Télécoms
Alors que le gouvernement a lancé les enchères de la 5G le 29 septembre, auxquelles ont répondu les quatre opérateurs télécoms, le débat reste vif entre les technocritiques et les promoteurs de cette technologie du futur. État des forces en présence.

Êtes-vous plutôt un « Amish » prompt à revenir à la « lampe à huile », comme dit Emmanuel Macron, un diffuseur de « vidéo porno dans un ascenseur en HD », dixit le maire de Grenoble Éric Piolle, ou encore un sonneur de tocsin contre les « risques de filouterie de la 5G », pour reprendre les mots d’Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir ? Les enchères sur les onze blocs de fréquences de la téléphonie de cinquième génération n’étaient pas encore lancées, le 29 septembre, que la bataille de l’opinion était déjà bien engagée. À gauche, depuis la tribune dans le JDD où 70 élus EELV et FI ont mis en garde contre les risques de la 5G, l’affaire semble entendue : entre le progrès et l’écologie, on ne peut choisir l’un au détriment de l’autre. Et mieux vaut un moratoire préconisé par la Convention citoyenne pour le climat qu’un débat confisqué. Mais encore faut-il que ce risque soit réel, qu’il ne serve pas simplement des intérêts d’élus qui veulent faire de l’hyper-technologie un motif d’attention. C’est, à droite ou au centre, l’arrière-pensée qu’on prête au camp adverse. État des lieux d’une lutte d’influence avec quatre acteurs clés qui ne rechignent pas, à l’occasion, à la caricature.

 

 

• Les opérateurs démineurs



Opération déminage chez les opérateurs. D’abord, relativiser en disant que l’ADSL, la fibre et même la 4G ont eu leurs détracteurs (même si sans doute pas à ce niveau politique). Bien sûr, tordre le cou aux « fake news et aux faux débats ». Ensuite, prendre au sérieux les objections et y répondre. « Tant que vous n’avez pas montré l’usage, vous devez faire œuvre de pédagogie », rappelle Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms qui prépare une série de vidéos démonstratives pour les réseaux sociaux. Puis, décocher ses arguments. Au-delà des prouesses – un temps de latence raccourci, un débit dix fois plus rapide – et des promesses – la télémédecine, la voiture autonome, les objets connectés, l’usine 4.0 –, il s’agit d’expliquer en quoi l’environnement n’est pas menacé par la technologie. « À usage égal, la 5G est dix fois plus vertueuse que la 4G. Si on mettait un moratoire sur la 5G, et compte tenu de l’expansion des usages, on ferait beaucoup plus de mal à la planète en continuant en 4G », explique Béatrice Mandine, directrice exécutive d’Orange. Sachant que le trafic a augmenté de moitié en 2019 et compte tenu de la saturation des réseaux, on peut craindre pour le réseau 4G d’ici deux ans même si la 5G ne sera pas une obligation. « Elle vise à désaturer mais si on ne l’a pas, cela n’affectera pas la voix ou les SMS. C’est la qualité de l’accès à Internet qui va diminuer », argue Nicolas Guérin. Surtout, ajoute-t-il, « on n’a jamais autant intégré l’empreinte environnementale. Des logiciels sont conçus pour optimiser la consommation d’énergie. Alors que la 4G émet 24/24, la 5G n’a d’émission que vers un ou des usagers et elle se met en veille si elle n’est pas consommée ». Du chauffage à l’éclairage public, tout peut être adapté. Quid de l’accélération du taux de renouvellement des smartphones ? La 5G ne changerait rien : les nouveaux terminaux s’inscriront dans un cycle naturel qui dure deux à trois ans. Chaque année, 20 millions de mobiles sont renouvelés soit un tiers du parc. Enfin, s’agissant de l’impact sur la santé, pas question d’attendre la réponse de l’Agence nationale de sécurité sanitaire en mars : la 5G est lancée dans 22 pays et a reçu l’aval de 17 autorités sanitaires –  dont l’Allemagne. L’Anses ne dérogera pas au concert des nations. Tout retard nuirait à notre compétitivité, à l’heure où les Chinois prévoient d’investir 411 milliards de dollars dans la technologie entre 2020 et 2030. « On a parfois l’impression que le moratoire est fait pour arrêter la 5G », assure le patron de la FFT. « La 5G recèle un fort potentiel de création de valeur, notamment dans la santé, l’industrie ou la mobilité, appuie Godefroy de Bentzmann, président du Syntec numérique. Il est normal que cela suscite des interrogations et il faut les entendre, mais les pays européens du Nord, qu’on ne peut taxer d’insensibles à la santé ou à l’écologie, sont en train de la déployer, comme d’autres pays. Ne peut-on regarder ce qui les a motivés ? » Reste la question des forfaits 5G attendus fin décembre ou début 2021. Faut-il s’attendre à une hausse massive des abonnements ? « Les opérateurs n’ont pas cette brutalité », assure Nicolas Guérin qui parie plutôt sur des gammes d’offres. Certains voient les forfaits 4G les plus chers migrer vers la 5G sans coût supplémentaire. Pour être incitatifs.



