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La 25e édition du festival Visa pour l'Image s'est tenue à Perpignan sur fond de guerre en Syrie et de crise de la profession.

Le regard a la transparence des ruisseaux qu'il aime à photographier, dans la campagne du Somerset. Mais le noir et blanc des clichés de Don McCullin, 78 ans, paraît sidérant de ténèbres. «Lorsque j'étais jeune et ambitieux, la guerre est devenue une addiction. Mais après des années à voler la souffrance des soldats, des enfants qui meurent devant vous, à ressentir, chaque jour que Dieu fait, la honte d'avoir pris ces images, j'ai commencé à photographier la nature pour ne pas devenir fou.»

Le témoignage du photoreporter britannique a laissé sans voix les spectateurs du festival de photojournalisme Visa pour l'Image, qui lui a décerné son Visa d'Or d'honneur. A Perpignan, du 31 août au 15 septembre, Visa a célébré sa 25e édition dans une atmosphère d'urgence, encore une fois: comme l'a rappelé, la voix tremblante, John G. Morris, 96 ans, ex-éditeur photo de Life et proche de Robert Capa, «alors que nous sommes réunis ici, en ce moment même, le monde débat pour savoir s'il doit s'engager dans une nouvelle guerre».

Nouveau conflit pour une profession en état de siège: comme le rappelle Jean-François Leroy, fondateur de Visa pour l'Image, «certains photographes se voient offrir 2 000 euros pour un reportage en Syrie... Cela ne couvre même pas les frais engagés!» Paradoxe: alors que les chiffres de fréquentation du festival progressent chaque année (avec 221 000 visiteurs en 2012), vivre du photoreportage constitue une lutte....

Anthony Drapier, responsable commercial presse pour Getty Images, se rend chaque année depuis douze ans à Visa. Il embrasse la salle des agences photos d'un geste circulaire: «Vous voyez ces espaces vides ? Il y a encore quelques temps, on pouvait trouver ici trente-cinq à quarante agences. Aujourd'hui, nous sommes peut-être quinze...»

Depuis 2007, le nombre de photos publiées sur le web a été multiplié par cent, avec 530 millions de photos téléchargées chaque jour sur Facebook, Flickr, Instagram ou encore Snapchat (source: KPCB). Une concurrence à moindre coût.

Histoires contre "fast journalism"

«Il est inouï de penser que l'information ne coûte rien: il y a un an, nous nous sommes tous fait balader par le blog d'une lesbienne syrienne qui était un faux», tempête Jean-François Leroy. Et de rappeler le travail de Laurent Van der Stockt, Visa d'Or et témoin d'attaques chimiques en Syrie, pour Le Monde: «Il est quand même rare que les photos d'un reporter se retrouvent sur le bureau de Barack Obama! Nathalie Nougayrède a laissé à Van Der Stockt les moyens de travailler au long cours.»

Mais comme le déplore Anthony Drapier, «par le passé, les journaux pouvaient payer 10 000 euros pour un reportage. Cela n'arrive plus guère aujourd'hui». Pour réagir, les agences prennent plus que jamais le contre-pied du «fast journalism», afin de mettre en avant des «histoires»: Sara Lewkowicz, lauréate du Prix de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik 2013 (du nom du photographe de guerre français mort à Homs en 2012), a suivi, pendant un an, une femme victime de violences domestiques à Memphis et dans l'Alaska, tandis que Darcy Padilla travaille depuis... plus de dix-huit ans sur le quotidien d'une famille défavorisée dans l'ironiquement nommé «Everything is going to be OK».

Dans la salle des agences, Toby Smith, jeune homme à la chevelure flamboyante, tourne avec religiosité les pages de son portfolio. Barrages, éoliennes: le photographe s'est spécialisé dans l'énergie. Comme un rubricard dans un journal. Parmi ses clients, EDF, qui lui a récemment demandé d'illustrer un rapport annuel. «Les commandes corporate représentent la deuxième source de revenus pour nos photographes. La presse ne peut plus suffire à les faire vivre», souligne Anthony Drapier.

Funeste signe: aux Etats-Unis, le Chicago Sun-Times a récemment remercié les 28 membres de son équipe photo, y compris John H.White, lauréat d'un prix Pulitzer. Le quotidien enjoint les journalistes à prendre des photos avec leurs propres Iphones...

«Aujourd'hui, il existe une facilité technique dans la photographie, mais c'est un leurre, estime Jean-François Leroy. Autrefois, les photographes essayaient de trouver un avion, une voiture, pour faire parvenir leurs pellicules, qui étaient ensuite développées à Paris. Personne n'était choqué de voir dans le journal des photos prises trois jours avant. Maintenant, on leur demande de développer sur place, d'écrire leurs légendes, de tourner des vidéos... Du temps en moins pour le vrai boulot, sur le terrain.»

Les légendes du photojournalisme ne semblent pourtant pas si hostiles aux appareils nouvelle génération. «J'aurais rêvé d'un matériel pareil lorsque j'ai commencé!», avoue Patrick Chauvel, photoreporter, 64 ans. Le vétéran David Douglas Duncan, 97 ans, exprime néanmoins, de son mince filet de voix, quelques préventions: «Les appareils numériques ouvrent un champ de distorsion jamais vu dans la photographie», estime l'ex-journaliste, qui a couvert la Seconde Guerre mondiale, les guerres de Corée ou du Viêt Nam.

«La seule chose qui a changé, nuance quant à lui Patrick Chauvel, c'est la conscience des belligérants de leur propre image... Ils possèdent les mêmes appareils que nous, savent très bien l'effet qu'ils vont produire. Par exemple, en Libye, le plus difficile, parfois, était d'empêcher les gens de faire le “V” de la victoire...»

Pour autant, Patrick Chauvel, qui dit «se demander s'il doit se rendre en Syrie», est formel: «Le bidonnage reste rarissime dans le photojournalisme: les jeunes photographes qui vont sur le terrain cherchent toujours la même chose: la vérité.» Le flou n'a pas sa place dans ce métier.

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