L’application qui permet l’envoi de photos qui s’autodétruisent quelques secondes après leur visionnage vient de rejeter l'offre de rachat de Facebook à 3 milliards de dollars.

Prenez une photo, précisez sa durée de vie en secondes et envoyez-la à vos amis. Voici le principe de l'application Snapchat, qui vient de rejeter une offre de rachat à trois milliards de dollars (2,22 milliards d'euros) de la part de Facebook. Créée il y a deux ans par deux geeks de 20 ans, l'application au petit fantôme blanc sur fond jaune ne comporte aucune publicité et son chiffre d'affaires ne s'élèverait pas à plus de 200 000 euros. Ce qui rend Snapchat si chère aux yeux de Facebook, c'est qu'elle a su conquérir 26 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis, en grande partie des adolescents, tandis que le réseau social de Mark Zuckerberg court après les plus jeunes. La popularité de Snapchat est telle que 400 millions de «snaps» ont été envoyés par jour en octobre, soit deux fois plus qu'en juin, dépassant le nombre de photos partagées sur Facebook, selon Business Insider.

En France, Snapchat est devenu populaire auprès des jeunes en quelques mois. «Ce qui est frappant, c'est que les ados l'adoptent immédiatement. Deux jours après leur inscription, ils envoient 50 à 80 snaps par jour», observe la sociologue Joëlle Menrath, directrice du cabinet de conseil et de recherches Discours et pratiques. Elle a mené avec la Fédération française des télécoms une enquête sur la vie numérique des adolescents auprès de vingt jeunes âgés de 12 à 17 ans. «Snapchat, contrairement à Facebook, ne force pas à la mise en scène de soi. Les ados envoient une photo, parfois avec un dessin ou un texte, sans y chercher de sens, sans demander de «likes» ni de reconnaissance, analyse Joëlle Menrath, certains ados m'ont raconté avoir eu honte qu'un de leur post sur Facebook ne reçoive aucun like.»

 

Une appli difficile à monétiser

Sur Snapchat, la photo s'efface automatiquement après son visionnage, ce qui évite aussi aux adolescents de «s'afficher» (avoir la honte) avec des «photos dossiers» qui restent en ligne, relève l'étude. Pour Serge Tisseron, psychanalyste et auteur de 3-6-9-12 Apprivoiser les écrans et grandir (Eres, 2013), Snapchat répond au «désir d'exhibité» (désir de se montrer ne s'inscrivant pas dans une démarche sociale) qui existe depuis la petite enfance chez tous les ados, sans le risque que ces photos soient diffusées à des tiers et en échappant au regard des parents. «Facebook a été détourné de sa fonction initiale, il est devenu un espace de construction d'une image vendable de soi, d'abord auprès de ses amis, puis de la famille présente sur le réseau et enfin des futurs employeurs», explique Serge Tisseron. Contrairement aux idées reçues, les photos sexy ne sont pas les plus échangées sur Snapchat par les 12-17 ans observés dans l'étude de Joëlle Menrath. «Il y a parfois des photos de parties du corps dénudées qui sont échangées, mais ce n'est pas la majorité», remarque-t-elle.
Le succès est donc au rendez-vous mais la monétisation se fait, elle, encore attendre. «Snapchat a inventé l'éphémère sur Internet et ouvre un champ aux marques, analyse Jocelyn Jarnier, directeur général de Fullsix advertising, qui pourraient utiliser le réseau pour proposer des promotions éphémères ou de l'événementialisation.» Elles se heurteront cependant à un obstacle: la difficulté de cibler les profils, les utilisateurs ne fournissant aucune information sur eux. «Snapchat ne comporte pas assez de fonctionnalités pour rivaliser avec Facebook en termes de monétisation», conclut Jocelyn Jarnier.
L'application souffre en outre de la mauvaise image du «sexting» (messages, photos ou vidéos sexuellement explicites échangés électroniquement), mais ce qui la ruinerait totalement, c'est la fin de son caractère éphémère. Or l'application Snap-Hack, disponible sur l'App Store depuis le 10 novembre pour deux dollars, permet d'enregistrer tous les snaps, sans en informer l'envoyeur. Si rien n'est fait pour contrer Snap-Hack, la valeur de Snapchat pourrait s'évaporer... aussi vite qu'un snap.

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