Interview
C'était probablement l'un des magazines les plus cultes et les plus irrévérencieux des années 1990. Le mensuel féminin « 20 ans » a marqué une génération de lectrices. Isabelle Chazot, journaliste chez Marianne, a dirigé sa rédaction.

Vous avez repris le titre en 1990. Dans quel contexte (sociétal, féminin...) s'inscrivait le magazine alors ?
Isabelle Chazot. La presse féminine des années 1990 était florissante. Il existait une grande diversité de titres, dont certains étaient prestigieux et puissants. 20 ans, pas du tout. Au départ, non seulement c’était un petit journal en termes de moyens, mais il souffrait d’un « déficit d’image » : assimilé à la presse pour adolescents (populaire, débile, fascinée par les stars…). Plus tôt, dans les années 1970, 20 ans avait été un magazine pointu, où des gens comme Hervé Guibert tenaient des chroniques. Mais quand j’ai pris les commandes, en 1993, le titre était en perte de vitesse, vendait peu et n’intéressait pas les journalistes en vue. Seuls les novices et les courageux venaient. De mon côté, novice également, j’étais attirée par les esprits atypiques, originaux, de préférence non formatés par les écoles de journalisme.

Des «plumes» comme Simon Liberati et Michel Houellebecq écrivaient pour le titre…
A l’époque, ces personnalités n’étaient pas ou peu connues, et totalement rétives à l’univers de l’entreprise, si petite et paradoxale soit-elle. Michel Houellebecq n’avait écrit qu’un seul livre et Simon Liberati aucun, même si l’on peut être un romancier dans l’âme, sans avoir encore publié. Il s’agissait plutôt d’amis, d’alliés avec qui je partageais une sensibilité, un ton, une vision du monde. Le rôle d’un vrai journal est de découvrir et d’accompagner des talents - écrivains, mais aussi photographes, stylistes - non de leur tendre le micro seulement une fois qu’ils sont célèbres.

Quelle atmosphère régnait dans la rédaction ?
Agitée. Aussi concentrée qu’un think tank, aussi tapageuse qu’une boîte de nuit ou un café, où vous avez des habitués, des figures, des échanges musclés. Pour des raisons générationnelles, mais aussi liées à mon caractère, il n’existait pas de relations hiérarchiques entre nous, même si la ligne éditoriale, elle, n’avait rien de flou, elle était même d’une rigidité quasi totalitaire !

Quelle était l'esthétique 20 ans ?
A la fois trash et raffinée. D’un côté, une iconographie un peu « camp », avec des images vintage tirées de leur contexte, de vieux romans photos scandinaves, des photos de faits divers, etc. De l’autre, un éditorial très décalé, mais aussi très écrit, très référencé, pratiquant un humour édificateur et cruel. 

Etre une jeune fille de 20 ans dans les années 1990, c'était comment ?
Comme aujourd’hui sans doute, les jeunes filles ayant une personnalité à contre-courant et une sensibilité étaient rares. J’ai l’immodestie d’affirmer que ces hérétiques constituaient le principal bataillon des lectrices de 20 ans ! Je ne dis pas cela légèrement : nous recevions énormément de courrier, souvent des lettres incroyables. Lorsque je rencontre une ancienne lectrice (qui est souvent un lecteur, d’ailleurs), je suis épatée par le niveau ! Je retrouve un regard distancié, un désenchantement et une gentillesse qui en disent long sur la tragique bêtise actuelle qui consiste à criminaliser l’outrance verbale ou écrite. Cette même irrévérence était notre petit lait et nous vaudrait quinze procès par numéro aujourd’hui ! 

Pourrait-on encore faire 20 ans aujourd'hui ? 
Oui et non. Oui, car contrairement à ce que l’on prétend, je ne crois pas du tout qu’Internet ait tué la presse écrite. C’est plutôt la presse écrite qui s’est appauvrie, embourgeoisée, qui baigne dans le conformisme et une indéniable lâcheté. On trouve beaucoup plus de fraîcheur et d’audace sur la Toile. Mais les lectrices potentielles n’ont pas disparu comme par magie noire ! Elles dédaignent des magazines fades, gratuits ou quasiment, vendus en pack avec un forfait téléphone ou distribués comme des prospectus, ce qu’ils finissent par devenir. De plus, 20 ans était un journal ironique, les trois quarts étaient écrits au second degré, aujourd’hui, on nous accuserait de diffuser des « fakenews » !

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