En moins d'une décennie, le format du webdocumentaire semble avoir trouvé ses marques. Le nombre de ces "narrations interactives" augmente exponentiellement. Et leurs financements requiert parfois plusieurs centaines de milliers d'euros.

Des centaines de milliers d'euros de budget, une adaptation pour la télévision déjà à l'étude et une soirée de lancement à la Société civile des auteurs multimédias (Scam), le 18 novembre, en présence de la présidente d'Arte et de la directrice du journal LeMonde : la sortie de «Fort Mc Money», le nouveau webdoc de David Dufresne est un véritable événément. L'oeuvre se présente comme un jeu documentaire et invite l'internaute à prendre virtuellement le contrôle de Fort McMurray, une ville au coeur de l'industrie pétrolière au nord du Canada.

 

Sept ans plus tôt, le premier webdocumentaire français ne recevait pas autant d'honneur. «La Cité des Mortes », consacré à la ville de Ciudad Juarez au Mexique, a vu le jour sans soutien financier des médias, seulement d'une jeune société de production, Upian, et du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Le genre apparaissait alors ultra-confidentiel : qui passerait plus de vingt minutes devant un documentaire sur internet ? Quels producteurs mettraient un gros budget sur la table pour un format qui ne contient aucune publicité ? En quelques années, le webdoc a pourtant bien résisté. « Il a non seulement résisté mais bien plus que ça : la narration interactive ne fait qu'augmenter ! » assure Alexandre Brachet, producteur chez Upian, qui voit ce genre comme « la télévision du XXIème siècle ».


Upian consacre 50% de son chiffre d'affaires à la production de webdocumentaires et, si l'on ne peut pas encore parler de rentabilité- « tout comme on n'en parle pas pour les documentaires », note Alexandre Brachet- la société rentre dans ses frais grâce à ses activités annexes. Ce producteur se réjouit : «Le webdoc est pour l'instant en chantier mais on commence à voir poindre plusieurs sociétés de production qui se lancent sur ce marché». Et ce alors qu'aucun webdocumentaire n'a pour le moment intégré d'espaces publicitaire, même si certains, comme l'Equipe Explore, l'envisagent sérieusement.


Un schéma de financement récurrent


Alors peut-on dire que le "webdoc" a trouvé son modèle économique ? «Non, et tant mieux, répond Cédric Mal, fondateur du site Le Blog documentaire, il serait préjudiciable que le modèle soit figé, il est en constante évolution, comme les formes qu'il prend ». Si tous les modèles sont possibles, - aux Etats-Unis,  le visionnage est parfois payant-, les webdocs les plus ambitieux et coûteux ont toutefois un schéma de financement récurrent : ils obtiennent le soutien d'une société de production, la plus importante étant Upian, s'adossent à une grande chaîne publique (France Télévisions, Arte ou RFI) qui assure une partie du financement et une visibilité, nouent des partenariats avec des titres de presse, auxquels s'ajoute une aide conséquente du CNC.


Créer un webdocumentaire sans le soutien de ces acteurs est plus difficile, « même si certains y parviennent, comme « L'autre élection » réalisé par Igal Kogen et produit par Progress In work avec uniquement l'aide du CNC et des partenariats », note Cédric Mal. En général moins longs et peu coûteux, quelques webdocumentaires trouvent du soutien grâce au crowd-funding et des partenariats avec des pure-players ou des titres tels que LeMonde.fr ou LaCroix.fr.

 

Arte reçoit une trentaine de propositions de webdocs par mois


Heureuse nouvelle : ces guichets quasi incontournables sont de plus en plus ouverts aux projets et à la « web production » en général. Arte, l'un des plus gros producteurs dans ce domaine, a financé une dizaine de webdocs en 2013, pour une aide variant entre 2.000 et 120.000 euros, selon Gilles Feissinier, directeur du pôle web de la chaîne franco-allemande.

 

Upian en a financé quatre, soit deux fois plus qu'en 2012. Le CNC a quant à lui créé un nouveau fonds en 2011 qui vise à soutenir la production exclusivement web, c'est-à-dire sans chaîne de télévision pour la diffuser. En 2012, onze programmes ont été aidés dans ce cadre, pour un total de 284.500 euros. Enfin, les prix nationaux et internationaux consacrés à ce genre se multiplient. Le webdocumentaire "Alma, une enfant de la violence", réalisé par Miquel Dewever-Plana et Isabelle Fougère, en a par exemple remporté une dizaine (dont le Visa d'or RFI-France 24 en septembre). La courbe des financements est cependant loin de suivre celle du nombre d'aspirants web-documentaristes, qui croît exponentiellement. Upian assure recevoir huit demandes de financement par mois, Arte une trentaine.


Un succès qui s'explique peut-être par l'audience grandissante de ces documentaires interactifs. L'enquête transmédia lancée par Upian et France Télévisions, « Génération quoi ? La grande enquête sur les 18-34 ans aujourd'hui » a recueilli plus de 205 000 réponses. « Le questionnaire prend près de 20 minutes à remplir, cela témoigne de l'engagement important que les gens sont prêts à fournir », se félicite Alexandre Brachet, co-producteur. La force de ce format est en outre de générer de l'audience sur le long terme. « Il y a un effet de longue traîne. Le documentaire restant en ligne, une actu peut parfois lui redonner de la visibilité, le bouche à oreilles peut aussi amener des visites plusieurs mois après sa publication », constate Gilles Freissinier, d'Arte.

 

ENC La longue traîne du «slow journalism»

 

Le webdoc "Alma",produit par Arte et Upian, continue de générer des visites. Mis en ligne en 2012, il raconte l'histoire d'une ex-maréra d'un des gangs les plus violents du Guatemala. Il a reçu 210.000 visites le mois de son lancement, et depuis 600.000 de plus. Ces visites ont une durée moyenne d'environ sept minutes, «probablement beaucoup plus si l'on en exclut les rebonds», remarque Marianne Levy-Leblond, responsable des productions web chez Arte. A titre de comparaison, le premier grand webdocumentaire à succès, "Prison Valley" réalisé en 2010 par David Dufresne, a recueilli 110.000 visites. Si de telles audiences restent exceptionnelles et ne rivalisent pas avec celles de la télévision, pour Cédric Mal, c'est la preuve le « slow journalism » commence à trouver ses marques, dans la lignée de la revue XXI et de la tradition documentaire française.

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