Dossier Communication extérieure
L’annulation par la justice de contrats de mobilier urbain remportés par l’opérateur sortant JCDecaux a poussé les opérateurs à revoir leurs offres. Elle augure aussi d'une possible redistribution des cartes autour des contrats RATP, SNCF et du Grand Paris.

«Paris est la dernière grande ville à ne pas proposer des écrans numériques.» Le constat d'Isabel Pires, manager OOH d’Havas Media, est amer, après l’annulation par le conseil d’État de l’appel d’offres de la ville sur les Mobiliers urbains pour l'information (Mupi), en septembre 2017, remporté par l’opérateur sortant JCDecaux. Car, si cet appel d’offres comprenait un volet intégrant le développement de panneaux digitaux, le règlement local de publicité (RLP), adopté en 2011, en interdisait l’installation. Il faudra donc attendre l’adoption d’un nouveau RLP pour entrevoir la possibilité d’un contrat comportant des écrans animés. Ceci ne devrait pas se concrétiser «avant 2023», estime Isabelle Schlumberger, directrice générale de JCDecaux. Surtout, cette annulation pourrait avoir des conséquences sur l’offre locale d’affichage, voire le média en général, d’autant que le contrat transitoire portant uniquement sur les panneaux de 2 m2 pour préserver des supports jusqu’à mi-2019 a été rejeté par les juridictions administratives.

Sans appel

«Au final, personne n’est gagnant, déplore Valérie Decamp, PDG de Mediatransports. Une partie des recettes publicitaires s’en va vers d’autres médias.» Son homologue à Clear Channel, Philippe Baudillon, conçoit que «ce n’était peut-être pas une bonne chose pour le média mais le contrat était illégal». Et de souligner «avoir vainement expliqué pendant deux ans que mettre du digital était une erreur et avoir même écrit à la maire Anne Hidalgo pour expliquer pourquoi [il] ne dépenserait pas 200 000 euros dans un appel d’offres qui serait invalidé». Quant au patron d’ExterionMedia, Jean-François Curtil, il explique qu’il n’est «pas chargé de défendre le média mais son entreprise, ses salariés et ses intérêts ». Il attaque également la notion d’exclusivité attachée traditionnellement aux contrats parisiens, estimant qu’« un appel d’offres en plusieurs lots rapporterait au global davantage à la collectivité».

Après l’annulation de l’appel d’offres, les différents opérateurs ont, en tout cas, fait au mieux pour défendre leurs intérêts. À commencer par JCDecaux qui, handicapé par la mise hors-jeu de 1630 panneaux Mupi, a réaffecté son patrimoine sur le domaine public et privé. «60% de notre offre sur la capitale a disparu, ce que nous avons compensé partiellement. D’abord en rassemblant l’existant, ensuite en repensant notre offre, explique Isabelle Schlumberger. Il s’agissait de faire une vraie nouvelle offre, pas de prendre comme certains un réseau de 150 panneaux pour en faire deux fois 75. Résultat : seul un réseau culturel n’existe plus.» Chez Havas Media, Isabelle Pires note que «l’offre locale a diminué mais l’offre nationale s’est maintenue grâce aux kiosques et aux abribus». L’experte de la communication extérieure relève que «le groupe JCDecaux reste leader mais perd sa suprématie qualitative. Et cela met les régies qui développent le 8 m2 davantage en position de concurrentes».

4 millions de contacts supplémentaires

Ainsi, Clear Channel «a monté 35 nouvelles positions de 8 m2 sur les baux privés, représentant 4 millions de contacts supplémentaires», pointe la directrice marketing du groupe, Caroline Mériaux. Des panneaux qui viennent s’ajouter notamment aux 2 m2 existants en surface sur le domaine privé et en souterrain dans les parkings Indigo. Chez ExterionMedia, «la suppression des 2m2 et des Seniors [les 8 m2] chez Decaux, a créé deux manques : les CSP+ et le grand public, analyse le directeur marketing, études et data, Michel Van Der Veken. D’où la constitution de deux réseaux Must Paris Chic et Must Paris Power.» Soit respectivement 70 panneaux, touchant 2,4 millions d’individus, et 105 panneaux, pour 5,1 millions de personnes. De son côté, Mediatransports «n’a pas construit de contre-offre, souligne Valérie Decamp, et le marché a apprécié [son] élégance ». Il faut dire que la régie spécialisée dans l’affichage transports est détenue à 32% par JCDecaux, et ne se portera d’ailleurs pas candidate sur les appels d’offres parisiens. De même que, interrogé sur un potentiel futur appel d’offres portant sur l’univers RATP, son actionnaire minoritaire répond, via Isabelle Schlumberger, qu’«il a un partenaire qui s’appelle Mediatransports».

Gagner le Grand Paris

Il n’empêche que la remise en cause de l’appel d’offres de la Ville de Paris pourrait favoriser une redistribution des cartes sur le marché, via le renouvellement de contrats essentiels. Ceux portant sur la RATP, les gares et les aéroports «arrivent à échéance entre fin 2020 et 2023, Exterion compte bien ne pas rester inactif», prévient son PDG, qui rappelle que son «groupe n’a pas hésité à investir 100 millions d'euros dans le métro de Londres». Le réseau souterrain parisien suscite les convoitises, d’autant que «celui qui gagnera le métro gagnera le Grand Paris», estime Jean-François Curtil. Une vision partagée par l’opérateur actuel, qui estime qu’«il lui faut, pour cela, cultiver (son) expertise afficheur transport, comme le disait l’ancien PDG de Metrobus, Gérard Unger », rappelle Valérie Decamp. «Le Grand Paris, ce serait 2 millions de voyageurs en plus et peut-être 68 gares nouvelles, soit une estimation de 50 millions d’euros supplémentaires» sur un marché où Mediatransports réalise actuellement 250 millions d’euros environ.

L’autre régie experte du transport, Clear Channel, reconnaît «étudier de très près toutes ces perspectives de création de futurs carrefours d’audience, auxquelles s’ajoutent les JO de Paris 2024». Mais les incertitudes sont nombreuses. «Que sera précisément le Grand Paris et quelle en sera l’autorité? Gares et Connexions, propriétaire de l’univers ferroviaire, restera-t-elle rattachée à la SNCF ou pas? s’interroge Philippe Baudillon. Ce sont des enjeux qui dépassent les nôtres.» Seule certitude: «Le Grand Paris donnera des opportunités pour les marques car les gares seront équipées en digital, prédit Isabelle Pires. Cela va peut-être mettre la pression sur la ville de Paris». Tous les réseaux mènent à Paris et au numérique.

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