Point commun entre les deux lauréats du Prix Albert-Londres 2013: ils nous disent quelque chose du monde et montre l'utilité du journalisme.

Un grand reportage pour quoi faire? À l'heure où les rédactions sont souvent tenues de justifier leurs frais, le Prix Albert-Londres, décerné le 10 mai à Montréal, vient rappeler que ce qui fait la quintessence du journalisme, l'enquête et le reportage, n'est pas sans valeur dans une société en crise. Primé pour Colombie, à balles réelles, Roméo Langlois, le journaliste intégré par France 24 après 33 jours de détention entre les mains des Farc, raconte volontiers que son film non diffusé par les télévisions colombiennes et qui relate le fiasco d'une opération héliportée de l'armée jusqu'à son enlèvement, a été «très vu sur les réseaux sociaux».

Mieux, il a contribué à ouvrir un débat en Amérique latine sur le bien-fondé de la lutte antidrogue: plus on cherche à détruire les laboratoires clandestins de cocaïne - qui financent la guérilla marxiste -, plus on fait monter les prix et plus on entraîne la Colombie dans un cycle de violences, estime-t-il. Le journaliste de 36 ans ne s'est pas privé de dire aux médias colombiens ce qu'il pensait de cette situation. Et depuis sa libération, le gouvernement a commencé à négocier un processus de paix avec les Farc. «J'ai bon espoir qu'il aboutisse», confie-t-il.

Roméo Langlois a aussi contribué à faire connaître France 24 en Colombie et dans d'autres pays sud-américains, alors même que sa PDG Marie-Christine Saragosse rêve de lancer une version en espagnole de la chaîne. Auparavant, à la mi-juin 2012, il avait pu diffuser dans trois langues sur sa chaîne son reportage de 26 minutes - le double du format habituel. Plans-séquences, absence de musique, minimum de coupes... Le journaliste ne se met pas en scène: il s'efface derrière son récit.

 

L'immigration, des histoires humaines

L'autre lauréate, Doan Bui, 38 ans, récompensée pour son article paru dans le Nouvel Observateur, «Les fantômes du fleuve», salue également la liberté que lui a laissée son journal de réaliser pendant onze jours un reportage sur un sujet qui n'est pas dicté par l'actualité. Il s'agit pour elle de raconter l'histoire de «ces fantômes anonymes qui ont souvent imaginé une vie meilleure et dont les rêves se sont fracassés aux portes de l'Europe».

Dans son article, elle part sur les traces des cadavres retrouvés dans le fleuve Evros, entre la Turquie et la Grèce, et ouvre, elle aussi, un débat. A quel prix l'espace Schengen doit-il se protéger de l'immigration illégale? C'est en entendant un ministre grec vanter la construction d'un mur et Arno Klarsfled, alors président de l'Office français de l'intégration, apporter son soutien à ce projet que la journaliste a eu l'idée de traiter de ce sujet. «La problématique de l'immigration, ce sont souvent des chiffres, des statistiques, des flux. Ce qui m'intéressait derrière ces grands mots, ce sont les histoires humaines», dit-elle.

La journaliste d'origine vietnamienne, dont le père ne parlait pas français, est elle-même enfant d'immigrés. Ses parents sont arrivés en France quelques années avant la chute de Saigon. Il lui a fallu prouver qu'elle était française auprès des services administratifs de Nantes: «Mes parents n'existaient pas», sourit-elle.

Porter la plume dans la plaie? À Montréal, un scandale national éclabousse la ville de Laval, troisième ville du Québec. Le maire y est accusé de gangstérisme et 36 autres suspects ont été arrêtés. Les journaux La Presse et Le Devoir comme Radio Canada n'ont eu de cesse d'exercer une pression sur la police et la justice en alertant l'opinion publique sur ces faits graves de corruption. Le Québec, «province la plus corrompue», comme le titre la presse anglophone? «Pays où il y a les meilleurs journalistes d'enquête», rétorque-t-on à Montréal. Des enquêtes au service des enquêteurs en somme.

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