• Les politiques à la manœuvre



Contre les arguments de progrès, les élus proches des écologistes commencent à faire front, en chantres d’une démocratie plus directe. Si François Ruffin, député de la France insoumise, réclame un référendum sur la 5G, ce sont surtout eux qui, s’unissant, font douter les autorités et enflamment le débat. Six mois après les Municipales, ils saisissent au vol la question pour se rapprocher de leurs électeurs. À Bordeaux, Lyon, Grenoble ou Marseille, ils refusent d’ignorer la Convention citoyenne. « Nous sommes de plus en plus nombreux à demander un moratoire sur la 5G, tance Éric Piolle, le maire de Grenoble. Les maires des grandes villes engagées pour la justice sociale et environnementale, la Corse, des collectifs de citoyens, le président du Sénat et… même Martin Bouygues ! J’appelle à écouter les conclusions du Giec sur le nécessaire besoin d’apaiser notre consommation énergétique. Le gouvernement doit gouverner, donc écouter, partager, prendre le temps du dialogue, au lieu de passer en force contre l’avis de millions de Français. » De son côté, la mairie de Paris a tranché la 5G en deux, avec une « conférence citoyenne métropolitaine » sur son déploiement. « Le but est d’objectiver le débat et de laisser la possibilité aux habitants de définir des garde-fous sur les usages souhaitables ou non, indique le cabinet d’Anne Hidalgo. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la 5G, ni de se prononcer pour ou contre un moratoire : Paris n’est en aucun cas un territoire rétif à l’innovation. » Deux heures plus tard, la maire excluait publiquement tout moratoire. Délicat métier que la politique ! C’est toute la difficulté de la 5G, elle renvoie dos à dos les différentes conceptions du progrès : plus de bande passante et moins de banquise, la start-up nation face à la couverture des zones blanches. Allier les deux est-il impossible ? Pas selon Paula Forteza, ex-LREM et députée Écologie Démocratie Solidarité (EDS). « Contrairement à d’autres prises de position politiques, le groupe EDS ne s’inscrit pas en opposition à la 5G. Il ne s’agit pas d’interdire le déploiement de cette infrastructure, en nous privant d’innovations technologiques, mais de mettre en place une régulation adaptée. » À condition de prendre le temps d’y réfléchir. « Nous considérons que hâter le processus en matière de 5G est malvenu. Ce serait ignorer la proposition de moratoire de la Convention citoyenne du climat, et refuser d’entendre les craintes et les doutes d’une partie importante d’associations, élus ou simples citoyens. Le débat démocratique doit avoir lieu. » Et de vanter les mérites de la « sobriété numérique » au travers de nouvelles mesures : attribuer une mission de régulation environnementale à l’Arcep, mutualiser les réseaux dans le cas d’un déploiement de la 5G. Ou encore s’attaquer à la fabrication des terminaux



