Politique
S'il bénéficiait après sa présidence d'une image sympathique et cordiale, l'ancien président français Jacques Chirac, décédé jeudi à l'âge de 86 ans, a entretenu des rapports chaotiques avec la presse, tantôt chaleureux, tantôt brusques et très contrôlés, selon certains de ceux qui l'ont suivi.

«C'était quelqu'un de compliqué dans ses rapports avec la presse. Il pouvait être très cordial quand il s'entendait bien avec les gens, très dur quand il s'entendait mal. Moi j'ai tout connu», raconte à l'AFP Alain Duhamel, vétéran du journalisme politique, aujourd'hui en poste sur RTL et BFMTV.

L'association de la presse présidentielle a salué un «homme de dialogue, qui entamait volontiers la conversation avec les reporters» et «respectueux de la liberté de la presse», quand le Comité de Liaison de la Presse (photographes et cameramen) se rappelle d'un «grand homme d'Etat, profondément humain, sincère et respectueux du travail des médias».

Chaleureux et brutal

«Il pouvait avoir des rapports chaleureux avec des journalistes. Avec les institutions, il pouvait être extraordinairement brutal», se souvient Alain Duhamel. «Quand je suis arrivé à Europe 1 en 1974, il a vidé toute la direction» en tant que Premier ministre.

Cet auteur de nombreux ouvrages sur la Ve république, se souvient encore que «pendant la campagne de 1981, en coulisses d'une émission, il a passé un savon terrible à Maurice Ulrich, son ancien directeur de cabinet à l'époque patron d'Antenne 2, parce qu'il était furieux du traitement général de la chaîne pendant la campagne».

«Il y a plusieurs périodes à distinguer dans sa vie. Lorsque je l'ai suivi, c'est-à-dire à un moment où il était en fin de carrière, les rapports avec les journalistes étaient très cadenassés, pas du tout en liberté comme cela avait pu être le cas lorsqu'il était un jeune ministre, lorsqu'il était maire de Paris», se remémore Béatrice Gurrey, grand reporter au Monde, qui a couvert pour le quotidien le second mandat de Jacques Chirac à l'Elysée (de 2002 à 2007).

Sens de la formule

«Dans la période où je l'ai suivi, c'était extrêmement difficile de le voir, encore plus difficile de discuter avec lui, et les seuls moments où on pouvait poser des questions c'était lors des voyages à l'étranger, et il refusait de parler de la France», confie à l'AFP la journaliste qui a consacré trois ouvrages à l'ancien président, dont «Les Chirac, les secrets du clan», paru en 2015 chez Robert Laffont.

«Il a participé à beaucoup d'émissions et a vu beaucoup de journalistes quand il était dans l'opposition, moins quand il était au pouvoir et relativement peu à l'Elysée» même si il en voyait quand même davantage qu'Emmanuel Macron aujourd'hui, abonde Alain Duhamel.

S'il décide d'agrandir la salle de presse à son arrivée à l'Elysée en 1995, il «parlait une fois par trimestre et c'était un événement», décrit Elizabeth Pineau, accréditée à l'Elysée pour Reuters, au micro de France Culture. «Quand il parlait, c'était organisé, calibré, secret. Pendant des jours entiers on ne savait pas ce que le Président faisait. Imaginez, lors des émeutes de 2005, il a parlé au bout de dix jours. Cela paraît complètement inimaginable aujourd'hui», ajoute-t-elle.

«Sa fille Claude, qui était chargée de sa communication depuis l'époque de la mairie de Paris à la fin des années 1980, avait tout-à-fait compris l'importance de la communication et notamment du prompteur, cet outil technique qui semblait lui faire dire ses discours par coeur, sans feuille, alors qu'évidemment il les lisait sur un écran invisible», détaille Béatrice Gurrey.

«Il répétait beaucoup ses discours, il se les mettait en bouche le dimanche, il faisait venir du monde à l'Elysée. Il supprimait une virgule par ci, par là, mais tout était extrêmement contrôlé», note-t-elle.

«Il avait aussi un sens de la formule extraordinaire, conclut-elle. "La mégère... sur un plateau" (adressée en 1988 à l'attention de Margaret Thatcher, ndlr), ou "abracadabrantesque" - mot trouvé semble-t-il par  Dominique de Villepin - les formules de Jacques Chirac sont géniales!»

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