Dossier Diversification
Les grands groupes médias sortent de plus en plus de leur cœur de métier, par des acquisitions et des créations. Avec l’objectif de faire croître la marque mais surtout leurs revenus.

Quel est le point commun entre l’opérateur de voyages Marco Vasco, le label de musique Play Two, le salon VivaTech ou encore le réseau d’agences Stéphane Plaza Immobilier ? Tous sont des activités de diversification de médias, du Figaro à TF1, en passant par Les Echos et M6. Et si leur diversification s’est longtemps cantonnée à exploiter leurs marques et leurs contenus sur tous les canaux de diffusion possibles, de l’édition au live, les pratiques ont évolué ces dernières années.

Au Figaro, « la diversification s’organise par cercles concentriques, explique Marc Feuillée, directeur général du groupe. Avec un premier cercle qui réunit les déclinaisons de la marque, pour lesquelles son utilisation doit être légitime. » Y figure donc tout ce qui est publié ou organisé avec le titre, des salons aux petites annonces immobilières de Figaro Classifieds (70 millions d’euros de chiffre d'affaires). Le second cercle porte sur ce qui est réalisé hors de la marque Figaro, comme Le Particulier, CCM Benchmark ou Cadremploi. Ce dernier s’inscrit « dans la tradition du Figaro, éditeur d’offres d’emploi depuis 1875 sur le papier et maintenant sur le web », souligne son responsable Thibault Gemignani. Le troisième cercle concerne la vente de produits et services, à l’instar du voyagiste en ligne Marco Vasco, racheté fin 2017, et qui permet au Figaro de réaliser 120 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit 20 % de celui du groupe. Selon Marc Feuillée, « le groupe acquiert des activités ayant un marché, sur lesquels il a déjà un point de vue – immobilier, emploi, voyages… -, et dont il peut intégrer les équipes ». C'est une condition essentielle, à entendre le dirigeant, et le signe d’une diversification réussie. Pour un groupe ayant beaucoup construit sa diversification sur les acquisitions (300 millions d'euros au total), il s’agit aussi du meilleur moyen d’accroître son expertise.

Autre groupe média axé principalement sur les acquisitions, TF1 a dernièrement fait le choix de regrouper celles relevant du digital dans une entité dédiée. « Unify est née des différentes acquisitions faites, à commencer par celle d’Aufeminin, qui a servi de socle, élargie au food avec Marmiton, au e-commerce avec My Little Paris puis au bien-être avec Doctissimo », détaille Olivier Abecassis, PDG du nouvel ensemble. Cette démarche « dote le groupe TF1 de nouveaux médias aux audiences fortes et moins contraignants que la TV, d’un business sur la production de contenus spécifiques et d’une capacité à faire du B to C », explique le dirigeant, selon qui « l’acquisition permet d’aller vite sur le marché sur lequel on se lance ». Demeure une difficulté : être en accord avec les dirigeants de la société achetée, comme l’a montré la séparation à l’automne 2019 des fondateurs de Vertical Station (ex-Minute Buzz).

Être agnostique

Concernant la diversification, « il faut être très agnostique sur les modalités, estime pour sa part Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien. Elle peut passer par de la croissance organique comme par de la croissance externe ou des partenariats. » La filiale médias de LVMH a testé les trois approches, respectivement en créant plusieurs événements (comme en octobre 2019 avec Investir Day, une journée sur l’actionnariat individuel), en rachetant des sociétés telles Pelham ou Netexplo, ou en montant des alliances, par exemple avec Publicis pour VivaTech, ou avec Franceinfo pour Médias en Seine. Surtout, pour un groupe qui réalise maintenant 20 % de ses 400 millions de chiffre d’affaires dans la diversification, « il faut être présent sur les marchés en croissance, se situer sur le territoire de marque, en prolongeant le lien avec le lectorat à travers un salon, un festival…, et savoir monétiser ses audiences en croissance. » D’où le regroupement de la diversification et de la régie commerciale au sein d’un pôle Partenaires, dirigé par Corinne Mrejen, avec « l’objectif de développer de nouveaux services aux entreprises », se félicite Pierre Louette.

