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L'actu vue par Clémence Allezard, coprésidente de l'Association des journalistes LGBT.

La troisième cérémonie des Out d’or, le 18 juin dernier.

Cela fait trois ans qu’on organise cette cérémonie. Toute l’année, nous sommes plutôt dans la tension, la discussion avec nos collègues, à distribuer parfois des mauvais points, pour inciter à informer sans discriminer. Mais les Out d’or sont une démarche plus positive, pour donner à voir, à entendre, ce qu’on aimerait davantage lire dans les médias. Nous récompensons les médias ou les journalistes qui ont fait un travail important, engagés pour lutter en faveur des invisibilisés : les personnes noires, les féministes, les lesbiennes, les gays… Et nous sommes contents car cette année, nous avons eu beaucoup plus de monde, et plus de retour en ligne ou dans la presse, avec des retombées significatives. 

On s'aperçoit que les médias généralistes s’emparent davantage des questions LGBT. Les sujets sont plus traités, mais attention, ce n’est pas forcément pour le mieux. Nous savons qu’il y a encore beaucoup de bras de fer en interne pour faire passer certains sujets, pour éviter de donner la parole à la Manif pour tous dès qu’on parle de PMA. On garde notre rôle de vigie, car il y a toujours dans les rédactions une vieille garde frileuse. Et si dans quelques médias, cela change avec des femmes ouvertement féministes qui ont pu être embauchées, comme chez 20Minutes, elles sont toujours gouvernées par les mêmes hommes… Mais nous savons qu’il y a plus de débats en interne, et c’est déjà un pas en avant. 



Le traitement de la Coupe du monde féminine de football.

C’est formidable, pour la première fois les joueuses ont été mise à la une. On a remarqué un engagement actif des médias. Tous ont parlé de cette coupe du monde, et cela a fait des records d’audience. C’est un bon pied de nez à ceux qui pensaient que ça n’intéressait personne. Évidemment, si on n’en parle jamais, on ne saura jamais si cela intéresse ! 

De manière générale, le traitement médiatique a été assez juste. Tout le monde a fait attention (ils savaient qu’ils étaient attendus au tournant!) L’Équipe, par exemple, a montré beaucoup de justesse, en dehors du dimanche de la finale où le journal a préféré faire la une sur le Tour de France. Ce ne serait jamais arrivé un jour de finale de coupe du monde pour les hommes… Autre chose que nous pouvons déplorer, c’est qu’il n’y ait pas eu beaucoup de commentatrices, alors que plusieurs anciennes joueuses auraient pu être mises en avant, comme Marinette Pichon. 



Le tabou médiatique autour de l'homosexualité de certaines joueuses

Pour le moment, dans la sélection française, aucune femme n’a été « outée ». Peut-être parce que les conditions ne sont pas réunies pour le faire. Aujourd’hui, elles peuvent encore perdre des sponsors, ou être la cible de violentes vagues de lesbophobie. Les exemples qu’on a dans l’histoire avec Amélie Mauresmo, par exemple, sont éloquents… Il faudrait peut-être d’abord créer des conditions saines pour pouvoir s’assumer publiquement sans risque. Comment cela se fait-il que dans les autres pays, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Angleterre, on puisse traiter ces sujets ? Quand on voit l’américaine Megan Rapinoe, en couple avec la basketteuse Sue Bird, engagées ensembles dans diverses causes dans les médias, et soutenues par leur fédération dans des tweets avec un émoji arc-en-ciel par exemple… Il faut mettre en regard le silence français. Lors de cette coupe du monde, il y avait environ 41 joueuses dont 2 coachs lesbiennes. Elles auraient pu avoir une visibilité inédite. Mais ça n’a qu’à peine été traité.



Le lancement du Grenelle sur les féminicides.

Le principal, c’est qu’on parle bien de féminicides. Dans les questions de discriminations, la bataille sémantique est très importante. Et si ce terme commence à s’imposer, c’est grâce au travail de fond des associations, depuis des années et des années. Ce n’est pas anodin ! Il faut arrêter les périphrases ou le terme « violence conjugale » qui minimise ou masque ou réalité. On tue les femmes parce qu’elles sont femmes. Nous sommes en juillet, et on compte déjà plus de 70 femmes tuées depuis le début de l’année ! Elles ont été tuées par leur conjoint ou leur ex, parce qu’elles ont voulu rompre… Alors oui, c’est important de bien nommer les choses. On ne peut pas le mesurer tout de suite, mais l’imaginaire collectif change, et cela, c’est primordial.



La proposition de loi de Laetitia Avia sur la haine en ligne. 

Toute la question réside dans l’expression « contenus manifestement illicites ». Ça veut dire quoi ? Cela peut vite devenir liberticide. Imaginons quelqu’un qui s’exprime sur les violences policières, ou contre un pouvoir en place. C’est toujours la même question : qui va être en charge, et quels moyens allons nous mettre en face ? Ça peut susciter des inquiétudes. Lutter contre la haine en ligne et très important, surtout lorsqu’on voit les proportions que cela peut prendre. Mais il faudrait aussi travailler le mal plus en amont. Interdire et criminaliser ces propos plus tôt. La question de la discrimination ou de la haine ne se résout pas seulement en interdisant un tweet. 



Carola Rackete, capitaine du Sea-Watch, qui accoste en Italie.

J’admire sa position d’ultra-fermeté, pour mettre l’Europe, et pas seulement l’Italie, face à ses contradictions et sa politique de non-accueil des migrants. C’est un peu David contre Goliath, mais elle accoste quand même. Cette image était magnifique. Et elle a eu des mots très marquants: « je suis blanche, j’ai des diplômes, le bon passeport donc j’ai comme une obligation morale de venir en aide à ceux dans le besoin ». J’ai trouvé cela hyper-important d’insister sur sa propre responsabilité quand on est privilégié, en position de pouvoir, de venir en aide et d’agir. Cela doit nous questionner : si j’ai des privilèges, qu’est ce que je peux en faire pour aider les autres ?

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