Technologie
Si les écrans s’invitent de plus en plus tôt dans la vie de nos enfants, il y a des règles à respecter pour les protéger. Conseils d’experts.

Noémie a 5 mois. Sa mère explique avec un regard bienveillant : « Ma fille, c’est incroyable, elle aime le téléphone! Regardez… Dès que je lui enlève, elle hurle, donc je lui redonne, évidemment.» Sûre de faire plaisir à son enfant. 

Mattéo a 4 ans. Il connaît tous les dessins animés par cœur, tous les longs-métrages pour enfant. Il faut dire que ses parents trouvent judicieux de « l’aider à avoir du vocabulaire » grâce aux écrans. 

Samantha a 13 ans. Elle vient de recevoir son deuxième avertissement avant expulsion du collège, car elle dort en cours. Personne ne sait qu’elle passe ses nuits sur les réseaux sociaux après avoir récupéré son portable dans la chambre de ses parents qui croyaient l’avoir bien caché. Une grande partie de la population n’a pas pris conscience du danger et des conséquences des écrans. 

«Le Conseil supérieur de l’audiovisuel préconise : pas d’écrans avant 3 ans», rappelle Carole Bienaimé-Besse, conseillère chargée de la protection de la jeunesse au sein de l’institution. Télévision, smartphone, et tablette… Agnès Buzyn, ministre de la Santé, déclare que «l’exposition des très jeunes enfants aux écrans a des conséquences sur le développement du cerveau, l’acquisition du langage et le niveau de concentration.» 

Selon le magazine Top Santé, «près d’un jeune sur huit aurait un usage problématique vis-à-vis des écrans: le temps passé devant les écrans avoisinerait plusieurs dizaines d’heures par semaine. C’est le deuxième motif de consultation médicale après le cannabis.» 

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) alerte à son tour. Depuis juin 2018, l’OMS reconnaît l’addiction aux écrans et  notamment aux jeux vidéo comme une maladie. Ce n’est pas l’objet qui est à incriminer, mais le comportement face aux écrans. Les constats et solutions d’une psychologue, d’un médecin, et d’une sexologue.

LA PSY 

Selon Sabine Duflo, psychologue, thérapeute familiale, l’enfant ne s’arrête pas de lui-même : il peut rester scotché des heures devant un écran et lorsqu’on l’arrête, il crie, il pleure ou se montre très irritable et nerveux même dans les heures qui suivent. L’effet est plus marqué lorsqu’il s’agit d’un contenu pauvre en narration mais truffé d’effets visuels (zooms, sons pulsés, effets stroboscopiques) qui vont stimuler fortement l’attention réflexe de l’enfant. Les dessins animés ultra-rapides dont ils raffolent (Beyblade, Cars,Dragon Ball Z) fonctionnent sur ce principe.

Les écrans sont devenus la cause numéro un des conflits dans les familles. Les parents se battent au quotidien pour limiter le temps que l’enfant y consacre, ou alors ils ont totalement renoncé et luttent contre les effets secondaires du temps volé par les écrans : baisse des résultats scolaires, manque de curiosité, irritabilité de l’enfant, difficulté d’endormissement … 

Même peu exposé durant l’enfance, un adolescent peut devenir accro aux jeux vidéo : ils ont été conçus pour cela. La preuve avec le phénomène Fortnite. Sabine Duflo reçoit au centre médico-psychologique des jeunes qui se déscolarisent progressivement, pour lesquels on diagnostique trop rapidement une phobie scolaire, alors qu’en réalité, ils passent la quasi-totalité de leur journée devant Fortnite. Et quand ils ne sont pas devant ce jeu, ils ont un comportement si intolérable au collège (bavardage, asticotage des camarades, provocation des enseignants, etc.) qu’ils cumulent les exclusions. Ils sont devenus totalement intolérants à toute situation de frustration, incapables de s’intéresser à une conversation, un cours, une lecture, qui requièrent une attention volontaire ou une concentration nécessaire aux apprentissages. 

