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Nouvelles chaînes 100 % numériques, services enrichis pour les opérateurs télécoms, formats adaptés aux réseaux sociaux… Les chaînes multiplient les innovations pour faire face aux nouveaux usages de consommation de la télévision.

« Nous avons déjà dénombré plus d’un million d’interactions sur les comptes Instagram des personnages de notre série Skam France. » Le constat d’Antonio Grigolini, le responsable de France TV Slash, la nouvelle offre vidéo 100 % numérique lancée le 5 février par le groupe public à destination des jeunes adultes, en dit long sur les nouvelles préoccupations du PAF. Prenant acte des nouveaux usages, les chaînes surveillent désormais tout autant les réseaux sociaux que l’audimat, et le « catch-upper » que la ménagère…

« Sur l’ensemble de la population française, un peu moins de 10 % du temps télé est consacré à ces nouveaux usages, qu'il s'agisse du différé, du replay ou des écrans internet », remarque Julien Rosanvallon, directeur des départements TV et Internet de Médiamétrie. « Ce sont des pratiques désormais ancrées dans le quotidien, notamment chez les plus jeunes, avec 19 millions de Français qui consomment du replay chaque jour », observe Isabelle Vignon, directrice de l’expertise et des tendances médias du groupe Dentsu Aegis Network. « La pratique du replay se répand de plus en plus, confirme Florent Dumont, directeur des études et du marketing de France Télévisions. Aujourd’hui, environ 15 millions de personnes regardent chaque mois au moins un de nos contenus en replay, quel que soit l’écran (la TV via leur box ou nos sites sur ordinateur, tablette ou mobile). »

Les rois du replay

Bruno Patino, directeur éditorial d’Arte et auteur chez Grasset de Télévisions, observe de son côté deux phénomènes concomitants. « Le premier, le plus important, est la délinéarisation. C'est un phénomène substitutif, note-t-il. Pour un grand nombre de programmes, une part importante de la population prend l’habitude de les regarder en non-linéaire et l’on aura beaucoup de mal à la faire revenir, tel jour et à telle heure, pour le nouvel épisode de sa série. » Le second phénomène est cumulatif, selon lui. « Il est lié à un contexte d’utilisation et se traduit par une grande augmentation de la production d’images animées et des nouveaux formats », ajoute-t-il.

« On s’aperçoit que le replay est très concentré sur certains programmes, précise Florent Dumont. Le genre-roi, c’est la fiction, où il peut représenter jusqu’à 20 % de l’audience totale. Notre série Capitaine Marleau culmine à 7 millions en live mais a déjà dépassé le million de téléspectateurs en replay. Cash Investigation, en septembre dernier, avait fait 3,8 millions le jour de sa diffusion et 800 000 en rattrapage. » Aujourd’hui, pour une audience réelle des programmes, il faut attendre J+8, la durée la plus courante des droits en replay. « Selon les thématiques, le délinéaire peut représenter jusqu’à la moitié de l'audience, par exemple pour des films jeunesse familiaux, note de son côté Mathilde Villette, directrice marketing édition de Canal+. En revanche, même si nous proposons des matchs en rattrapage, il y a encore, pour les événements liés au sport, une prime au live. » Même chose pour l’info, qui se périme également très vite.

Face à ces changements d'habitude, les chaînes réagissent. « Chez Arte, on est passés de l’hyper-distribution à l’omni-production, on essaie de produire pour tous les usages », relève Bruno Patino, qui cite pêle-mêle la série en bande dessinée Été, conçue pour Instagram, ou la fiction interactive Enterre-moi mon amour, à voir sur une appli dédiée. TF1 propose de son côté des formats exclusifs digitaux de certains de ses programmes. « Le 18 mai, nous mettons en ligne un spin-off 100% digital de Grey’s Anatomy, avec six épisodes diffusés sur My TF1 », annonce Nicolas Lemaître, directeur des contenus digitaux et de MyTF1. TF1 cherche ainsi à « nourrir les communautés avec des contenus qui leur soient adaptés ». « Notre travail consiste de plus en plus à aller chercher des cibles là où elles se trouvent, remarque Nicolas Lemaître. Nous le faisons avant la diffusion, en proposant par exemple chez certains opérateurs des avant-premières de notre série L’Arme fatale la veille de sa diffusion, pendant, en créant des formats carrés pour les réseaux sociaux diffusés pendant Burger Quiz, notamment, et après, en élargissant la fenêtre des droits pour favoriser le binge watching de The Voice ou La Villa des cœurs brisés. »

