En 2013, la série s’est achevée après cinq saisons plébiscitées par la critique et le public. La clé de ce succès réside peut-être dans une narration construite « visuellement ».

Le mois de septembre 2013 a été celui de l'apothéose pour Breaking Bad. Après cinq saisons sur la chaîne américaine AMC, la série TV créée par Vince Gilligan a reçu pour la première fois la plus importante des récompenses de sa catégorie, le prestigieux Emmy Award de la meilleure série dramatique. Lors de la cérémonie de remise des prix, elle a devancé Game of Thrones (HBO), House of Cards (Netflix), Mad Men (AMC) et autres Homeland (Showtime).

Quelques jours plus tard, la série s'achevait en point d'orgue lors d'un dernier épisode suivi par plus de 10 millions d'Américains lors de sa première diffusion (la cinquième saison est diffusée en France sur Arte et OCS). Qu'avait-elle en plus? Peut-être des ressorts profondément humains et un storytelling par l'image digne du septième art. Lors du festival du cinéma américain de Deauville 2013, Vince Gilligan a donné une passionnante «masterclass» dans laquelle il a décortiqué son style d'écriture audiovisuelle, élaboré depuis ses débuts sur la série X-Files dans les années 1990.
Le scénario de Breaking Bad est d'une noirceur absolue. Professeur de chimie dans un lycée d'Albuquerque au Nouveau-Mexique, Walter White apprend qu'il a un cancer incurable à l'aube de son cinquantième anniversaire et de l'arrivée inattendue de son deuxième enfant. De crainte que sa famille ne soit démunie après son décès, il décide de mettre à profit sa science dans le commerce de la drogue. Il fabrique de la méthamphétamine (la «méth») et plongera peu à peu dans une spirale infernale.

«Nous aimons les personnages de fiction qui parviennent à accomplir leurs buts, considère Vince Gilligan. A l'approche de la mort, Walter White, est un homme qui s'est débarrassé de ses craintes et de ses angoisses, tandis que dans nos vies la peur n'est jamais cachée bien loin.»

 

Force et universalité des images

Dans son livre sur les séries TV, Sériscopie, le journaliste et écrivain Pierre Serisier écrit à propos de Breaking Bad que «l'atmosphère pesante est encore alourdie par une manière de filmer extrêmement visuelle dans laquelle les choses sont montrées plus qu'elles ne sont énoncées avec un accent mis sur l'importance des couleurs». Les scènes qui se déroulent dans de vastes étendues désertiques entourées de rochers rouges saturées de lumière l'illustrent.

L'une des grandes forces de Breaking Bad réside aussi dans son «storytelling visuel». Explication de Vince Gilligan: «J'ai traité l'intrigue de manière visuelle. Lors de l'écriture de chaque épisode, je me demandais quelle était l'image la plus forte, celle qui incarnait le mieux le propos et constituait une accroche, au lieu de réfléchir en termes d'idées et de texte. Au départ, la télévision n'avait pas recours à ces éléments-là et les séries ressemblaient à du théâtre filmé.»

Le «showrunner» (garant de l'unité artistique) de Breaking Bad, qui mise sur la force et l'universalité des éléments non verbaux, s'inspire de Stanley Kubrick, auteur de 2001, L'Odyssée de l'espace. «De nombreux chefs-d'œuvre de l'histoire du cinéma voyagent très bien à travers les différentes cultures car ils se passent de mots, estime Vince Gilligan. Dans certaines séquences, les émotions et les échanges entre les personnages n'ont pas besoin de s'appuyer sur des dialogues. Cela leur confère une connivence universelle, longtemps délaissée par la télévision, car il régnait une sorte de dichotomie entre le petit écran et le cinéma.» Il rend enfin hommage au rôle précurseur du feuilleton X-Files de Chris Carter. «Son succès a permis aux séries de sortir des limites des plateaux de télévision», pense-t-il.

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