Décryptage
Le Parlement européen et le Conseil de l'UE ont approuvé la réforme européenne du droit d'auteur: une victoire pour les artistes et les médias mais un revers pour les Gafa et les partisans de la liberté du net. Décryptage avec l’avocate Éloïse Wagner, par ailleurs youtubeuse sous le pseudonyme 911 AVOCAT.

[Article publié dans le n°1990 de Stratégies et mis à jour le 15 avril] 

 

Le contexte

Après deux ans de discussions mouvementées, le Parlement européen a adopté le 26 mars la directive sur le droit d'auteur. La réforme a été définitivement validée par le Conseil de l'Union européenne le 15 avril (1). Un nouvel ensemble de règles qui entend adapter à l'ère du numérique la législation datant de 2001… Une époque où Youtube n'existait pas.
Le texte considère qu’une plateforme en ligne qui réunit et diffuse un nombre conséquent d’oeuvres en est responsable. Ainsi, Youtube, Facebook, Instagram ou encore Soundcloud, devront obligatoirement passer des accords de licence avec les sociétés de gestion comme la Sacem, la SACD ou la Scam. A noter que la directive concerne aussi bien la musique que la photo, la vidéo ou le texte… En somme, toute production susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. Objectif: permettre aux artistes de percevoir une partie des revenus générés par la diffusion de leurs oeuvres.

La polémique

Cette réforme aux gros enjeux financiers a fait l'objet d'un lobbying sans précédent. Dans le camps des défenseurs, les artistes et les médias, qui insistaient pour que les géants de la Silicon Valley, qui profitent des retombées publicitaires générées par les oeuvres qu'ils hébergent, rétribuent plus justement les musiciens, cinéastes, photographes, éditeurs... Dans le camps des détracteurs, les plateformes et les partisans d'un internet libre craignaient de voir restreint ce canal de diffusion.

Autre problème: «La directive demande aux plateformes de négocier des licences auprès de sociétés qui ne regroupent pas l'intégralité des artistes. En fait, on impose un système qui est techniquement impossible à respecter», remarque Éloïse Wagner, alias 911 Avocat sur Youtube, avocate en propriété intellectuelle.

En outre, pour trier les contenus, le plus simple est d'utiliser des filtres automatiques. Mais ceux-ci sont accusés d'ouvrir la porte à la censure. Difficile pour des algorithmes de faire la différence entre du contenu qui enfreint les droits d'auteur et les caricatures ou les parodies, non concernées par la directive...
«Il n’y a pas de solution idéale et c’est la raison pour laquelle la réforme est tant décriée. Les intérêts en jeu sont complexes. D’un côté, la liberté d’expression, de citation, qu’il faut protéger. De l’autre, le droit des auteurs sur leurs propriétés», pèse l’avocate.

 

Le dénouement

«En réalité, les plateformes ont déjà pris beaucoup d’avance. Notamment Youtube, qui a négocié de nombreux accords avec les sociétés de gestion et mis en place «Content ID», un outil pour lutter contre le vol ou la copie», explique Éloïse Wagner. De même, Facebook a lancé Rights Manager.
Pour les créateurs de contenus, en revanche, la suite s’annonce compliquée. Il existe bien des plateformes permettant d’obtenir de la musique libre de droit, à l'instar de «A Music»... Mais la directive rend les processus plus complexes et va de toute évidence refroidir la créativité.

«La solution serait de faire des vidéos sans citation… Mais c’est impossible. C’est d’ailleurs contraire à l’esprit d’internet qui repose sur le principe de reprise et de détournement, dans une sorte de grande émulation collective», déplore l’avocate. Mais faisons confiance au «world wide web», dont les tentatives de régulation n’ont jamais vraiment abouti (cf. Hadopi), pour contourner ces règles en toute légalité… ou pas.

(1) Six pays membres se sont opposés à cette directive : l’Italie, la Finlande, la Suède, le Luxembourg, la Pologne et les Pays-Bas. 

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