Chez Prisma Media, la diversification est plutôt perçue comme « l’ajout d’un nouveau métier de producteur de services et d’événements pertinents avec les territoires de marques et correspondant aux envies du public », explique son PDG, Rolf Heinz. Dans un contexte de marché de l’attention de plus en plus concurrentiel, « on doit partir de l’analyse de ses besoins et notamment à partir de la data, poursuit-il. Il ne s’agit pas de regarder quel secteur fait le plus gros chiffre d’affaires ou juste de penser avoir une bonne idée. » Autre facteur-clé dans cette filiale de Bertelsmann, la nécessité d’être inclusif, c'est-à-dire d’embarquer l’interne. C'est dans cette logique qu'ont été lancés en 2019 Chronicoach, appli de coaching nutritionnel personnalisé pour personne malade, Formedable, plateforme de jeux concours au bénéfice d'une association caricative, et Slowlution, site e-commerce de mode recyclée. Toutes ces activités relèvent du digital, univers dans lequel « Prisma s’est développé ces dernières années pour les revenus publicitaires et maintenant pour les revenus venant des consommateurs », admet Rolf Heinz.

Du journalisme autrement

Au Monde, « la diversification doit être une manière de faire du journalisme autrement, d’aller à la rencontre du public, avance quant à lui le directeur du groupe de presse Jérôme Fenoglio. Mais il faut que cela participe avant tout d’une envie éditoriale, car c’est l’éditorial qui nous permet aujourd’hui d’afficher plus de 200 000 abonnés numériques. » Cette volonté s’illustre surtout dans Le Monde Festival, prestigieux événement annuel « reflétant tout le journal et permettant de traiter une thématique sous tous les angles ». Le Monde le décline maintenant en Afrique ou à Montréal. « Le festival est rentable, il faut maintenant qu’il contribue au modèle économique », souhaite Jérôme Fenoglio, même si le directeur du quotidien préfère y voir « des revenus de complément et un moyen de faire rayonner la marque ».

Trouver de nouveaux revenus ou faire la promotion de sa marque sont d’ailleurs souvent les deux raisons qui poussent les médias à se diversifier. « C’est un choix structurant pour un média », analyse Bertrand Nadeau, directeur général de Fuse, filiale d’OMG, qui a précédemment collaboré à la diversification chez NRJ et TF1. Le premier groupe, « en rachetant des radios en Europe, en se lançant en TV ou dans les événements musicaux, a surtout voulu faire croître sa marque, atteste-il. Les autres médias ont plutôt opté pour la diversification de revenus, en se lançant par exemple dans les événements musicaux. Cela donne aux régies de nouvelles opportunités à proposer aux annonceurs », estime-t-il. Ainsi, TF1 Publicité n’hésite pas à utiliser la Seine musicale, salle de spectacles exploitée par le groupe, pour des opérations publicitaires.

« Sur un marché publicitaire très concurrentiel, la diversification est devenue indispensable », confirme Marc Feuillée. C’est encore plus vrai pour « un secteur de la presse qui a perdu 50 % de ses revenus en dix ans, rappelle Pierre Louette. L’évolution nous oblige à trouver un nouveau modèle économique. » Un modèle dans lequel la diversification a forcément un rôle à jouer.

« Beaucoup de médias se lancent dans le podcast, sans savoir pour en faire quoi »

Mathieu Maire du Poset, directeur du Tank Media

 

Le Tank Media accompagne des médias dans leur diversification. Quels sont les principaux écueils observés ?

Le problème réside souvent dans le fait qu’ils s’accrochent à leur ADN généraliste. Les médias se rendent compte qu’ils doivent aller vers une verticalisation, mais qu’ils ont du mal à gérer, à faire vivre dans la durée. Ils ont souvent une approche « on fait » sans se poser la question des attentes du public. Beaucoup en ce moment se lancent dans le podcast, sans savoir pour en faire quoi.

Quelle approche privilégier pour ce type de diversification ?

Il faut se demander d’abord pour qui on le fait, d’autant que le public des plateformes de podcasts est plus jeune que celui du média. Viser des publics aux attentes différentes nécessite de proposer des contenus différents. Il faut par ailleurs penser la diversification comme une activité à part entière, pas une sous-activité.

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