Back to school
Visionnage de la télé en hausse, succès des programmes éducatifs… Pendant le confinement, les enfants ont consommé les médias autrement. Qu’en restera-t-il à long terme ?

Le 2 avril, en plein confinement, Jamy, ancien coprésentateur de l'émission C’est pas sorcier, a lancé officiellement sa chaîne YouTube. Au menu chaque jour, une « minute de savoir » pour passer le temps intelligemment. S’interrogeant sur « Les orties », « Pourquoi la mer est-elle salée ? » ou « Savez-vous à quoi sert le petit trou du stylo Bic ? », ses vidéos cumulent plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de vues, plus de 700 000 pour la plus populaire. Un format qui se poursuit depuis la fin du confinement, avec plus de 530 000 abonnés. Ce succès d’audience, Jamy le partage avec d’autres, notamment, à une autre échelle, les chaînes TV depuis que le Covid-19 a bouleversé les habitudes et les usages médias des Français, y compris chez les plus jeunes. Privés d’école, confinés à la maison, les enfants ont en effet été très nombreux devant leurs écrans durant cette période.

«  La consommation TV des 4-14 ans a explosé, en hausse de 56 % la première semaine du confinement et 41 % entre les semaines 12 et 19 [de mi-mars à début mai], expose Julien Rosanvallon, directeur général adjoint de Médiamétrie. La croissance a été très importante sur toute la période du confinement. On a observé un retour à la normale après le 22 juin, date du retour à l’école. » Ce succès s’explique par plusieurs facteurs : au-delà d’une disponibilité inhabituelle, les chaînes se sont adaptées en proposant des programmes spécial confinement, sans parler du fait que la télévision permettait, hors temps scolaire, d’occuper les enfants.

Nouvelle sociabilité

Difficile pour l’heure d’en tirer des leçons car ce succès est largement lié au contexte. « Il va en rester la mise en lumière d’un rôle fort du média TV », estime Julien Rosanvallon. Et si les audiences reviennent à des niveaux d’avant-crise, il se peut que ce phénomène laisse d’autres traces. « On a passé du temps à regarder des séries, des divertissements avec ses proches. Ce partage d’émotions, de plaisir, cette sociabilité pourraient durer », entrevoit Anne Cordier, enseignante-chercheuse à l’université de Rouen, spécialiste des usages et pratiques numériques des jeunes.

Cette hausse de la télévision a notamment bénéficié à la chaîne Gulli, qui a adapté sa grille en faisant une plus large place à une offre à destination des très jeunes enfants. « Nous avons renforcé la programmation autour de la bienveillance et de la joie », complète Philippe Bony, président de Gulli et directeur général des chaînes thématiques du groupe M6. Des « valeurs » que la chaîne défendait déjà et qu'elle entend continuer de véhiculer. « Notre grille de rentrée mettra en avant la solidarité, la tolérance, la bonne humeur. Nous maintenons ces valeurs, en phase avec la période marquée par plus de bienveillance, plus d’entraide. Tous les programmes de la rentrée sont sur ces orientations-là », détaille Philippe Bony. La rentrée fera la part belle aussi à de nouveaux contenus scientifiques pour « aider à comprendre le monde ».  

Autre explication au relatif plébiscite de la télévision, le fait que les chaînes se sont adaptées en proposant des programmes éducatifs en relais ou en soutien des enseignants. L’étendard en la matière est Lumni, plateforme de service public regroupant près de 11 000 contenus éducatifs.

Lancée fin 2019, soit avant que le coronavirus n’arrive en Europe, elle a été plébiscitée dans un contexte d’école à la maison et a multiplié sa fréquentation par dix, passant de 700 000 à 7,8 millions de visites par mois en avril et mai. Après avoir, cet été, proposé un jeu et des cahiers de vacances, elle revient en cette rentrée avec plusieurs nouvelles séries. « Nous avons aussi produit 715 cours portant sur les enseignements fondamentaux du CP à la terminale, enregistrés avant les vacances et mis à disposition progressivement sur la plateforme », ajoute Amel Cogard, directrice éditoriale de l’offre éducative de Lumni.

Cinéma en famille

Au-delà des contenus éducatifs, les enfants ont également regardé du cinéma, en famille. Ce genre a d’ailleurs offert à la télévision certaines de ses plus belles audiences. « La durée de visionnage par individu a augmenté de près de sept heures entre le 16 mars et le 10 mai 2020, passant de 14 heures à 21 heures, comparé à la même période en 2019 », constate Aliette de Villeneuve, responsable du pôle contenus et marketing des programmes au sein du cabinet NPA Conseil. « Pour moi, cet attachement au cinéma va durer quelque temps, peut-être jusqu’à Noël. La reprise pour la fiction sera dure même s’il y a un dynamisme », souligne l’experte.

Enfin, le confinement a fait évoluer les rapports entre les parents et les enfants. Tous ont partagé un temps autour des écrans. Les parents ont eu l’occasion de davantage se pencher sur les usages faits par leur progéniture de réseaux sociaux comme TikTok. Dans le cadre familial élargi, les médias ont également constitué des moyens de rester en contact avec les grands-parents, en témoigne l’opération d’Orange qui permettait aux enfants de leur enregistrer des messages. « Les parents ont dit qu’il y avait pendant le confinement moins de tensions avec leurs enfants autour du temps d’écran », analyse Anne Cordier, pour qui cette quarantaine a fait apparaître « le numérique comme élément de convergence de sociabilité intra-familiale ». Reste à voir si cela perdurera, tandis que le confinement a eu un ultime mérite : « On sort de l’idée que les enfants ont des pratiques inintéressantes ou qu’ils ne font rien avec les écrans, remarque la spécialiste. Le regard des adultes a changé. Le discours sur le sujet est devenu plus intelligent, plus nuancé. Car l’adulte a eu lui-même un furieux besoin de connexion… »

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