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En France, l’adblocking est prisé. Un secteur dont les Gafa ne sont pas absents. Chrome, Safari, Edge: la majorité des navigateurs intègrent désormais des solutions contre l’affichage de publicités. Analyse.

Les adblocksers ont la cote dans l’Hexagone. Un tiers des internautes français utilisent des bloqueurs de publicité, soit deux fois plus que la moyenne internationale, selon le cabinet eMarketer. Seuls quelques pays – la Suisse, la Pologne et l’Allemagne, qui comptent également plus de 30 % d’utilisateurs d’adblockers – peuvent lui contester sa première place mondiale.

Des utilisateurs vigilants 

« Pour des raisons d’histoire et de culture, dans quelques pays et particulièrement en France, les individus sont très sensibles aux questions relatives aux données personnelles et plus largement à la vie privée et à l’intime. Ils sont beaucoup plus vigilants que dans les pays anglo-saxons », souligne Sylvestre Ledru, qui est à la tête du bureau français de Mozilla depuis 2016.

Cette publiphobie française, Mozilla la connaît bien. Selon le Firefox Public Data Report de la fondation Mozilla publié en août dernier, plus de 18 % des utilisateurs français de Firefox (contre 9 % au niveau mondial) sont équipés d’Adblock Plus, l’extension maison de filtrage de publicité la plus utilisée dans le monde et dans l’Hexagone. « Aucun autre pays ne dispose d’un taux d’utilisation aussi fort », fait remarquer Sylvestre Ledru. Suivent les Allemands (15 %), les Polonais (14 %) et les Russes (13 %).

Quelles sont les pertes réelles liées à l’adblocking ? Si aucun chiffre officiel n’existe, quelques estimations circulent. L’année dernière, la start-up AdBack a notamment publié un premier classement éclairant les pertes annuelles de revenus publicitaires des éditeurs de contenus et des sites d’e-commerce, en France et dans le monde. Parmi les grands perdants au niveau mondial, YouTube (en 5e position) avec 219,5 millions de dollars de pertes. En France, Amazon souffre le plus (5,18 millions d’euros de pertes par an), devant Leboncoin (3,7 millions d’euros) et YouTube encore (3,4 millions d’euros). En moyenne, les adblockers amputeraient de 15 % à 20 % le chiffre d’affaires global des éditeurs de contenus. Côté annonceurs, on reste très discret sur les manques à gagner liés à la moindre efficacité des campagnes publicitaires, mais tous jugent les pertes « colossales ». Difficile à vérifier…

20% De mobinautes bloqueurs

Quoi qu’il en soit, le marché de l’adblocking semble promis à un bel avenir. Notamment sur mobile. Selon une étude récente du cabinet marketing Audience Project, l’usage des bloqueurs sur smartphone progresse à une vitesse vertigineuse partout dans le monde. Au point qu’en France, il y aurait déjà 20 % de mobinautes bloqueurs. « La plomberie publicitaire a été imaginée pour le desk-top, pas pour le mobile, qui reste sous-investi, relève Hugo Loriot, responsable de Fifty-Five New York, agence spécialisée dans la data. C’est un énorme challenge à relever pour la publicité, qui va devoir rapidement s’adapter. »

En attendant, comment contourner les blocages ? Déjà en faisant de la bonne publicité. « Plutôt que de combattre les bloqueurs, nous devons attaquer le problème à sa racine : à savoir en finir avec les publicités intrusives et ennuyeuses et proposer des formats comme la vidéo native plutôt que le pré-roll, qui donnent aux utilisateurs une meilleure expérience », souligne Yann Blat, directeur général France et Belgique de The Trade Desk. Après tout, aucun bloqueur n’expurge des contenus la totalité des publicités : adblockers et publicités ne sont pas forcément des frères ennemis. Si en surface la bataille entre publiphobes et publiphiles fait rage – à coups de mesures de contournement d’un côté et de développement de bloqueurs de publicités de l’autre –, le marché de la publicité et celui de son blocage se sont en réalité bel et bien réconciliés.

C’est le sens des grandes manœuvres de ces derniers mois. Après Apple qui a intégré Adblock Plus sur son navigateur Safari, Microsoft a fait de même sur Edge. Idem pour Google, le grand manitou de la publicité dont le modèle économique y est totalement adossé, qui a déployé sur Chrome un bloqueur pour s’attaquer aux publicités intrusives. Côté bloqueurs aussi, on brouille les cartes. Eyeo, l’éditeur allemand d’Adblock Plus, vient de lancer son propre adexchange programmatique baptisé Acceptable Ads Exchange (AAX). Une plateforme pour vendre de la publicité

et donc entrer sur le marché du programmatique. Pour faire partie des publicités non bloquées, il faut en effet passer à la caisse. AAX prélève la bagatelle de 20 % des montants qui transitent au travers de sa plateforme, soit un taux deux fois plus élevé que ceux pratiqués usuellement sur le marché…

Des pubs intrusives

Comment interpréter ces mouvements ? « Le marché est juteux dans son édition comme dans son blocage. Le problème, c’est que le second contrarie le premier. Mais si ceux qui fournissent des solutions pour la publicité peuvent aussi contrôler son blocage, tout s’arrange », glisse un fin connaisseur de la publicité en ligne qui préfère rester discret.

Cela ressemble à la stratégie de Google en la matière. La firme de Mountain View ne souhaite évidemment pas bannir les publicités dont elle tire la majorité de ses revenus, mais bloquer les plus intrusives selon les critères définis par la Coalition for Better Ads, une organisation d’acteurs du web dont elle est membre avec notamment Facebook et Microsoft. Résultat, sur 55 types de publicité, Google n’en bloque que 9 alors qu’Adblock Plus en stoppe 51, fait-on savoir chez Mozilla. Mais surtout, « la publicité

intrusive ne se résume pas à la pollution visuelle et aux pop-up intempestifs,
précise Sylvestre Ledru. Il faut prendre en compte la partie immergée de l’iceberg, à savoir les publicités qui nuisent à la vie privée par le retargeting et un pistage excessif. » Les navigateurs Safari d’Apple et Firefox de Mozilla se sont inscrits dans cette voie : en finir avec certaines collectes automatiques de données via les cookies. Lancée en novembre 2017, cette fonctionnalité a déjà été activée par près de 4 % des utilisateurs français de Firefox. Là encore un record : ce taux ne dépasse pas les 2 % chez tous les autres utilisateurs dans le monde. 

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