Portrait
Le patron de Vanity Fair, Joseph Ghosn, redonne un souffle rock au magazine iconique de Condé Nast. Portrait d’un geek devenu l’incarnation du luxe glamour.

À peine arrivé dans les locaux du groupe de presse anglo-saxon, près du parc Monceau à Paris, il nous accueille d'un chaleureux et complice « On va prendre l’air, non ? ». C’est pourtant la première fois qu’on le rencontre. Direction le café cossu en bas de l’immeuble. Il s’y raconte avec détails et simplicité. L’enfance au Liban où la guerre fait basculer la vie bourgeoise baignée de culture francophile dans la peur au quotidien. Son père, magistrat, finit par céder aux sirènes de la raison. « Le déclic s’est produit un matin. Comme j’avais mal à la tête, on n’est pas sorti… Quelques minutes plus tard, une rocket explosait sur notre voiture ». Joseph et sa petite sœur ramassent leurs jouets préférés dans un sac avant de quitter leur maison sur le champ. Direction Paris.

Plusieurs fois, il reviendra sur cette expérience qui l’a forgé. Il y a puisé un recul existentiel, l'attachement à l’essentiel et un goût pour l'hédonisme. Parce que rien ne dure, autant savourer. Après deux années de classe préparatoire littéraire, il intègre Sciences Po, rédige des mémoires de DEA : l'un sur la série télé Les Brigades du Tigre, cette cellule de police motorisée créé par Clémenceau pour combattre la criminalité à la Belle Époque ; un autre sur la musique électronique et un dernier sur une association féministe. Intello ecclectique, déjà! Il écrit des articles sur la musique électronique pour des fanzines mais se verrait bien chercheur. Loin de la carrière de médecin que son père aurait aimé le voir embrasser. L'injontion paternelle sonne : «Au boulot!». Il devient conseiller en marketing. « J’étais extrêmement malheureux. Je détestais cela. Après un an, j’ai arrêté ».

Passion et raison

En 1999, l’explosion de la bulle internet lui permet de conjuguer passion et raison. Les Inrocks cherchent de jeunes journalistes pour leur site. Séduit par sa culture et sa capacité de travail, Christian Fevret, le cofondateur débusque son potentiel journalistique. Il l’initie à l’editing avant de lui confier des sujets musique, jeux vidéo et société. Il y fait son trou pendant huit ans jusqu'à en devenir rédacteur en chef adjoint. « Avec son hoodie à capuche, ses CD et ses BD, c’était un vrai geek » se souvient Emmanuel Poncet, ex-rédacteur en chef de GQ, qui le croisait alors.

Ils se retrouvent chez Condé Nast où Joseph Ghosn est chargé de créer les sites du groupe. Le mélange de luxe, d'air du temps et de contenus enquêtés le séduit. « Je n'aurais pas quitté Les Inrocks pour n'importe quoi. Condé Nast, c'est aussi le New Yorker ». Le geek monte en gammes et fait la preuve d'une sacrée capacité d'adaptation. « Pragmatique et bosseur. Bon camarade et brillant », s'accordent à reconnaître ceux qui ont travaillé avec lui. Il fait se tutoyer glamour et culture pop rock. Cela deviendra sa force.

Reconstructeur

Au Nouvel Obs, Laurent Joffrin lui propose de participer à la création d'Obsession, le mensuel culturel censé attirer un lectorat plus jeune en 2012. « Je suis meilleur reconstructeur que bâtisseur » lâche-t-il pour résumer l'expérience. Et il le prouve, deux ans plus tard, en entrant chez Grazia. « Je trouvais que ce magazine avait une image cool mais était en train de mourir. Il n'était pas très bien fait. J'y ai vu le potentiel d'un Inrock au féminin, qui pouvait parler de son époque. » Il en prend la direction et tient son pari, avec l'exigence de productivité d'un hebdo qu'il relève avec succès. Il redonne une fraîcheur au magazine et le colore de ses goûts musicaux devenus plus grand public de Lou Doillon à Clara Luciani. Il lance un quotidien lors du Festival de Cannes et des podcasts. Pas étonnant que Yves Bougon, PDG de Condé Nast, qui veut redresser l'image et les ventes de Vanity Fair, lui propose de prendre un café après l'avoir rencontré à l'Andam, dont ils sont jurés. Car le brief est le même que pour Grazia, dont le rachat par Reworld augure d'une récession financière peu encourageante. « On aurait pu avoir la moitié des rédacteurs en chef de Paris, confie l'ex PDG. Joseph Ghosn a proposé le projet le plus original et le plus moderne lors de son grand oral. Il est multiculturel, bienveillant, très organisé, réactif, créatif et s'adapte aux contraintes, y compris bubgétaires. Il a toujours des solutions et a remis les équipes au travail ». Dès janvier, il proposera de nouveaux podcasts et des papiers quotidiens plus longs sur le site. Reste à convaincre les lecteurs de ce positionnement taillé sur mesure pour « la bourgeoisie post rock, frenchic et intello » comme le définit Emmanuel Poncet. Le titre s'essoufle à 64 351 exemplaires payés en France en 2018-2019 (-15,8 % vs 2017-2018). Un nouveau pari.

Parcours :

1971. Naissance à Beyrouth.

1991-1995. Sciences Po.

1999. Intègre les Inrocks

2008-2012. Directeur éditorial de Condé Nast digital.

2012-2014. Rédacteur en chef du supplément mensuel du Nouvel Observateur, Obsession.

2014-2019. Directeur de la rédaction de Grazia.

2019. Directeur des rédactions de Vanity Fair.

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