Livre
L'ancienne journaliste Iris Gaudin a été, il y a dix ans, victime de la Ligue du LOL. Un an après que l'affaire a éclaté, et alors que le parquet de Paris mène une enquête pour « harcèlement », elle publie «Face à la Ligue du LOL» (Massot Editions).

Il y a un an éclatait l'affaire de la ligue du LOL, dont vous avez été une des victimes. Qu'est-ce qui vous a poussée à écrire cet ouvrage ?

Iris Gaudin : Quand l'affaire a éclaté, tout s'est passé de façon très brutale. À partir du moment où je me suis manifestée, comme la vingtaine d'autres victimes, les journalistes nous ont pressées de répondre à des interviews. Mais il y avait un paradoxe : répondre très rapidement, alors que tout s'était passé dix ans auparavant.

J'ai voulu écrire ce livre pour mettre les choses à plat, tenter de comprendre ce qui était arrivé, l'impact que cela avait eu sur ma vie. Il fallait retrouver les preuves (j'en trouve encore maintenant en fouillant !), les analyser, se remettre dans l'état d'esprit d'il y a dix ans... Comme une enquête sur soi. Mais écrire, c'est aussi écrire pour être lue. En l'occurence, je pense que mon témoignage est utile aux lecteurs pour montrer les rouages de cet humour qui flirte avec la haine sur Internet. Avec cette affaire, on y découvre aussi que le sexisme n'épargne pas les médias qui ont dû se remettre en question sur leurs pratiques.



Au début du livre, vous décrivez l'ambiance de l'École Supérieure de Journalisme de Lille [ESJ, d'où sortent plusieurs membres présumés de la Ligue du LOL], les rivalités entre étudiants... En quoi les écoles de journalisme ont-elle pu constituer un terreau fertile pour la création de la Ligue du LOL ?

Dans les écoles prestigieuses, les étudiants se sentent parfois tout-puissants. Ils ont réussi LE concours de leur catégorie. Ils se retrouvent avec leurs pairs et c'est un nouveau chapitre qui commence. C'est alors que naît parfois une rivalité qui n'a rien d'une saine émulation. Chacun veut montrer qu'il est meilleur que l'autre, qu'il a toujours le bon mot, la petite phrase qui fait mouche et qui peut finir par ridiculiser celui qui est en face pour mieux gagner une bataille intellectuelle. Comme dans les salons littéraires au Siècle des Lumières... Ou comme une infime mise en bouche avant la Ligue du LOL.



Quel était le modus operandi des membres de la Ligue du LOL ?

Ce n'est pas facile de le savoir précisément quand on se situe de l'autre côté et c'est, à vrai dire, ce que j'aimerais comprendre. Peut-être que l'enquête menée actuellement par le Parquet de Paris nous éclairera sur ce point-là. Je voudrais savoir précisément ce qu'ils faisaient des informations glanées sur chacun et chacune d'entre nous. 

D'après mes observations et celles d'autres victimes avec qui je suis en contact, les loleurs jouaient entre leur compte personnel, leur(s) compte(s) anonyme(s) tout en échangeant des informations sur Internet et lors de leurs soirées ensemble, ce qui leur permettait de ridiculiser leur(s) cible(s) sur Twitter.



Pourquoi était-ce si difficile de prendre ses distances avec ses protagonistes ?

Il y avait ce mélange de fascination et de souffrance. Je voulais m'intégrer à cette bande que je trouvais brillante et avec laquelle je rêvais de travailler. En me laissant croire que je faisais partie du groupe, en me faisant endosser des rôles ingrats (le journaliste qui m'avait initiée à Twitter m'avait dit qu'il fallait être "second degré"), ils m'avaient prise au piège. Ils avaient fait de moi un personnage de galerie dont on pouvait se moquer notamment entre journalistes, donc dans mon milieu professionnel, sous prétexte d'humour. 

Au départ je croyais que j'étais drôle, mais j'ai finalement compris qu'ils me ridiculisaient, puis finalement m'humiliaient. D'autant qu'ils n'étaient pas sans savoir qu'ils étaient extrêmement influents sur Twitter et qu'une armée de clones anonymes venaient se greffer et déverser leur fiel sexiste et obscène sur moi dans leur sillon.



En quoi les femmes ont-elles été des victimes désignées ?

La Ligue du LOL était un groupe très largement masculin. La plupart des milieux de pouvoir, comme celui du journalisme, sont gangrénés par le sexisme. Aujourd'hui, les femmes prennent la parole et font porter leur voix. Cela peut paraître inconfortable dans une société où les moyens de communication ont tant appartenu aux hommes qu'ils en paraissent naturellement masculins. Il y a dix ans sur Twitter, toute femme qui ouvrait un peu trop la bouche était pressée par la Ligue du LOL de la refermer dans un réflexe patriarcal délirant. Jamais les loleurs ne se seraient dits sexistes, mais ils l'étaient de façon caricaturale. 



Quelles ont été les répercussions pour vous des témoignages que vous avez pu livrer dans la presse, et maintenant, de ce livre ?

C'est difficile. Je savais que le moindre de mes mots serait scruté, que l'on me menacerait sur Twitter, que la personne que je désigne dans le livre comme responsable de ce qui m'est arrivée ferait tout pour me discréditer... Je le savais, mais le vivre, ce n'est jamais pareil. Heureusement, j'ai beaucoup plus de soutien qu'auparavant et je sais que cette enquête du Parquet de Paris se poursuit.



Un an après, que reste-t-il de la Ligue du LOL ?

Une bonne dose de méfiance et d'incompréhension. Je suis toujours très étonnée que quelques loleurs n'aient jamais eu l'initiative publique de proposer une discussion avec des victimes. C'était il y a dix ans. Pour ma part, j'aurais dit oui et je suis sûre que d'autres victimes aussi. Nous nous serions expliqués, quelque chose de positif aurait pu en sortir pour prévenir la génération des étudiants à venir.

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