• Les autorités publiques en arbitre



Après le Macron moqueur, Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, s’est opposée à un moratoire, estimant que les fréquences attribuées ne présentaient « aucun risque sanitaire ». Ce qui n’a pourtant pas empêché Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, de promettre un « plan de contrôle spécifique » afin de mesurer l’exposition spécifique aux ondes dans la rue. Quant à l’impact écologique, la ministre a appelé les Français à la « sobriété » dans leur consommation, les renvoyant à leur responsabilité. Bruno Le Maire, le ministre de la « Relance », y voit sur France Inter le 29 septembre un moyen de faire rebondir l’économie, « et de faire de la France un pays leader sur le numérique » alors même que les indicateurs sont au plus bas. Pour rassurer l’opinion, le ministre indique que les premières ondes 5G ne seront que de la 4G améliorée (ce qui est techniquement vrai, lire ci-contre). Il minimise ainsi leur impact aussi bien sanitaire qu’écologique. Selon lui, la vraie 5G de 26 GHz ne devrait arriver que dans deux ans. Mais cet argument pourrait se retourner contre lui. Deux ans, cela laisse le temps de débattre ! L’Arcep, de son côté, se refuse à choisir un camp. Mais voyant le sujet s’enflammer, son président, Sébastien Soriano, rassérène qu’« il n’y a pas de raison de stopper la 5G en elle-même ». Face à la politisation du spectre, il s’extrait. « Nous revendiquons une position de neutralité, estime-t-il. En tant qu’autorité administrative indépendante, nous voulons sortir du camp pro-technologies. On ne peut pas être partie prenante. On ne peut jamais avoir qu’une vue d’artiste sur ce que la technologie va permettre. Le rôle de l’Arcep, c’est d’apporter des capacités de communication à la société. » L’autorité rejette cependant l’idée de débat ouvert. « Les interrogations des élus écologistes et des ONG sont légitimes, mais il y a d’autres manières d’y trouver des réponses. Il faut construire un cadre de confiance par rapport à ces technologies qui inquiètent. À nos yeux, la régulation, c’est la solution : un processus qui vise à améliorer, voire corriger le marché en continu. Il n’est pas nécessaire, au préalable, de bâtir une belle cathédrale pour encadrer la 5G avant de la lancer, car son arrivée sera très progressive. » Il admet cependant que le projet est peut-être allé vite en besogne. « Au niveau des pouvoirs publics dans leur ensemble, nous avons sans doute sous-estimé ces préoccupations sociétales. »



