Interview exclusive
La PDG de Radio France, Sibyle Veil lève un coin du voile sur les chantiers numériques du groupe. Elle exprime sa volonté de poursuivre le DAB+ et de répondre aux attentes d'une offre pour les enfants. Et se déclare disposée à aménager son plan de départs pour tenir compte de la crise.

Quels impacts financiers, humains et en termes d’audience a eu le Covid par rapport à votre projet ?

Nous avons veillé à assurer la cohésion sociale au sein de l’entreprise et, en termes de programmes, à nous adapter à tous les besoins des Français. Avant même le confinement, nous avons été la première entreprise du secteur à enclencher un plan de continuité de l’activité pour nous préparer à être aux côtés des Français aussi longtemps qu’allait durer la crise. Dès la fin janvier, attentifs à ce que nous remontaient nos envoyés spéciaux, notamment en Chine, et compte tenu des liens que j’ai gardé avec la AP-HP, nous avons été dans l’anticipation. Au total, nous avons eu 93% des salariés en télétravail, grâce à un déploiement rapide des outils permettant de faire de la radio à distance. On a fait un bond en avant dans notre projet «Radio France connecté».

 

Êtes-vous en train d’organiser un retour à la normal pour les salariés ?

On voit, notamment en regardant l’étranger, que la crise n’est pas finie. Nous avons donc proposé aux partenaires sociaux une charte sur le travail à distance de manière à encadrer ce qu’on avait fait dans l’urgence. Dans une maison de radio et musique, il est clair que c’est une manière différente de travailler. Nous avons fait une consultation des salariés pour savoir comment ils ont vécu cette période hors du commun, et l’une des attentes était d’en améliorer les conditions concrètes. Depuis la semaine dernière, nous demandons au moins deux jours de présence dans l’entreprise par semaine afin de garder du lien dans les équipes. Nous avons également organisé le retour du public dans nos salles de concert depuis le 6 juin. Jeudi dernier, nous avions 600 passionnés de musique dans l’auditorium de Radio France !

 

Et à quoi se mesure la cohésion ?

J’ai été marquée  par l’engagement de tous les salariés pour refaire intégralement les grilles de nos sept chaînes et garder le lien avec le public pour nos musiciens. Ma priorité a été de maintenir la rémunération de tous nos collaborateurs non permanents pour ne laisser personne au bord du chemin. J’ai aussi décidé de suspendre et de reporter à la rentrée les négociations sur les conditions de départ au sein de l’entreprise. Nous avons vécu un choc considérable, on ne peut pas faire comme s’il n’avait pas eu lieu. Nous nous donnons tout l’été pour en tirer les enseignements.

 

Allez-vous revoir à la baisse votre plan de départs volontaires ?

Ce qu’on a présenté en 2019 n’avait rien de brutal puisqu’il s’agissait de départs volontaires sans aucune suppression d’offre à Radio France. Je maintiens ces deux points, dans un contexte où l’État a confirmé les économies à faire dans le cadre de la baisse de la redevance. Mon objectif aujourd’hui est de le faire dans un climat de sérénité car notre énergie doit aller à accompagner les Français dans une période où ils vont devoir reconstruire la France face à une crise économique et sociale extrêmement forte. Le marché du travail sera moins porteur, ce qui veut dire qu’on peut avoir moins de candidats à des départs volontaires. À l’inverse, je sais que des salariés réfléchissent à anticiper leur départ à la retraite depuis le confinement.

 

Le plan pourrait être plus ouvert et moins ciblés sur des postes précis ?

Tout cela est à discuter dans le dialogue social. Ma responsabilité est qu’il se poursuive de la manière la plus sereine possible et pour cela d’éviter les désillusions : la baisse de la redevance n’a pas changé.

 

Et la crise ne va-elle pas alourdir ces objectifs d’économies ?

L’essentiel de nos recettes reste stable mais on devrait subir une perte de recettes publicitaires et de billetterie estimée à ce jour à 20 millions d’euros. Cette perte ne devrait pas générer d’efforts supplémentaires, même si elle occasionne un déficit. Il faut savoir que nous avons géré seuls les conséquences de la crise sans avoir recours au chômage partielle.

 

Dépassez-vous le plafond autorisé de vos recettes publicitaires ?

