Dossier Reboot
Les médias traditionnels ont constitué des valeurs refuge durant le confinement, avec des audiences fortes même si la publicité n'a pas suivi. Quelles pistes s’ouvrent désormais à ces acteurs pour se réinventer ?

1. La confiance retrouvée

Comme une lumière au bout du tunnel ? « La dimension positive de la crise pour les grands médias TV et presse écrite, c’est la réaffirmation de la confiance et du lien », affirme  d’emblée Philippe Bailly, président du cabinet NPA Conseil, interrogé sur le futur du secteur dans un monde post-confinement. « Il y a six mois, l’on disait la TV morte, la presse pas mieux. C’est le retour à des valeurs sûres », ajoute-t-il. En temps de crise, le public a à la fois besoin d’information et tendance à se tourner vers les médias auxquels il accorde du crédit. Tout l’enjeu, désormais, réside dans la capacité de ces acteurs à transformer l’essai. Avec la question cruciale de savoir si les gens sont prêts à payer pour l’information, alors que s’annonce une crise économique durable. « La confiance est un asset clé pour les acteurs historiques, complète Frédéric Estève, associé en charge des médias et loisirs de Vertone, cabinet en stratégie et management. Tous essaient de se positionner par exemple avec le fact-checking, surtout sur le service public. » Des initiatives qui s’inscrivent dans un contexte de défiance vis-à-vis, entre autres, des réseaux sociaux.

 

2. La prédominance de la TV

La télévision vit un paradoxe. D’un côté, les audiences sont au rendez-vous, y compris chez les plus jeunes, remobilisés devant le petit écran à la faveur du confinement. Le temps d’écoute bat des records : en avril, les Français ont passé 4h40 en moyenne par personne et par jour devant la télévision, selon Médiamétrie. Pas de quoi, pourtant, se réjouir. « Monétiser ses audiences est difficile et il y a un problème d’offre, par exemple sur le sport », explique Laurent Colombani, associé et expert médias du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company. De fait, les chaînes historiques ont enregistré des baisses de revenus : -9,7 % pour les recettes publicitaires du groupe TF1 au premier trimestre, -9,2 % pour celles du groupe M6 sur la même période. Et le deuxième trimestre pourrait être pire. Voilà pourquoi des plans d’économies s’annoncent. M6, par exemple, entend réduire le coût de ses programmes d’environ 100 millions d’euros, avec pour défi le maintien du lien avec les téléspectateurs et des niveaux d’audience malgré une grille de programmes ajustée. Une source d’espoir, selon Frédéric Estève : « l’allocution du président Emmanuel Macron [36,7 millions de téléspectateurs le 13 avril, ndlr] montre la puissance du linéaire pour les contenus événementiels. La télévision va garder sa force pour ce type de contenus. »

 

3. Le boom des plateformes SVOD

Le confinement a aussi profité aux plateformes SVOD. « Celles qui sont présentes aujourd’hui vont pouvoir prendre des parts de marché, ce qui va challenger les suivantes », déclare Laurent Colombani. Pour Netflix par exemple, c’est l’occasion de consolider sa place dans le paysage, tandis que Disney+ a fait son apparition le 7 avril en France - un lancement d’ailleurs salué par le diffuseur de la Casa de Papel. Un succès au démarrage : l’application a été téléchargée près de deux millions de fois en 24 heures. Salto, de son côté, est attendu à l’automne. « Ces plateformes proposent plutôt des programmes de stock, relève Frédéric Estève. C’est plutôt sur ce terrain qu’elles viennent concurrencer la télévision. A chacun de trouver sa place dans le paysage audiovisuel. »



4. La crise comme terrain d’expérimentation

« L’industrie a appuyé sur pause et en même temps sur avance rapide : beaucoup d’usages en gestation ont eu l’occasion d’une sorte d’expérimentation grandeur nature », constate Laurent Colombani, citant en exemple l’e-book, davantage plébiscité alors que les achats en librairie étaient devenus impossibles. En parallèle, la période ayant compromis les tournages, elle a forcé les acteurs du secteur à imaginer de nouveaux modes de production. Par exemple, l’émission à succès Tous en Cuisine avec Cyril Lignac, tournée depuis la propre cuisine du chef, ou encore les concerts « chacun chez soi », qui ont fleuri sur Zoom et autres plateformes de visioconférence. « Cela prépare des renégociations entre les producteurs de flux et les chaînes », pronostique Philippe Bailly. Le confinement a en effet montré que des moyens limités pouvaient suffire à réaliser des programmes qui marchent. « Les producteurs pourront faire valoir que cela s’est passé dans des conditions et une disponiblité du public particulières », précise l’expert. Dans ce contexte, la question sera de savoir si ces nouveaux formats vont perdurer. « On peut s’attendre à ce que les acteurs se prémunissent de crises futures et si certains formats sont naturellement immunisés, ils y prêteront plus d’attention dans le mix », entrevoit Laurent Colombani.

 

5. Presse écrite : vive le digital

De même que les Français ont plébiscité la télévision, ils se sont tournés vers la presse en ligne, à défaut de pouvoir aller l’acheter en kiosques. De nombreux titres ont aussi pratiqué à l’occasion du confinement une politique de gratuité tandis que les abonnements numériques ont battu des records. « On observe un mouvement d’accélération du basculement de la presse vers le digital, les audiences ont explosé sur les sites des grands quotidiens, avance Philippe Bailly. Le vivier se situe sur les personnes qui consommaient peu d’information mais qui sont revenues à l’idée des sources référentes. Il va falloir parvenir à les fidéliser. » C’est là tout l’enjeu : transformer ces audiences de façon durable. « Pour la presse, c’est un nouveau moment de vérité », estime Laurent Colombani. Plusieurs questions se posent, comme de savoir si les lecteurs se tourneront de nouveau vers les canaux physiques ou si cet engouement de circonstance sera l’occasion d’un décollage durable du payant numérique. Cela pose la question de l’équilibre financier global de la presse. Celle-ci va devoir trouver un équilibre entre ses abonnements, restant à consolider, et la publicité, drastiquement réduite durant plusieurs semaines. Afin d’entrevoir, enfin, la sortie du tunnel.

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