Médias
La séquence de près de neuf minutes montrant George Floyd étranglé par le genou d'un policier blanc a été largement diffusée sur les médias d'information après et avant d'avoir été partagée sur les réseaux sociaux.

Faut-il montrer les images de la mort de George Floyd ? JT et chaînes d’infos ont tranché : oui, pour voir le policier maintenir son genou sur le cou de la victime qui répète à seize reprises « I can’t breathe » [Je ne peux pas respirer]. Il en va du devoir d’information. Seulement, imagine-t-on la diffusion des mêmes images avec une femme ou un enfant ? Ce serait insoutenable. C’est précisément ce qui choque plusieurs personnes de la communauté noire sur les réseaux sociaux. Car la tolérance à cette vidéo n’est pas exempte de préjugés : George Floyd était grand, fort, et la façon dont il était immobilisé relève des habitudes policières. «Il y a eu une diffusion ad nauseam de ces images qui déclenchent un niveau d’émotion incroyable car elles rappellent la tradition de terroriser les esclaves, s’indigne Alexandre Michelin, directeur général de Spicee. Ces images déshumanisent la victime. Black Lives Matter s’est levé pour remettre un contexte, montrer un visage, dire un nom, bref revendiquer l’humanité de George Floyd.»

Choix éditorial

Il y a eu des précédents. En 2014, Eric Garner est mort lors de son arrestation à New York. La scène est filmée et partagée sur les réseaux sociaux. «I can’t breathe», dit-il. En 1991, c’est l’adolescent noir Rodney King roué de coups qui arrive sur les écrans. L’acquittement des quatre policiers impliqués ont abouti aux émeutes de Los Angeles en 1992. «L’image est une arme pour les droits civiques, pour montrer à l’Américain blanc ce que vivent les noirs», rappelle l’historien François Durpaire, spécialiste de la diversité culturelle aux Etats-Unis. Dès 1955, après le lynchage d'un jeune noir, Emmett Till, sa grand mère a fait rouvrir son cercueil pour permettre aux photographes de presse de prendre le cliché de son visage déformé par les coups. «C'est la première fois qu'une image de meurtre raciste a fait le tour des médias et qu'elle a explosé à la figure de l'Amérique blanche», complète l'historien. Depuis, on ne compte plus les meutres dont l'image sert de preuve. En mai, deux hommes ont été confondus par une vidéo après avoir tiré sur un joggeur noir de 25 ans, Ahmaud Arbery, en Georgie. L'enquête a été relancée par la viralité des images sur les réseaux sociaux. N’est-ce pas aussi la vidéo de George Floyd qui amène à requalifier son meurtre en homicide volontaire ?

«C’est très choquant de voir la mort d’un homme en direct, reconnaît Patrick Eveno, président du Conseil de déontologie journalistique, mais si cette vidéo n’avait pas été diffusée, les policiers auraient eu une impunité totale. Montrer des images, même choquantes, est légitime si c’est dans le but d’informer le public, même si c’est un choix éditorial contestable de les remontrer en boucle». Pour Divina Frau-Meigs, professeure à Paris 3, «ces images portent un scandale et sont rarement laissées seules. Il y a convergence entre le contrat de partage, sur les réseaux sociaux, et le contrat d’information des médias. Pour le public blanc, c’est le rappel d’une réalité : celle du racisme systémique.»

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