Nouvelles technologies
L'interdiction de la reconnaissance faciale à San Francisco, capitale mondiale des hautes technologies, illustre les préoccupations grandissantes entourant cette technique du futur à la croissance fulgurante, observée avec inquiétude en raison des doutes quant aux risques d’empiétement sur les libertés individuelles.

Huit des neuf membres du conseil municipal de la mégalopole californienne San Francisco se sont prononcés ce mardi 15 mai pour une nouvelle réglementation consistant à bannir l'utilisation d'outils de reconnaissance faciale par la police et d'autres agences du gouvernement local. Une première dans une ville américaine. Celle-ci doit encore faire l'objet d'un vote de procédure la semaine prochaine avec néanmoins peu de probabilité que cela change la donne.

Système de surveillance

Techniquement, la reconnaissance faciale peut scanner le visage d'un individu et le comparer à une base de données existante. La technologie peut être utilisée pour déverrouiller un téléphone ou une voiture, payer en magasin, ou faire vérifier son identité devant une borne de retrait bancaire.

Mais son utilisation à des fins judiciaires a suscité un tollé parmi les défenseurs des droits humains en raison de potentielles erreurs, cette technologie reposant sur la construction de larges bases de données, sans système de surveillance garanti.

En outre, la reconnaissance faciale a très mauvaise presse depuis que la Chine a annoncé le déploiement d'un vaste système de surveillance dont l'objectif est de traquer les criminels. Cet outil pourrait être détourné et utilisé contre la population, à l'image de son utilisation pour surveiller les mouvements de la minorité musulmane ouïghoure, selon des informations de presse.

Technologie est imparfaite

La décision des autorités de San Francisco «est un rappel que nous ne sommes pas à la merci des nouveautés liées à la technologie», réagit Jay Stanley, analyste politique au sein de l'association American Civil Liberties. «Il est certes impossible d'interrompre la recherche et le développement de nouveaux outils. Mais cela ne signifie pas que l'on ne puisse pas empêcher le déploiement de technologies qui nuisent à nos valeurs», ajoute-t-il.

Les militants des libertés individuelles affirment également que cette technologie est imparfaite, plusieurs études montrant une marge d'erreur élevée touchant les minorités. «En l'état actuel, il est inapproprié pour les agences gouvernementales d'utiliser la reconnaissance faciale car les risques dépassent largement les potentiels avantages», insiste Evan Selinger, professeur au Rochester Institute of Technology.

Tiffany Li, chercheuse en droit au sein de l'université de Yale abonde dans ce sens, affirmant que des progrès doivent être encore réalisés pour étudier l'impact de cette technologie sur les libertés. Elle «n'est pas exacte, juste, ou suffisamment sûre pour le moment. Et nos lois ne peuvent pour l'instant pas nous protéger de potentiels abus», explique-t-elle dans un tweet.

George Orwell

Parmi les autres critiques, le président de Microsoft Brad Smith a affirmé l'an dernier qu'il était urgent d'imposer des limites pour éviter de vivre les situations décrites dans l'ouvrage de George Orwell, «1984», décrivant un monde de surveillance généralisée. Malgré l'interdiction à San Francisco, de nombreuses villes américaines utilisent la reconnaissance faciale.

Une étude menée en 2016 par l'université de Georgetown a démontré qu'environ 64 millions d'Américains étaient dans au moins «une liste virtuelle», bien que la plupart n'avaient aucun antécédent judiciaire et qu'il était difficile de savoir réellement si les informations stockées étaient correctes et n'affectaient personne de manière abusive.

La reconnaissance faciale est par ailleurs déployée dans des aéroports américains, avec l'objectif d'aider à faire embarquer et débarquer plus rapidement les passagers, surveiller de potentiels suspects.

L'interdiction imposée à San Francisco ne concerne pas les aéroports ni les sites régulés par les autorités fédérales. Des expérimentations seraient par ailleurs menées par les douanes sur la lutte contre l'immigration illégale.

Argument sécuritaire

L'argument principal de ses défenseurs est celui de la sécurité. Les autorités «peuvent utiliser la reconnaissance faciale pour identifier efficacement les suspects, retrouver les enfants disparus ou les seniors introuvables, et sécuriser les accès aux bâtiments publics», tout cela à des prix moins élevés, affirme Daniel Castro, vice-président du centre de réflexion Information Technology and Innovation Foundation. «Ironiquement, une interdiction représente un pas en arrière quant à la protection de la vie privée», estime-t-il.

«Plutôt que d'avoir des humains qui surveillent des caméras de surveillance, la reconnaissance faciale utiliserait des caméras indépendantes», poursuit Daniel Castro.

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