L'année 2019 vue par
Mercedes Erra, fondatrice et Présidente de BETC et présidente exécutive de Havas Worldwide.

Le mouvement des Gilets jaunes

En 2019, les gilets jaunes se sont imposés dans le paysage politique. Leurs manifestations investissent un espace-temps différent : le samedi (pas les moyens de perdre un jour ouvré), les Champs Elysées (temple de la consommation) et les beaux quartiers (où habitent les riches). Ils incarnent les difficultés de notre société à endiguer les inégalités. Que des mouvements extrémistes violents les parasitent ne change rien à la réalité des faits. Ne pas pouvoir vivre décemment avec le salaire minimum est un problème grave. Pas étonnant que cela suscite la révolte. Ce qui me frappe, c’est qu’alors qu’on tend à considérer l’accès à la consommation comme une affaire classée et qu’on embrayerait volontiers sur les moyens de la réduire, elle se retrouve, avec le pouvoir d’achat, au cœur des revendications des gilets jaunes. Lorsque les bas salaires ne suffisent plus à donner à un foyer un toit, de quoi manger et se mouvoir, c’est que quelque chose dans notre économie ne fonctionne pas. En parallèle les sociétés du CAC 40 n’ont jamais autant distribué de dividendes à leurs actionnaires qu’en 2019.

La procédure d'impeachment contre Donald Trump alors que les populismes ne faiblissent pas.

La menace d’un 2ème mandat Trump, servie par de bons résultats économiques, se profile et m’afflige. La procédure de destitution ne semble pas l’atteindre tant que cela. Mais penser l’Amérique comme l’Amérique de Trump réduit mon image de l’Amérique, de son idéal de liberté et d’ouverture.

Me choque le fait que les populismes trouvent partout si peu d’obstacles sur leur chemin. M’effraient aussi les expériences de surveillance massive et de contrôle social en Chine : la dictature augmentée par la technologie et légitimée par l’expansion économique ! Je ne comprends pas qu’une voix de l’Europe de la démocratie ne s’élève pas avec plus de force pour défendre les droits humains, les valeurs démocratiques et leur portée universelle, qu’elle seule peut incarner malgré les tentations populistes qui existent en son sein.

Le débat sur les migrations

Il faut endiguer la peur de l’immigration et les faux discours. François Héran nous apprend que rapportés à la superficie du pays, à sa population et au PIB, les chiffres de l’immigration en France sont modestes. Elle accueille peu et mal. Au nombre de demandeurs d’asile par habitant, la France est au 15e rang des pays d’Europe. Objectiver et raconter la vraie histoire de la France, où un quart de la population a des origines immigrées, me semble indispensable : cela fait reculer le fantasme de la France de souche et accepter l’idée que les sociétés contemporaines ont une composante migratoire, facteur de dynamisme démographique, économique et culturel.

Eric Zemmour recruté par CNews après ses propos xénophobes à la convention de la droite.

J’ai exprimé clairement à Pascal Praud que je ne voulais plus apparaître dans une chaîne de télévision qui accepte de faire de l’audience avec Zemmour.

La défiance de l'État, de la police et du public vis-à-vis des journalistes, et les fake news.

De quelle défiance parle-t-on vraiment ? Je suis bien plus effrayée par les fake news en fait. Je regarde de près les initiatives de RSF pour endiguer leur fabrication et diffusion, cela me semble essentiel. Que le métier de journaliste ne soit pas plus valorisé est un problème. Nous courons un gros risque à le voir disparaître. Son économie est fragile, et pourtant c’est un rouage clé de la démocratie, il me paraît crucial que subsiste un vrai métier de l’information et qu’il soit en forme.

La relation entre les agences et les annonceurs après votre coup de gueule à Bercy.

Après Bercy, j’ai reçu énormément de témoignages de dirigeant.e.s d’agences, en adhésion totale sur les problèmes soulevés. Ils et elles étaient touchés et étonnés que BETC vive la même chose, car ils pensaient l’agence à l’écart de ces turbulences. Résultat : les annonceurs sont prêts à faire des États généraux de la Communication et à dialoguer avec les agences, et l’État nous soutient dans la valorisation de nos métiers de création.

Les révélations ciblées du Monde sur le sexisme dans la pub.

Le sexisme est dans notre profession comme ailleurs. Aucun secteur n’y échappe. Il faut être vigilant sur ce qui se passe dans nos agences. Sous l’égide du Ministère de la Culture et de l’association Pour les femmes dans les médias, médias et agences se sont dotés d’une charte contre le harcèlement et les agissements sexistes (charte PFDM). Elle est exemplaire et devrait faire école ailleurs.

La divergence stratégique plus que claire entre Publicis qui mise sur le digital et Havas sur la création.

Je ne commente pas la stratégie de mes concurrents mais j’ai une vision forte de celle de BETC et d’Havas. Je pense que notre métier se définit au croisement de la compréhension fine des publics et de la capacité à faire levier sur eux par la créativité, celle-ci s’exerçant à la fois en publicité et dans l’exploitation de la data. Accenture ne fera donc jamais mon métier, et moi jamais le sien, mais rien ne nous empêche de travailler ensemble.

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