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Streaming vidéo : un paysage chinois dominé par les géants locaux
16/11/2017 - par Simon LeplâtreLes plateformes vidéo de Baidu et Tencent règnent en maîtres sur un secteur qui bascule progressivement dans le payant.
Le show de l’année en Chine ? Rap of China, un télé-crochet façon The Voice, avec 2,7 milliards de vues entre juin et septembre, au fil de douze épisodes. Signe des temps, le programme est un produit de la plateforme de vidéos en ligne iQiyi, l’un des leaders du secteur, détenue par le moteur de recherche dominant Baidu. Le succès de l’émission n’est pas anecdotique. Pour la première fois, le nombre d’abonnés au câble en Chine a baissé au premier semestre 2017 : 2,5 millions de télé-spectateurs en moins, sur un total de 250 millions d’abonnés.
Dans le même temps, les plateformes de vidéos en ligne gagnaient 20 millions d’utilisateurs, pour atteindre 565 millions, soit les trois quarts des 730 millions d’internautes du pays, d’après les statistiques officielles chinoises. Le nombre d’utilisateurs payant un abonnement devrait, lui, atteindre 144 millions cette année, et rejoindre le nombre d’abonnés au câble d’ici à 2020, estime JP Morgan.
Investissement massif dans la création de contenus
Pour les plateformes, les émissions comme Rap of China sont essentielles. Engagées dans une compétition féroce pour gagner des spectateurs, et aussi désormais des abonnés prêts à payer une vingtaine de yuans par mois (2,50 euros environ), elles investissent massivement dans la création de contenus. Rap of China a d’ailleurs toutes les apparences des émissions de télévision à gros budget, avec un peu d’authenticité en plus. Ce n’est pas un hasard : son producteur a été débauché chez Zhejiang TV, où il avait produit The Voice of China.
« Il faut s’attendre à un exode des talents », prédit Benjamin Cavender, directeur du cabinet de consulting China Market Research. Pour lui, les chaînes de télévision traditionnelles ont du souci à se faire. « Je ne pense pas qu’elles soient préparées à ce défi. Elles sont limitées, parce qu’elles doivent suivre les directives officielles. » Bien que soumises à une étroite censure, les plateformes ne sont pas chargées, elles, de relayer la propagande aussi directement. Ce qui leur permet d’attirer les jeunes téléspectateurs, peu intéressés par les programmes d’un poste de télévision familial encore incontournable pour leurs parents.
Un marché qui reste national
Le paysage de la vidéo en ligne en Chine a un goût familier pour qui s’intéresse au web chinois. D’abord, de même que la fintech chinoise s’est développée grâce à l’inefficacité des banques d’État, les plateformes ont prospéré sur la médiocrité des chaînes traditionnelles. Ensuite, malgré une multitude d’acteurs, les géants incontournables que sont Baidu, Alibaba et Tencent (« BAT ») détiennent ou soutiennent tous l’une des plateformes leaders. Enfin, le secteur de la vidéo en Chine, comme l’essentiel du web, est isolé de la concurrence internationale : YouTube est bloqué depuis une dizaine d’années, ITunes Video l’a été fin 2016, tandis qu’Amazon et Netflix ont renoncé à lancer leurs services devant les difficultés réglementaires.
Dans ces conditions, des champions locaux ont pu émerger, non sans passer par des années de concurrence acharnée. Mais le marché arrive à maturité, estiment les experts du secteur, qui voient les plateformes commencer à gagner de l’argent dans les années à venir. « Il y a toujours beaucoup de plateformes, mais elles sont de plus en plus écrasées par les deux premières, Tencent et iQiyi. Même Yukou-Tudou, née de la fusion en 2012 des deux plus gros acteurs, se voit de plus en plus distancée à la troisième place », indique Benjamin Cavender.
Créé en 2010 par Baidu, iQiyi domine actuellement le marché avec 442 millions d’utilisateurs actifs au moins une fois par mois à la mi-août. C’est un peu moins que les 457 millions d’utilisateurs revendiqués par Tencent Video à la même date, mais iQiyi dégage plus de revenus, avec 19,2 milliards de yuans (2,47 milliards d’euros) estimés pour cette année, contre 18,3 milliards (2,35 milliards d’euros) pour son rival, d’après le cabinet Jefferies Equity. iQiyi dispose de « capacités de production supérieures », pointe un récent rapport de Nomura, ce qui lui donne une longueur d’avance pour la conquête d’abonnés. « Ce que reflète une série d’émissions et de séries populaires produites par l’entreprise, dont Rap of China, qui a eu un succès viral », développe le rapport. Pour garder son avance, Baidu songerait à introduire iQiyi en Bourse dès 2018, selon Bloomberg.
Explosion du streaming
Au coude à coude, Tencent Video, géant du web chinois porté par ses réseaux sociaux QQ et surtout WeChat, qui devrait atteindre très prochainement le milliard d’utilisateurs. Tencent peut facilement pousser des contenus auprès de ses utilisateurs, qui n’ont plus besoin de quitter l’application pour les regarder. Un point crucial quand on sait que les Chinois passent en moyenne un tiers de leur temps en ligne sur WeChat. Résultat, Tencent Video revendique aujourd’hui 43 millions d’abonnés. Autre atout de Tencent dans la guerre de l’attention, son portefeuille électronique (WeChat Wallet), qui permet de faciliter l’acte d’achat en ligne. Sur ce point, le troisième du secteur, Yukou-Tudou, peut quant à lui compter sur l’accès aux comptes en banque des Chinois grâce à Alipay, le portefeuille électronique d’Alibaba, qui a racheté en 2015 l’entité issue de la fusion de Yukou et de Tudou. Le troisième larron reste cependant loin derrière ses deux concurrents avec 325 millions d’utilisateurs.
Derrière, malgré des fermetures, rachats et fusions, le paysage reste varié, avec des acteurs comme Sohu Video, Mango TV, ou Bilibili. Un foisonnement auquel il faut ajouter les sites de streaming vidéo en direct, un secteur en pleine explosion depuis deux ans. Du moins jusqu’à une reprise en main des autorités en juin dernier : les trois principaux sites du secteur, Weibo (l’équivalent chinois de Twitter), le portail web iFeng et AcFun, ont dû suspendre leurs opérations de live streaming, accusés de ne pas en contrôler les contenus d’assez près. Ce jour-là, Weibo perdait 6 % en Bourse. Un avertissement pour toutes les entreprises du secteur.