• Les voix critiques des assos



Alain Bazot, président de l’association UFC-Que Choisir, ne décolère pas. Pas tant à cause de la « précipitation » avec laquelle sont lancées ces enchères qui doivent rapporter plus de 2 milliards d’euros dans les caisses de l’État – même si elles étaient, au départ, prévues pour avril. Pas non plus en raison de « l’accélération de nos modes de vie » induite par cette technologie qui interroge notre conception de la société. Ce sont plutôt deux points majeurs qui déterminent sa réprobation. D’abord, « il est insupportable que le gouvernement qui a saisi l’Anses n’attende pas son rapport pour autoriser le développement de la 5G. D’autant que celle-ci alertait en début d’année sur le manque de données sanitaires. En quelques mois, on fait fi de cette recommandation, on dit qu’il y avait déjà des milliers d’études ; c’est un problème de gouvernance, d’atteinte au crédit d’une agence indépendante », souligne-t-il. Ensuite, et surtout, « on crée des pratiques commerciales trompeuses, il y a un vrai risque de filouterie ». Explication : le consommateur ne va pas trouver dans la bande de 700 MHz le saut qualitatif de la 5G, que l’on trouve uniquement à partir de 3,5 GHz. « Est-ce que l’Arcep va publier la carte des couvertures en différenciant les fréquences ? », interroge-t-il. « Tout le monde pourra dire “c’est de la 5G” et proposer des offres plus chères, de nouveaux terminaux ». Et ce n’est pas le Conseil national de la consommation au sein de la DGCCRF, lancé en août, avec ses avis non contraignants, qui va selon lui y changer grand-chose : « on ne pourra pas empêcher de dire que c’est de la 5G alors qu’il s’agit en réalité de 4G ». À Greenpeace France, Jean-François Julliard, son directeur général, insiste sur le « risque d’impact réel sur l’environnement ». D’une part, « les nouveaux usages vont entraîner une augmentation de la consommation d’énergie, que ce soit pour le jeu vidéo, la VR, etc. Le digital est déjà un sujet important lié aux émissions de gaz à effet de serre, j’ai peur que la 5G entraîne un accroissement en ce domaine. » Ensuite, nos téléphones actuels seront incompatibles 5G. « Il va falloir renouveler la flotte des portables et l’on sait que la fabrication est un élément clé de l’impact environnemental, avec sa problématique de recours aux minerais et d’empreinte écologique. » Il soutient donc le moratoire en rappelant que la demande d’un vrai débat ne signifie pas qu’on est « anti-5G ». Même si cette technologie va nécessiter 30 % d’implantations d’antennes supplémentaires dans les zones périurbaines par rapport à la 4G. Comme le note Irénée Regnauld de l’association Les moutons numériques, co-auteur avec Yaël Benayoun de Technologies partout, démocratie nulle part, la contestation à la 5G peut passer pour un mouvement anti-progrès, mais la réalité est plus complexe. « Aujourd’hui, elle apparaît jusque dans les écoles d’ingénieurs où les élèves vont dire à leur directeur que la décroissance n’est pas un gros mot. Ils ont très bien compris que la 5G n’était qu’une pièce dans la machine de cette course en avant. » Pour lui, la question n’est pas de savoir s’il faut être pour ou contre la 5G. « Si c’est un impératif prioritaire pour mener une politique de soutien à l’innovation, très bien. Mais que ce soit une direction que l’on suit, pas que l’on subit. »

La 5G, c’est quoi ?

La 5G est la cinquième génération de standard de télécommunication. Elle a la particularité de se baser sur des très hautes fréquences (entre 3,5 et 3,8 GHz, pour commencer, et pourra aller jusqu’à 26GHz). « Elle n’est pas qu’une version évoluée de la 4G, détaille Pierre Fortier, vice-président de Capgemini Invent. Outre un meilleur débit de connexion [quantité de données], elle apportera un bénéfice dans la latence [rapidité du transfert], et surtout, permettra de segmenter la qualité de services en fonction des applications, et donc de prioriser un appel d’urgence par exemple. » Au départ, la 5G sera pilotée par le cœur du réseau 4G (5G Non stand alone), et ne sera 5G pure que lorsque les infrastructures auront été changées.



La question Huawei

La 5G interroge aussi au niveau international sur la souveraineté numérique. Bien avant la guerre contre TikTok, c’est la dépendance américaine aux infrastructures de Huawei pour la 5G qui a cristallisé la guerre économique entre la Chine et les États-Unis en 2018. D’abord éjectée du marché, soupçonnée de collaboration avec le gouvernement chinois, elle a été réintégrée en 2020, mais Donald Trump a sorti un milliard de dollars pour trouver des alternatives occidentales. Indispensable Huawei ? « On peut faire de la 5G sans eux, mais l’entreprise possède une grosse partie du marché chinois, concède un spécialiste des télécommunications. Cela lui permet d’investir énormément en R & D, et lui donne un avantage réel dans ses solutions. » Aujourd’hui, chaque pays doit se positionner. Certains, comme le Royaume-Uni, visent une interdiction totale, d’autres pensent ne pas lui attribuer plus de 35 % de parts de marché. La France, elle, autorise à collaborer avec, mais ne délivre des autorisations que pour huit ans, bien en deçà de la durée de vie des réseaux télécoms, et hors zone liée à la Défense nationale… De son côté, Huawei soigne son image, surtout en lobbying, ayant recours à de nombreux cabinets, d’après le répertoire de la Haute autorité de la transparence pour la vie publique.

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