Plus loin que le direct

Dans le développement de ces services enrichis, la renégociation récente des accords de distribution entre chaînes et opérateurs télécom a permis de leur donner un sacré coup de pouce, ces nouvelles fonctionnalités servant en quelque sorte de monnaie d’échange. « Dès lors qu’une chaîne apporte des services enrichis, il est normal de la rémunérer », estime Alain Weill, le PDG de NextRadio TV (BFM, RMC Découverte) et de SFR, qui voit « en tant qu’opérateur, une bonne occasion de proposer des services supplémentaires aux abonnés et, en tant qu’éditeur, une opportunité pour imaginer en replay des formats allant plus loin que le direct ». Toutes les chaînes proposent désormais la fonction « start-over », qui permet de revenir au début d’un programme, ou « download to go », pour le télécharger. « Sur MyCanal, on peut aussi s’arrêter à un moment donné dans une série pour la reprendre plus tard au même endroit, ça améliore le confort de visionnage », souligne Mathilde Villette. TF1 a aussi lancé TF1+1 et TMC+1, pour l’instant en exclusivité sur SFR-Numericable, pour capter le flux avec une heure de décalage.

Ces nouveaux usages préfigurent une autre révolution, celle de la data. Pionnier du genre, M6 compte désormais, sur les écrans nomades, hors IPTV, 21 millions d’utilisateurs inscrits sur sa plateforme 6Play. « Prenons un téléspectateur qui regarde Les Reines du shopping sur M6, explique Thomas Follin, directeur général adjoint de M6 Web, chargé des activités de distribution et de l’innovation digitale des antennes. On pense qu’il pourrait aussi aimer une déclinaison de ce contenu, mais ce n’est pas simple à programmer en linéaire. Avec la data, il est désormais possible de lui proposer, sur 6Play, de regarder Les Reines du make-up, qui est un spin-off de son émission favorite. La télé, avant, c’était du broadcast, aujourd’hui c’est de l’unicast : à chaque individu sa consommation personnalisée. » D’où la stratégie nouvelle d’acquisition et de production de contenus jamais diffusés à l’antenne mais pertinents pour l’être sur 6Play, une plateforme qui propose aujourd’hui quelque 4 000 heures de contenus. Ces algorithmes qui permettent d’adresser les bons contenus aux bonnes personnes sont aussi suivis de près chez TF1, qui compte 19 millions d’inscrits à MyTF1.

TV augmentée

Mais déjà, une autre étape de la data se dessine, celle de la télévision augmentée. M6, notamment, a prévu des annonces fortes à la rentrée. « À partir du moment où l'on connaît la personne qui regarde la télé, on peut lui proposer des services à valeur ajoutée sur l’écran de TV, en fonction du contexte et du profil du foyer », indique Thomas Follin. Une pratique rendue possible par la connexion des téléviseurs à internet, qui concerne aujourd’hui 85 % des postes vendus.

Toutes ces innovations apparaissent au moment où Netflix, le leader du marché de la SVOD (la vidéo à la demande par abonnement) avec plus de 3 millions d’abonnés en France, annonce qu’il va investir en 2018 un milliard de dollars dans la production de contenus originaux en Europe. « Le volume de la consommation globale de ces services reste assez marginal sur l’ensemble de la population, entre 2 et 3 %, mais il est beaucoup plus important chez les 15-24 ans, où il atteint 8 % de la consommation vidéo », tempère Julien Rosanvallon. France Télévisions a récemment démenti une information du Figaro concernant l’abandon de son propre projet de SVOD, indiquant « être en discussion avec plusieurs partenaires afin d’élargir son offre pour créer un “Hulu à la française”, sur un modèle freemium ». Pour Thomas Follin, Netflix est une « raison de plus pour développer une stratégie de services très forts et d’acquisition ou de production de programmes complémentaires. Si on propose toujours plus de contenus de manière affinitaire, les téléspectateurs trouveront suffisamment de raisons pour rester sur nos services ».

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