Absolument pas. Il a été fixé à 42 millions d’euros. Les comptes de 2019 ont été approuvés par le conseil d’administration. Ils montrent que ces recettes sont de 41 millions d’euros. En revenus comme en temps d’antenne, nous sommes en dessous de la limite. C’est d’ailleurs une anomalie de vendre des espaces à des prix qui ne sont pas corrélés à nos succès d’audience.

 

Comprenez-vous que des radios, qui font face à 70% d’effondrement publicitaire, puisse s’interroger sur votre financement par les annonceurs ?

Je comprends leur inquiétude, la situation est difficile, mais il faut regarder la réalité en face, il n’y a pas de vases communicants entre nos recettes et les leurs. La preuve, la suppression de la publicité à France Télévisions en 2008 a bénéficié aux acteurs numériques. Le fait que Radio France continue de conquérir des auditeurs jeunes bénéficie à l’ensemble du secteur. En outre, il ne faut pas fragiliser le service public, que ce soit notre présence locale à travers 44 stations locales, la qualité de notre information qui va de l’international au local ou notre fort soutien à la culture, nous sommes les seuls à le faire.

 

Les acteurs du privé ont demandé une suspension du projet de DAB+ suite au Covid. Faut-il reculer les échéances ?

Le DAB+ est un investissement pour l’avenir. Comme les acteurs privés, nous sommes très engagés. Nous sommes conscients que ce sera plus difficile. Mais ce n’est ni un arrêt ni une suspension. C’est simplement un report de quelques mois. Nous serons toujours là pour accompagner le déploiement de cette technologie.



Allez-vous réactualiser votre projet numérique ?

C’est en cours. Par exemple nos podcasts pour enfants, notamment Oli et Les Odyssées de France Inter, ont recueilli dix millions d’écoutes pendant le confinement. La demande de contenus audio éducatifs et divertissants est extrêmement forte et il faut le prendre en compte dans nos priorités stratégiques.



Vos programmes d’été valorisent la musique et la culture. En quoi cette crise de la Covid 19 va changer la tonalité des grilles de rentrée ?

On a augmenté de 25% la diffusion de musique avec une priorité donnée à la scène française. On versait déjà chaque année 40 millions d’euros de droits, c’est donc un soutien très concret. Nous ferons vivre les festivals annulés sur nos antennes. On va aussi raconter des histoires de cette France qui se redresse, et se questionner sur le monde d’après. Les grilles de rentrée poursuivront dans cette tonalité en donnant la parole aux Français et en leur apportant le recul et l’éclairage de voix qu’on entend rarement ailleurs, philosophes, économistes, sociologues, scientifiques.



Regrettez-vous le démantèlement de la loi sur l’audiovisuel et du projet de holding vous liant à France Télévisions ?

Nous attendons beaucoup de cette mise à jour de la loi en matière de régulation de notre secteur pour lutter contre le piratage et la reprise de nos contenus sans autorisation, qu’il s’agisse de podcasts ou de radio en direct. Le numérique ne doit pas être une jungle. Quant à l’existence ou non de la holding, nous continuerons dans les deux hypothèses à travailler ensemble sur des projets éditoriaux comme le média global France Info ou Culture Prime.



Vous avez nommé Dana Hastier, directrice des antennes et de la stratégie éditoriale et Cécilia Ragueneau, à la tête des marques et du développement. Est-ce une politique volontariste pour briser le plafond de verre ?

En tant qu’entreprise de service public, on se doit d’être exemplaire. Je suis fière d’avoir consolidé mon équipe avec des femmes de talent. On a amélioré l’index d’égalité hommes-femmes. On sait que l’un des enjeux, c’est aussi de libérer la parole, pour s’assurer qu’il n’y a pas de comportements déviants, ou de harcèlement. Nous avons lancé un questionnaire pour faire de la prévention. Je veux plus largement que nos antennes soient diverses et représentatives de toute la France. J’ai nommé Bruno Laforestrie le directeur de Mouv’, président du comité diversité de Radio France, il travaille à des actions concrètes dès la rentrée.



Quels résultats vous porteraient à penser que vous avez réussi votre mission ?

Il me reste trois ans de mandat. J’ai le regard tourné vers la radio de demain et à ce que nous pouvons apporter à la société. Radio France a déjà de l’avance et signe des succès historiques. Je veux garder ce rôle d’éclaireur dans ce média qui fait sa révolution.

 

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