Les conseils de la psychologue Sabine Duflo: avec un adolescent (à partir de 12 ans), il faut discuter et lui faire comprendre qu’il est sous emprise, qu’il ne dispose plus de son libre arbitre. Il n’a plus le choix de jouer ou de ne pas jouer. Il faut qu’il comprenne qu’il obéit à des mécanismes d’addiction développés par les concepteurs eux-mêmes. On lui décrit les effets secondaires de cette addiction : déscolarisation, difficulté à mémoriser, à être attentif, sommeil troublé... Et avec son accord, un sevrage progressif ou total est mis en place. D’autres activités, si possible de plein air, viennent remplacer le temps libéré. Et lorsqu’il va mieux, les jeux vidéo ne doivent pas être réintroduits : comme pour un alcoolique, vous ne réintroduisez pas progressivement le vin après une période d’abstinence. Il faut donc toujours un fort investissement parental pour sortir le jeune de l’addiction aux écrans.

Pour gérer l’accès à l’écran après l’âge de 3 ans, Sabine Duflo préconise les fameux « 4 pas », issus des recommandations de l’AAP (académie américaine de pédiatrie) :

1. Pas d’écran le matin.

2. Pas d’écran à table.

3. Pas d’écran une heure avant de se coucher.

4. Pas d’écran dans la chambre.

LE MÉDECIN

Pour Anne-Lise Ducanda, médecin de PMI (Protection maternelle et infantile), le risque des écrans, c’est que ce ne sont pas des jouets ou des activités comme les autres, alors qu’ils ont été introduits dans la société et dans les familles parfois comme tels. On offre une tablette à Noël, on joue aux jeux de société sur sa tablette, on fait un peu de puzzle sur son smartphone… En réalité, il y a une sur-stimulation visuelle et sonore qui capte involontairement l’enfant sans qu’il parvienne à s’en détacher. Cette addiction touche tous les âges.

Une grande vigilance est requise pour les moins de 3 ans : leur cerveau n’a pas le temps de réfléchir, ou de traiter les informations, et comme ils n’ont pas encore maîtrisé le langage, ils peuvent répéter de façon mécanique des phrases d’un dessin animé hors contexte qui n’ont rien a voir avec ce qu’ils sont en train de vivre. Les parents pensent que l’enfant parle alors qu’en réalité, il n’a rien assimilé.

Un tout-petit devant un écran est sans interaction ; celle-ci leur est pourtant indispensable pour évoluer, notamment avec les parents. Ils ont besoin de se construire à travers les yeux, les paroles des parents, qui mettent du sens dans les mots. L’enfant se concentre sur ce que le parent lui dit et tout prend du sens. Sur écran, il est envahi par de nombreuses stimulations visuelles et sonores sans qu’il ne sache faire le tri, ou décrypter.

Une éducation par l’exemple de la part des parents aura plus d’impact. Un adulte est en moyenne cinq heures par jour devant son écran en dehors de son temps de travail, selon le docteur Ducanda. C’est à dire cinq heures de temps en moins de disponibilité pour l’enfant. On observe de plus en plus de parents présents- absents. Ils sont dans la même pièce, mais ils ne sont pas dans l’interaction avec l’enfant, ou suffisamment attentifs. Beaucoup de parents consultent leur smartphone alors qu’ils sont en train de jouer avec leurs enfants… 

Selon une étude d’AVG technologies, précise Anne-Lise Ducanda, 50 % des parents avouent se laisser distraire durant leurs échanges avec leurs enfants, 38 % des parents utilisent un smartphone pendant qu’ils mangent, 28 % pendant qu’ils jouent avec leurs enfants, 45 % des enfants trouvent que leurs parents consultent trop leur téléphone et  27 % rêvent même de le confisquer à leurs parents.

