Tribune
Que se passe-t-il quand un journaliste décide d’exprimer ses opinions sur les réseaux sociaux ? Quel sera l'impact sur la réputation d’impartialité du média ? Tandis que certaines rédactions ont déjà pris des mesures pour contrôler le phénomène, d’autres se posent encore sérieusement la question de le faire. Il en va pourtant de leur crédibilité.

«Mes écrits n’engagent que moi, pas mon entreprise/média.» La mention qui s’est généralisée sur les réseaux sociaux accompagne de nombreuses prises de parole. Aussi pieuse soit la déclaration, elle n’en reste pas moins inutile. En cas de conflit, elle ne vous met pas à l’abri d’une assignation en justice pour diffamation ou préjudice porté à l’image de l’entreprise qui vous emploie. Cela se complique dès lors que cet internaute est aussi un journaliste.

Souvenez-vous de l’affaire Joseph Tual, ce journaliste de France 3 qui avait twitté à l’issue de l’élection présidentielle de François Hollande un message invitant sa direction à «dégager». Considéré comme une faute grave par France Télévisions, il avait été renvoyé, avant d’être réintégré sous la pression des syndicats. Plus loin de nous, mais plus proche dans le temps, le journaliste japonais Yasumi Iwakani, journaliste à l’Independent Web Journal, suivi par 180 000 abonnés sur Twitter, a récemment été condamné à une lourde amende au profit de l’ancien gouverneur d’Osaka Toru Hashimoto. Il avait en effet retweeté, sans émettre le moindre commentaire, un message sous-entendant que cet homme avait provoqué le suicide de plusieurs employés de son administration.

Sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, la simple présence sur les réseaux sociaux de journalistes disposant d’une influence prouvée dans leur écosystème pose question.

Média de la polémique et de la fake news

Si c’est sur Internet, c’est que ce n’est déjà plus un secret ! Impossible de maîtriser la viralité d’un post : trois lignes simplement partagées à ses «amis», ou un simple commentaire, peuvent se retrouver avec une audience publique et même à l’origine d’une polémique. Sans oublier qu’internet a une mémoire et que certaines prises de paroles passées peuvent ressurgir à tout moment et déclencher un tsunami de réactions. A priori, aucun journaliste ne serait immunisé contre ce risque. Bien au contraire.

Twitter est tout particulièrement dans le viseur des rédactions. Média de l’instantanéité par excellence, il est aussi celui de la polémique, de la fake news et de la punchline, soit tous les ingrédients pour mettre le feu aux poudres. Maintenant, imaginons que le journaliste de votre quotidien préféré relaie régulièrement à titre personnel des contenus virulents contre l’ultra-libéralisme. Le doute sur l’objectivité de ses articles sur le sujet va forcément s’installer. Même chose si un journaliste soutient ouvertement des personnalités, des entreprises, des groupes controversés…

Les médias prêts à siffler la fin de la récréation

Alors peut-on séparer l’homme ou la femme du journaliste ? Certains médias ont déjà tranché et répondu non. C’est le cas de l’emblématique New York Times, qui a formalisé des guidelines à l’attention de ses collaborateurs, afin de limiter les mauvaises pratiques sur les réseaux sociaux. Les journalistes sont invités à ne pas exprimer d’opinions partisanes, à ne pas promouvoir d’opinions politiques, à ne pas approuver des candidats, ni à publier des commentaires offensants ou tout ce qui pourrait nuire à la réputation du journal.

Parmi les conseils donnés, on trouve les cinq questions à se poser avant de poster : «Exprimeriez-vous un point de vue similaire dans un article ?», «Si quelqu’un lit votre message, peut-il estimer que votre avis est orienté ?», «Peut-il réduire la capacité de vos collègues à travailler efficacement ?», «Votre post peut-il affecter la réputation juste et impartiale du journal ?» et enfin «En consultant votre compte, peut-on avoir des doutes sur votre capacité à couvrir un événement de manière juste et impartiale ?». Il s'agit là de questions de bon sens. Reste à savoir si les rédactions françaises appelleront leurs équipes rédactionnelles à ce bon sens dans leur usage du réseau social le plus plébiscité par les journalistes.

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