Médias
La newsletter est morte, vive la newsletter. Simplifiée à l’extrême par la plateforme Substack, elle attire des lecteurs en quête de contenus éditoriaux plus resserrés et incarnés.

Entre « news fatigue » et « news avoidance », la newsletter se fraye un chemin en 2020. Le groupe Le Monde vient encore d'en donner une illustration en lançant le 12 novembre « Le Fil Good » et « Écran », avec la rédaction de Télérama. Le phénomène répond à la saturation de contenus, confirmée en 2019 par le Reuters Institute, et – plus inquiétant – l’évitement actif des informations par des lecteurs gavés, comme le décrit cette année une étude qualitative du New York Times.

Dans ce contexte, au moins deux outils d’envoi de newsletters sont arrivés à point nommé : Ghost et le plus populaire, Substack. « Mailchimp avait permis de vulgariser la newsletter pour les petites rédactions, Substack va un cran au-dessus en passant à l’individu, au journaliste », note Cyrille Frank, directeur de l’ESJ Pro, qui a lancé en deux jours son « Debrief’ Media » avec cet outil. La plateforme a déjà ses stars comme Casey Newton : il a quitté le média tech américain The Verge avec sa propre audience et attiré 6 000 abonnés en cinq jours à son infolettre payante « Platformer ». Pour Cyrille Frank, c’est une nouvelle forme de personal branding, initiée avec les blogs et poursuivie via différents canaux : Twitter, YouTube, Substack...

Relation plus directe

« Ce retour de la newsletter est une mode, comme le podcast » tranche Jean Abbiateci, cofondateur de Heidi News et fondateur de Bulletin. Une mode sous-tendue néanmoins par quelque chose de tangible, « la construction d’une relation plus directe avec une audience ciblée, à l’opposé de la page vue, le retour d’une éditorialisation plus forte et la remise en valeur des attributs du print, avec un début et une fin et non un flux infini ». Pour Cyrille Frank, « la raison principale du succès des newsletters est que le clic est mort. Ici, le contenu est fait pour être lu dans le corps de mail, et pas pour renvoyer vers un site internet. Ces contenus sont taillés pour une lecture au premier niveau. Les sites web sont démonétisés donc cela n’a plus de sens de les attirer dessus avec une newsletter, il vaut mieux miser sur l’expérience et l’engagement en visant la transformation en abonnés. ». Pour Jean Abbiateci, la newsletter phagocyte les autres contenus car elle « répond au temps d’usage fractionné des lecteurs ». Surtout, chez Heidi News qu'il a cofondé, elle reste incarnée « par son rédacteur en chef, Serge Michel, prix Albert-Londres, et pas un stagiaire ou un service marketing anonyme ».

Ainsi les abonnés seraient prêts à payer. Car c’est là l’autre grande avancée de Substack : permettre aux journalistes de proposer des souscriptions payantes en un clic. Hamish McKenzie, l’un des fondateurs de la plateforme, a déclaré que les auteurs sur Substack pourraient gagner 100 000 dollars par an s’ils amenaient « quelques milliers de personnes » qui dépenseraient 5 dollars par mois. Mais dans ce marché, les Casey Newton sont des arbres qui cachent la forêt de « journalistes dans la détresse économique à qui Substack vend de l’illusion », cingle Cyrille Frank. Le directeur de l'ESJ Pro y voit un outil parmi d’autres, pas plus. Le modèle économique requiert de l’agilité : abonnements, parrainage, membership, boutique… ou publicité classique.

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