période faste est derrière nous. Ces prélèvements doivent donc cesser, sans quoi notre plan numérique sera remis en cause, tout comme notre capacité à accompagner le développement de la production des programmes pour les nouvelles chaînes TV et les sites Internet. Il n'y a pas de substitut au CNC: il faut qu'on maintienne le ratio entre le volume du compte de soutien et le volume de l'économie audiovisuelle globale, qui a quadruplé en vingt ans pour atteindre 10 milliards d'euros. Attention à ne pas aller trop loin dans la mise à contribution car sinon, on crée un effet de levier négatif sur la production et sur l'emploi. Nous sommes déjà obligés de restreindre nos soutiens au documentaire car l'argent est de plus en plus rare, alors que la production explose.

 

Quel est le degré de dépendance aux chaînes tv ?

E.G. C'est toujours compliqué de boucler un budget sans une chaîne payante. S'il y a de plus en plus de chaînes, très peu d'entre elles dépassent le seuil à partir duquel les obligations se concrétisent. Avec 30% de l'audience, les chaînes non historiques n'investissent que 0,3% de l'ensemble des devis. Un tel fractionnement nuit au financement des films. Et 34% des films d'initiative française se produisent sans aucune chaîne de télévision. Cela crée des tensions sur les autres mécanismes de financement comme les Sofica, ces mécanismes d'investissement privés reposant sur une aide fiscale qui se réduit d'année en année. Pour la première fois, elles n'ont pas réussi à collecter les 63 millions d'euros autorisés par Bercy. Avec 1,5 million d'euros en moins, c'est un signal d'alerte.

Par ailleurs, les chaînes privées historiques n'investissent plus dans aucun film à moins de 5 millions d'euros et concentrent leurs investissements dans des productions à plus de 15 millions. Heureusement qu'il y a le service public! Notamment Arte qui couvre tout l'éventail des budgets, et évidemment France Télévisions qui réalise la moitié de ses investissements dans des films à moins de 7 millions d'euros. Le devis moyen des films financés est de 13 millions d'euros à TF1, de 15,6 millions à M6, de 10 millions à France 2 et 6,7 millions d'euros à France 3. Globalement on assiste à un retour de la bipolarisation entre petits et grands budgets. A noter aussi que l'économie du court métrage à tendance à se transposer dans le long métrage grâce au numérique, qui permet de tourner des films à un 1 million d'euros, donc la baisse des coûts n'est pas toujours signe d'appauvrissement.

 

 

Considérez-vous que la polémique sur les salaires des stars était justifiée ?

E.G. Pour nous il n'y a pas de dérives massives dans les rémunérations des artistes-interprètes. Entre 2006 et 2012, elles sont même passées de 11,6% à 10,9%, dont 6,8% pour les rôles principaux contre 8,6% six ans plus tôt. En revanche, c'est vrai que sur des films familiaux comme Les Seigneurs ou Astérix, il y a eu inflation budgétaire et les résultats n'ont pas été au rendez-vous. Mais c'est un peu l'arbre qui cache la forêt, et le résultat d'un mauvais pari: limiter le risque en prenant des talents et des histoires connues qui ont déjà fait leurs preuves, on sait bien que c'est le meilleur moyen de se planter... Peut-être aussi qu'il y a un manque de créativité et de renouvellement dans les scénarios. L'augmentation des droits artistiques traduit l'augmentation des adaptations de livres à l'écran. Ils sont passés de 7,5% en 2003 à 9,5% en 2012. Toutefois les fondamentaux de notre économie restent sains: 33 films français ont fait plus de 500000 entrées en 2012.

 

 

Quel pourrait-être l'impact de l'extension de la convention collective des techniciens du cinéma ?

E.G. Si certaines clauses n'étaient pas réaménagées, cette extension pourrait susciter des difficultés importantes pour une partie de la production. On sait que 800 jours de tournage sont partis à l'étranger en 2012: c'est à la fois parce que notre production est un peu chère et parce que des pays voisins comme la Belgique ou le Luxembourg ont créés des mécanismes d'attraction fiscale très performants. La modification des crédits d'impôts en 2012 visait à rétablir la compétitivité de la France, pas à compenser des surcoûts supplémentaires!

 

Etes-vous favorable à la publicité pour le cinéma à la télévision ?

E.G. Je n'ai pas de position de principe. S'il devait y avoir une modification, il faudrait nécessairement un mécanisme qui assure des conditions tarifaires préférentielles pour la production indépendante, en discriminant sur la taille des budgets par exemple, afin de ne pas avoir une concentration des investissements sur les seuls blockbusters américains, ce qui nuirait à la part de marché des films français - elle n'est que de 20% dans la vidéo où la publicité est autorisée - on risquerait aussi d'accentuer l'inflation des coûts de distribution alors qu'ils ont déjà tendance à augmenter.

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