Dossier Innovation média
D'Arte Radio à Binge Audio, en passant par Prisma et bientôt Majelan, le monde du podcast est en pleine ébullition. Et si le modèle publicitaire est aujourd’hui la norme, Spotify ou la récente plateforme américaine Luminary entend bien imposer l’abonnement payant.

Je podcaste, tu podcastes, ils podcastent… Aujourd’hui, tous les médias se mettent à la baladodiffusion (un terme cher aux Québécois mais qui n’est pas rentré dans le langage courant en France). « Podcast, c’est le buzzword du moment », confirme Gwendoline Michaelis, chief audio officer du groupe Prisma Media. On ne compte plus le nombre de podcasts disponibles : Game of Thrones remixe l’histoire par le magazine Ça m’intéresse, Les Scoops Auto-Moto, Football recall par So Foot, pour ne citer que quelques-uns des plus récents. Sans oublier les défricheurs : Là-bas si j’y suis, l’émission iconique de Daniel Mermet sur France Inter qui s’est refait une nouvelle jeunesse grâce au téléchargement payant (90 000 abonnés revendiqués) à la suite de son éviction de l’antenne, et Journal d’une prof qui, dès le début des années 2000, a imposé Arte Radio comme le pionnier français du genre.

Radio de rattrapage

En avril 2018, Médiamétrie comptabilisait 4 millions d’auditeurs de podcasts par mois, soit 8,5 % des internautes. Mais derrière ce chiffre, se cache une réalité plus complexe. Le terme générique « podcast » recèle en effet deux offres bien distinctes : la rediffusion en replay d’émissions radio et les podcasts natifs, programmes sonores qui ont été spécifiquement créés pour une écoute en dehors des ondes. Désormais, ce sont près d’un quart des internautes qui écoutent chaque mois des programmes podcastés (22,8 %), selon la dernière étude Global Audio de Médiamétrie, publiée en mars dernier. La grande majorité d’entre eux utilisent le podcast comme radio de rattrapage (19,5 %), même si l’écoute des podcasts natifs commence à émerger (6,6%).

Mais si l’engouement des auditeurs commence à se faire sentir, « cela reste encore assez anecdotique sur le plan publicitaire », relativise Jérémy Bréot, directeur général adjoint de l'agence Vizeum (Dentsu Aegis Network). À l’horizon 2022, les podcasts ne devraient représenter que 4,5 % des investissements publicitaires audio au niveau mondial, ajoute Jérémy Bréot, citant une étude réalisée par le cabinet de recherche Warc.

Le foisonnement est tel que plusieurs pure players ont fait leur entrée sur le marché afin de produire des podcasts natifs : Binge Audio, dont les contenus sont inspirés par la pop culture, Nouvelles Écoutes, qui veut porter un « regard aiguisé sur la société », ou encore Louie Média, en attendant le lancement fin mai de la plateforme Majelan par Mathieu Gallet, ancien président de Radio France. Le boom du podcast suscite aussi l’attrait des médias traditionnels, qui multiplient les formats. Dernier en date, le lancement d'un podcast quotidien au Parisien ainsi qu'aux Échos, en partenariat avec Binge Audio, avec qui le groupe de presse a noué un accord capitalistique.

Grand bouleversement

Mais alors, si Arte Radio fait du podcasting depuis 2002, quoi de neuf dans l’univers du téléchargement des émissions audios ? Réponse : Home et Alexa. Les assistants vocaux de Google et Amazon, lancés ces dernières années, devraient bousculer voire révolutionner l’écoute et la production audio en général. Mais ils ne sont que la première étape du grand bouleversement en cours, si l’on en croit Chérifa Afiri, country manager France de Targetspot, la régie des podcasts de Radio France (60 millions de téléchargements par mois). « Dans toutes les innovations majeures qui arrivent sur le marché, comme la voiture ou la maison connectée, la place de la voix sera cruciale. Nous sommes au tout début de l’aventure de l’audio digital », détaille-t-elle. Une analyse partagée par Gwendoline Michaelis : « Aujourd’hui, la production de podcast prend tout son sens avec l’accélération des flux, la connexion permanente, l’intelligence artificielle et la data. »

Quid de la publicité ? Aux États-Unis, le marché croît à un rythme soutenu : +86 % en 2017 et +28 % estimés en 2018, pour atteindre 313,9 millions de dollars, selon une étude IAB-PwC de juin 2018. D'ici 2020, les recettes publicitaires générées par les podcasts pourraient même atteindre 659 millions de dollars, toujours aux États-Unis. Pour les producteurs de podcasts, deux principales sources de recettes se dégagent : la publicité et la production en marque blanche. C’est le modèle retenu, par exemple, par Prisma Media, qui revendique 6 millions d’écoutes cumulées sur les six premiers mois d'exercice pour une vingtaine de podcasts, ou encore par Reworld Media (50 000 à 70 000 écoutes par jour, selon l’éditeur). Tous deux proposent aux annonceurs des pre-roll ainsi que la production de podcasts en marque blanche, mais restent très discrets sur les recettes générées. De son côté, Binge Audio finance ses activités par la publicité (de 25 % à 33 % de ses recettes entre 2018 et 2019) et le brand content (60-65 % du chiffre d'affaires). La start-up n’a en revanche pas mis en place le système d’abonnement premium envisagé au départ. À la place, elle recueille des contributions financières d’auditeurs directement via l’auto-édition de livres ou la production de spectacles.

Pour autant, si le modèle du financement de la production de podcasts par la publicité domine largement, l’ère de l’abonnement payant a peut-être sonné. Spotify a annoncé vouloir investir 500 millions d’euros dans les podcasts. Déjà, la plateforme de streaming a acquis début 2018 le producteur de podcasts natifs Gimlet Media, l’outil de podcasting Anchor et teste actuellement, selon The Verge, Your Daily Drive, une playlist qui propose des podcasts en plus de musiques (et toujours en ciblant les préférences de l’auditeur grâce à son algorithme). Quant à Luminary, la plateforme américaine de podcasts qui vient de se lancer à la suite d'une levée de fonds de 100 millions de dollars, elle a jeté un pavé dans la mare en tweetant : « les podcasts n’ont pas besoin de publicité ». Mais les auditeurs sont-ils prêts à payer ? Le tout récent arrêt de BoxSons, deux ans après son lancement par Pascale Clark, montre que rien n’est moins sûr…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.