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Qu’il s’agisse d’émissions de radio en replay ou de contenus purement natifs, le podcast connaît ces derniers mois un spectaculaire développement, que les assistants vocaux pourraient encore accentuer. Reste à trouver le bon modèle économique.

« Le podcast, en 2018, tout le monde va s’y mettre, c’est le moment. Je fais dix fois plus d’audience qu’au démarrage il y a un an et j’en ferai encore dix fois plus dans un an. » Tous partagent l’optimisme de Matthieu Stefani, le directeur de l’agence digitale Cosavostra, qui s’est lancé dans l’aventure du podcast avec un programme sur l’entreprenariat, Génération do it yourself, dont chaque épisode rassemble de 5 000 à 10 000 auditeurs.

Aux premières loges de cet engouement croissant des Français pour les podcasts, les radios elles-mêmes. « Entre 2016 et 2017, nous avons progressé de 40 % », relève Serge Schick, directeur délégué au marketing stratégique et au développement de Radio France. La tendance se confirme en 2018, avec 60 millions de téléchargements en mars. « Le podcast profite de l’ascension des smartphones comme mode d’écoute de l’audio, à différents moments, tant le week-end à domicile que dans les moyens de transport en semaine », explique-t-il. France Culture profite à plein de cette manne. « En mars, nous avons dépassé les 23 millions de téléchargements, un record », note Sandrine Treiner, sa directrice, qui observe un autre phénomène : « Sur la dernière vague d’audience de janvier-mars, France Culture progresse de 35 % sur les 15-34 ans. Ce mouvement très net de retour à l’antenne s’explique par l’engouement pour le podcast. » Lancé en février dernier, Hasta Dente, le premier podcast natif de France Culture, a cumulé 110 000 téléchargements en onze épisodes. Un second a débarqué le 24 avril, L’incroyable expédition de Corentin Tréguier au Congo. Et la station a lancé le 30 avril, avec FranceInfo, Les idées claires, sur la désinformation. « Proposer du podcast first, c’est une manière efficace de toucher les jeunes », affirme Sandrine Treiner.

Cinéma, musique... et masculinités

Les indépendants voient aussi les voyants passer au vert. « Nous sommes à 300 % d’augmentation en un an, avec 700 000 écoutes cumulées par mois et plus de 100 000 abonnés aux différentes plateformes de diffusion », indique Joël Ronez, le président de Binge Audio, qui propose une quinzaine de programmes. Parmi les best-sellers, des émissions cinéma ou musique, comme NoCine ou NoFun, et des programmes comme Les Couilles sur la table, qui aborde le thème des « masculinités ». « Le podcast permet de traiter des sujets pas forcément adressés dans l’obsession de l’urgence de l’info », relève Isabelle Vignon, directrice de l’expertise et des tendances médias de Dentsu Aegis Network, pour qui le podcast est aussi « une façon de s’offrir une parenthèse personnelle, en se redonnant du temps ». « Après dix-huit mois d’existence, nous sommes au-delà de toutes nos prévisions, avec 500 000 téléchargements mensuels pour sept programmes différents », note encore Julien Neuville, qui a fondé la société Nouvelles Écoutes avec Lauren Bastide, ex-rédactrice en chef de Elle, dont le podcast La Poudre se classe régulièrement en haut des charts iTunes à côté des replays des émissions vedettes de RTL ou Europe 1.

Flairant la bonne affaire, les médias non audio aussi se ruent sur les podcasts. Dernier en date, Grazia, qui a lancé le 20 avril sa chaîne. Avant lui, L'Équipe ou encore Les Échos. « Nous avons été intrigués par le temps d’écoute extrêmement long des podcasts, qui induit une implication très forte des auditeurs », relève Bérénice Lajouanie, éditrice des Échos. Encouragée par le succès phénoménal outre-Atlantique du podcast The Daily du New York Times, la presse y trouve aussi un format proche de son écriture et moins coûteux que la vidéo.

Le déploiement des assistants vocaux de Google, Amazon ou Apple devrait lui donner un coup de fouet supplémentaire. « Les personnes équipées sont demandeuses d’infos. Pour nous, ce sera opérationnel cette année », remarque Alain Weill, PDG de NextRadioTV et de SFR. « France Info est déjà présent sur Google Home, avec pour nous un gros travail de référencement », note Serge Schick. « Cela va être un tremplin pour les radios, et pas seulement pour l’info. Rentrer chez soi et dire à Google, “ce soir c’est mon anniversaire, compose-moi une playlist de rêve sous les cocotiers”, c’est du pain béni pour une musicale », imagine Isabelle Vignon. Capables de mémoriser les recherches, ces assistants seront aussi en mesure de pousser un contenu approprié et de faire découvrir de nouveaux programmes.

De l'audience à la finance

Reste à transformer le succès d’audience en succès financier. Radio France, qui a confié la commercialisation de ses podcasts à la régie TargetSpot, du groupe belge Radionomy, est aujourd’hui « sur un rythme annuel de 200 000 euros de recettes », confie Serge Schick. Le modèle est celui du pré-roll, avec une annonce avant le podcast. « Les annonceurs s’intéressent de plus en plus à ce format, à tel point que l’inventaire sera peut-être insuffisant cette année », remarque Alexandre Saboundjian, CEO de Radionomy Group. « En coût pour mille, le podcast est en moyenne à 20 euros, soit le double du stream radio », précise Erik Portier, chief revenue officer de ce même groupe. De fait, pour Alain Weill, « il n’y a pas de raison que la valeur d’un auditeur en podcast soit inférieure à sa valeur en linéaire ».

Pour Radio France, ces revenus publicitaires viennent en complément d’un financement public. Suffisent-ils aux indépendants ? Nouvelles Écoutes, dont le podcast La Poudre est sponsorisé par Guerlain, produit aussi des contenus pour Chanel ou Adidas. « La majorité de notre chiffre d’affaires provient du brand content », reconnaît Joël Ronez chez Binge Audio, qui veut aussi activer d’ici à 2020 une offre freemium. Faire payer l’auditeur, le modèle est courant aux États-Unis. En France, c'est celui qu'a choisi BoxSons, lancé il y a un an par Pascale Clark et Candice Marchal. Patrick Beja a aussi tenté l’expérience, avec un podcast hebdomadaire, Le Rendez-vous tech, financé via la plateforme Patreon par les auditeurs. « J’ai 1 200 donateurs avec une moyenne de 2 dollars par épisode et par personne, indique ce pionnier. Beaucoup pourraient faire comme moi, car le public le vit comme une garantie d’indépendance. »

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