Ecologie
Face à la croissance pharaonique des vidéos en ligne, des questions se posent quant à la capacité de stockage et aux conséquences écologiques. Faut-il revoir le business model des plateformes ?

La consommation de vidéo n’arrête plus de grimper. Le streaming représente déjà plus de 60% des échanges de données sur internet, avec plus de mille milliards de millards d’octets en 2018. Et les perspectives de croissance des stories qui explosent, les booms de Tiktok, de Snapchat, et l’arrivée massive de géants de la VOD comme Disney+ ou bientôt Apple, ne feront rien pour améliorer la situation. Sans oublier les marques, qui misent de plus en plus sur la vidéo pour leurs messages. Facebook a annoncé au CES que 4 millions d’annonceurs passaient par les stories. Un record. Mais cette période pourrait un jour subir un coup d’arrêt.

Avec la culture de la HD, disponible désormais dans tous les téléphones, le poids des vidéos a explosé. Et le passage à la 5G attendu d’ici 2025, qui augmentera le débit disponible, fera encore considérablement grossir la taille des fichiers. Seul hic: tout cela a besoin d’être stocké matériellement et transféré sur les autoroutes de l’information. Ce sont des quantités astronomiques de serveurs qui sont nécessaires pour héberger les vidéos aussi bien de chats que de découvertes scientifiques. Déjà en 2015, le site spécialisé Techradar relevait que les perspectives de croissance de consommation vidéo dépassaient les prévisions de capacité mondiale de stockage, qui augmentent pourtant de plus de 35% par an. Le professionnel Cisco, en 2018, établissait le même constat chiffré. Inquiétant ?

Un impact sur l'aménagement du territoire

En 2020, force est de constater que nous ne sommes pas en manque de data centers, et que les vidéos continuent de trouver une place... Mais le sujet devient politiquement problématique. Aux Pays-Bas, en Allemagne, et surtout en Irlande, la colère monte et les data centers sont de plus en plus décriés pour leur consommation énergétique astronomique due au refroidissement des serveurs, notamment. L’Irlande, qui pratique une politique très ouverte en termes de centres de stockage de données pour attirer les multinationales, a dû revoir tout son réseau électrique national. Mais outre la consommation en électron, c’est maintenant le manque de place qui devient un paramètre limitant. On compte 429 centres au Royaume-Uni, 428 en Allemagne, 252 en France et 252 aux Pays-Bas, et leur multiplication pose des questions d’aménagement du territoire. Le monde pourra-t-il suivre la cadence ?

« Le problème n’est pas tant de savoir s’il faut se passer des vidéos ou des bienfaits du numérique, c’est surtout qu’il faut requestionner les manières de fonctionner », estime Thomas Dufraine, membre du collectif de vidéastes « Et tout le monde s’en fout », très engagé sur l’écologie sur YouTube. « S’il est difficile de savoir si le public est très réceptif à ces questions, c’est un sujet de plus en plus présent chez les personnes qui vivent de cette activité, affirme-t-il. Le débat sera mis sur la table un jour où l’autre. » La communauté commence bien à se douter que la production et le stockage « à l’infini » de vidéos n’est pas compatible avec une réduction des émissions de CO2. En novembre 2019, une polémique est née sur la toile, après une erreur de traduction et d’interprétation dans une mise à jour des conditions générales d’utilisation de YouTube. Dans la précipitation, les internautes se méprennent et s’insurgent que la plateforme de Google puisse supprimer « les vidéos non rentables ». Car le sujet est déjà là, inconsciemment. Chacun est lucide sur le fait que la stratégie de stockage « à l’infini » n’est pas viable. Pourquoi garder en ligne des vidéos de deux heures vues moins d’une dizaine de fois ?

Des data centers surdimensionnés

Dans un rapport intitulé « Climat, l’insoutenable usage de la vidéo en ligne », le Shift Project, un collectif de scientifiques et d’ingénieurs militant pour une « sobriété numérique », tire la sonnette d’alarme concernant la vidéo en ligne. Elle engendre « 306 millions de tonnes de CO2, soit 20% du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre dues au numérique, et près de 1% des rejets carbonés totaux », pointe le rapport. La VOD représente 34% du total, la pornographie 27%, les plateformes type YouTube 21% et le reste 18%… Mais ce que pointe avant tout le rapport, ce sont les usages qui incitent à une utilisation à outrance de la vidéo. Notamment deux facteurs : l’accès illimité au contenu, et la mise en place de design addictif (comme l’enchaînement automatique des vidéos). Les habitudes des consommateurs doivent résider au cœur de la réflexion.

« Les data centers sont surdimensionnés pour être capables de tenir en cas de pic de trafic, estime Thomas Dufraine. C’est là le problème. » De manière générale, il ne fonctionnent qu’à 40% de leur capacité, mais restent allumés quasiment en permanence. C’est comme si on partait en vacances au ski avec le chauffage allumé, au cas où on reviendrait plus tôt. Et qu’en plus, on avait installé le double de chauffage chez soi, pour les soirs de banquet. Le CNRS confirme cette incohérence, évoquant même une « tyrannie de l’utilisateur » sur le numérique. Comme il ne doit pas attendre, et vivre une expérience parfaite à chaque fois, les concepteurs craignent toute latence et calibrent à outrance le matériel. Alors que faire ?

« Tant qu’on diffusera un maximum de contenu pour diffuser un maximum de publicité auprès d’un maximum de public, cela continuera », estime Thomas Dufraine. Certaines plateformes comme Imago TV ou Peertube tentent de sortir de cette logique « infinie » et hébergent les vidéos différemment : sur des serveurs délocalisés ou en peer-to-peer, pour éviter les gros data centers. Avec du code informatique moins lourd. « Cela demandera de réorganiser le trafic et de connaître les pics d’audience », détaille Thomas Dufraine. À long terme, la question paraît inévitable. Faudra-t-il limiter la consommation ? Mettre en place des tarifs ? Restreindre les accès à certains horaires, comme en TV ? Face à cette question de taille, de nouveaux modèles comme l'économie du don ou autres sont à inventer pour éviter à tout prix un web à deux vitesses.

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