L’écran vole du temps aux parents, comme aux enfants, ce qui limite le temps d’échange. L’enfant se construit pourtant en explorant l’environnement avec ses cinq sens et en interagissant avec ses parents et un adulte. Le cerveau et le langage notamment ne se développent pas correctement. Le docteur Ducanda constate que les enfants trop souvent devant l’écran sont dans leur bulle, ne regardent plus ni papa, ni maman, et restent dans leur monde.

Les familles monoparentales sont les premières à utiliser les écrans notamment pour faire leurs tâches ménagères, être tranquilles. Le pire, c’est que les parents croient bien faire et que ces objets technologiques les préparent au monde de demain.

LA SEXOLOGUE

Selon la sexologue Christèle Albaret, les écrans ne doivent pas être vus comme un danger mais comme un « outil » avec un mode d’emploi qui doit s’adapter à chaque tranche d’âge. L’accès à des contenus inadaptés et pour lesquels les enfants et les ados ne sont pas préparés psychiquement représentent les principaux dangers des écrans : risque de choc émotionnel pour les plus petits, mauvaises rencontres et cyberharcèlement pour les plus grands, ainsi que l’accès à des contenus pornographiques ou des tentatives d’enrôlement auprès d’adolescents en quête d’identité allant même jusqu’à la promotion de l’anorexie, du suicide aux dérives sectaires...

Les pré-adolescents sont déjà confrontés aux sextos (contenus à caractère sexuel ou érotique par SMS), aux contenus pornographiques : des éléments à partir desquels ils se construisent un référentiel sur ce qu’est la sexualité. À l’adolescence se construit une sorte d’ambivalence entre ce que l’ado aimerait (un vrai amour d’ado) et l’injonction de ce qu’ils regardent sur le net.

Les adolescents apprennent la sexualité sur Youporn, Tukif ou avec Jacquie et Michel. Ils en rigolent socialement mais quand ils se retrouvent seuls avec eux-mêmes, ils ont plus souvent envie d’une relation plus douce. L’injonction de la performance de ces sites les pousse à grandir très vite sans y être préparés et transforme le rapport à l’autre : objectivation, humiliation, soumission, etc.

Comment protéger son enfant face à la pornographie ? En lui parlant, sans tabou, de la sexualité de façon pédagogique, et non pas en mode « copain ». En indiquant que les images pornographiques ne sont pas la seule réalité. On peut faire un parallèle avec la fiction (ce qu’il comprend). En lui rappelant que personne n’a le droit de lui demander de faire des photos de lui pour les rendre accessibles (même par Snapchat), lui faire comprendre que sur internet, les images restent.

Demandez à un enfant de 12 ans par exemple, s’il aimerait que pour sa photo de profil, on mette une photo de lui à 5 ans. L’ado répondrait non car, justement, la quête de l’identité est importante ; expliquer que c’est exactement cela sur internet : tout ce qui sera posté restera et deviendra public. Sa vie n’est pas publique, mais intime précieuse. Aidez-le à faire des choix dans les photos qu’il publie pour l’aider à grandir et former son libre arbitre.

Conseil : suivre la règle 3-6-9-12 ans pour apprivoiser les écrans, créée par le psychiatre Serge Tisseron, permet de s’adapter en fonction du développement psycho-émotionnel de l’enfant.

1. Pas d’écran avant 3 ans.

2. Pas de console personnelle avant 6 ans.

3. Internet après 9 ans.

4. Les réseaux sociaux après 12 ans.

Avant 3 ans, pas d’écran, donc, car l’enfant a besoin d’interagir avec son environnement en utilisant ses cinq sens.

De 3 à 6 ans, l’enfant a besoin que les parents soutiennent la sélection pour apprendre à s’autoréguler. Privilégier les programmes où l’on joue à plusieurs, en famille car jouer seul devient stéréotypé et compulsif.

De 6 à 9 ans, votre enfant peut accéder à des jeux vidéo qui ne sont pas de son âge. Il est impératif de l’initier au droit à l’image et à l’intimité. Parlez de ce qu’il a vu sur écran. 

De 9 à 12 ans, je n’écris que des choses que je pourrai dire en face.

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