Interview
Enseignant-chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste de l’histoire visuelle, André Gunthert décrypte les derniers bouleversements de l’univers vidéo.

Quel phénomène majeur relevez-vous aujourd’hui ?

Le format qui a tout explosé en vidéo, c’est celui du podcast, cet enregistrement personnel autoproduit construit sur de l’auto-narration. Le diffuseur est incarné et se présente comme le narrateur. Ce format s’inscrit dans la lignée du selfie. Il s’est imposé en vidéo avec le phénomène des youtubeurs. On y trouve une infinité de sous-genres, mais tous basés sur ce même principe dans lequel une personne incarne le contenu.

Comment expliquer un tel succès ?

Par la qualité d’authenticité de l’autoproduction, son côté non frelaté. C’est très fort auprès des jeunes générations, qui justement recherchent cela. Et par son accessibilité. Sous cette forme autoproduite, la vidéo permet de raconter une histoire, à la différence de l’image fixe, et d’incarner cette histoire.

Ce phénomène se caractérise-t-il par une évolution formelle ?

Non, le format reste celui du JT, mais c’est la démocratisation de ce format qui est très puissante. Car l’idée du présentateur de JT est l’idée de l’information incarnée, ce n’est pas juste le récit de l’information : c’est associer le contenu de l’information à une signature. Ce que fait la télévision depuis longtemps est arrivé auprès du grand public, sous une forme plus sommaire et plus approximative, qui elle-même vaut comme une garantie d’authenticité.

Pourquoi les jeunes plébiscitent-ils tant les vidéos de youtubeurs ?

Il y a un langage qui leur parle, de l’humour et du second degré qui permettent de se démarquer d’une image trop adulte. Il y a aussi de l’autodérision, une composante fondamentale de ce format. Les émissions de télévision sont touchées par ce phénomène, par exemple Quotidien sur TMC, qui est entre le format classique et celui des jeunes générations. C’est fait proprement, bien monté, mais avec des séquences qui sont des citations de ces nouveaux formats, comme La Story d’Éric et Quentin, qui imite la stylistique de Snapchat.

Le caractère désintéressé de ces vidéos joue-t-il aussi en leur faveur ?

Oui, l’indépendance par rapport au système commercial est un atout. D’ailleurs, dès qu’une star de YouTube devient trop visible, elle perd des points auprès des jeunes. D’où un renouvellement très rapide du terreau.

Periscope et Facebook ajoutent-ils une autre dimension avec le live ?

Non, c’est juste la cerise sur le gâteau, car on retrouve le même format, avec la même garantie d’authenticité. Le contenu en direct est très valorisé par le monde des médias, comme sur Facebook, où, dès que quelqu’un est en live, l’algorithme le remonte, mais cela ne veut pas dire que c’est consommé en direct. Là aussi, la grille du web se remet dessus : on consomme quand on veut et pas quand il y a une émission. Donc le live ne change pas les données, on reste dans cette nouvelle économie du podcast et de la signature personnelle. Mais ce type d’enregistrement fait rarement de grands succès d’audience.

Comment expliquer, plus généralement, l’appétence pour la vidéo chez les jeunes ?

Leur culture s’est constituée autour des films, des séries et des jeux vidéo. L’autre élément important est le partage. Cela relève de la coproduction de l’information, c’est très valorisant de sélectionner des contenus sur les réseaux sociaux et de les rediffuser avec une rétribution sous forme de likes. Et dans ce domaine, la vidéo fait partie des contenus les plus valorisés.

Comment les médias s’adaptent-ils à cette nouvelle donne ?

Tous les derniers formats news, comme Brut, se sont calés sur ces nouvelles cultures. Toujours des formats courts – pas plus de cinq minutes –, à consommer rapidement. Le témoignage parle de lui-même et on le double par des sous-titres. Cela montre l’importance du récit. L’image est importante, mais elle ne sert pas tant à montrer de l’information qu’à incarner une personne. Elle n’est pas documentaire. C’est aussi un format qu’on peut écouter de façon silencieuse, au travail ou dans les transports.

Comment voyez-vous l’avenir des médias dans ce contexte ?

Ces formats courts vont continuer à se répandre. Il restera un espace pour l’écrit, mais réservé à des happy few. Le reste de l’information va évoluer vers de petits formats vidéo. En même temps, le format long survivra. Regardez Twitter : une info très courte, mais avec un lien qui renvoie à une source pour approfondir. On peut combiner les deux, avoir un petit format coup de poing qui renvoie à autre chose. Le succès actuel des séries signifie aussi que le format long n’a pas disparu par enchantement. La stratégie de Netflix l’illustre bien. Mais cela remet en cause le modèle de médiation de la télévision, le choix imposé d’une hiérarchie, d’un rendez-vous, d’une organisation du temps. Ce que montre le binge watching, ce phénomène qui consiste à visionner en entier une série en un week-end. Quand on est passé à Netflix, c’est dur de revenir au JT…

Le risque d’une dérive vers l’infotainment existe-t-il ?

Ce n’est pas une menace, on est déjà en plein dans l’information- spectacle. Regardez une émission comme On n’est pas couché. Les programmes se transforment de l’intérieur pour produire du buzz et du clash.

La 3D et la réalité virtuelle vont-elles constituer une nouvelle étape de la transition numérique ?

Je n’y crois pas trop, pour la simple raison qu’on ne peut pas partager ses émotions. Ce qui est bien dans un match de football, c’est de le regarder à plusieurs sur un canapé. Vous imaginez chacun avec ses lunettes ? Ça perd de la valeur. Le flop de la télévision en 3D, lancée au moment de la sortie d’Avatar en 2009, s’explique par l’interface de visualisation, les lunettes. Or, l’image, c’est social, on la regarde à plusieurs. Il ne suffit pas d’une technologie pour produire de l’innovation utile. Je ne crois pas à la réalité virtuelle, ou alors pour des applications limitées, pour les jeux. C’est dans la logique du jeu vidéo, qui a toujours fonctionné sur l’immersion, pas pour l’information. Finalement, l’image n’est pas si importante que ce qu’on croit, l’image en tant que telle, je veux dire. Si elle compte, c’est parce qu’elle sert de support au récit.

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