Carte Noire, Citroën, EDF, Engie ou Harrys ont un point commun. Ils ont fait partie des premiers annonceurs à diffuser, en novembre et décembre, une campagne de TV segmentée sur les chaînes du groupe France Télévisions. Officiellement autorisée depuis un décret paru le 5 août 2020, l’innovation va progressivement se déployer à plus grande échelle, après de longs mois voire des années d’expérimentation. La bonne nouvelle, attendue de longue date, c’est que cette opportunité rapproche les chaînes, aussi bien publiques que privées, des plateformes digitales en leur donnant la capacité de proposer aux marques de la publicité plus ciblée. « La TV segmentée est pour moi l’arme absolue car elle allie la puissance du broadcast (toucher beaucoup de monde en même temps) et la data », explique Raphaël Porte, directeur général de Next Media Solutions, la régie d’Altice Media (BFMTV, RMC…), qui devrait déployer les premières campagnes en publicité segmentée dans les prochaines semaines.
Box éligibles
Faire converger le meilleur des deux mondes : telle est l’une des stratégies qui s’offrent aux chaînes pour faire face aux plateformes digitales, dans le contexte d’une année Covid très bousculée, où la publicité à la télévision a souffert malgré de fortes audiences. Sans compter les exigences des annonceurs qui ne vont pas en s’amenuisant. Dans ce contexte, la télévision a intérêt à miser sur les atouts qu’on lui reconnaît traditionnellement, à savoir les contenus, la brand safety, la confiance que lui accorde le public ou encore la visibilité, qui reste meilleure sur un téléviseur que sur un smartphone. De leur côté, les Gafa sont loués pour leur efficacité. La télévision, en revanche, apparaissait plus faible sur la data et sur le ticket d’entrée, potentiellement dissuasif.
La télévision segmentée change la donne. « Nous avançons dans les discussions avec les FAI [fournisseurs d’accès à internet] dans la mise en place de la TV segmentée », confiait début décembre 2020 Laurent Bliaut, directeur général adjoint marketing et R&D chez TF1 Pub. Depuis, le groupe TF1 a annoncé un partenariat sur le sujet avec Orange. De son côté, FranceTV Publicité, qui a déjà signé des accords avec Orange et Bouygues Telecom, donnait en septembre le coup d'envoi de l’offre Adressable.tv, qui permet aux annonceurs d’affiner leurs dispositifs de communication TV selon, par exemple, des données de géolocalisation ou de composition du foyer. « Les données seront enrichies dans les années qui arrivent tout comme le parc des box éligibles », complète Irène Grenet, directrice générale adjointe de la régie du groupe audiovisuel public.
M6 Publicité, quant à elle, a signé fin novembre un accord avec Bouygues Telecom et des discussions sont en cours les autres opérateurs. « Bouygues compte environ 4 millions de box au global mais il faut prendre celles qui sont éligibles et recueillir l’opt-in, ce que font les opérateurs depuis plusieurs mois. D’ici à fin 2021, le parc se rapprochera des 5 millions de box », assure Eva Respaut, directrice marketing en charge de l'innovation et de la communication chez M6 Publicité. La problématique ne concerne pas uniquement les chaînes historiques. De ce point de vue, le groupe Altice présente d’ailleurs une particularité. « Selon le décret de cet été, il n’est pas autorisé de diffuser au niveau national de la publicité avec des adresses de points de vente. Les chaînes régionales sont à part et nous nous développons fortement en région, comme à Lille et Lyon », indique Raphaël Porte.
Les régies TV ont aussi porté leurs efforts sur d’autres sujets que la télévision segmentée. TF1 Pub a entamé un plan de transformation de longue haleine : « à horizon 2022-2023, nous aurons un seul univers dédié à la vidéo, où l’on pourra tout faire (mediaplanning, reporting…) dans le même dashboard », rappelle Laurent Bliaut. Lancée en février 2020 mais ayant connu son « vrai » démarrage quelques mois plus tard compte tenu du contexte sanitaire, l’offre One PTV, axée programmatique, permet par exemple un achat au CPM sur cibles datas via les DSP [plateformes programmatiques digitales]. Une façon d’ouvrir la télévision à de nouvelles marques et à des clients qui achetaient de la TV en digital mais pas encore en linéaire.
Promesse de ROI
De son côté, FranceTV Publicité fait un pari. « Nous souhaitons nous positionner comme une aide à la reprise des ventes », avance Irène Grenet. Annoncée en octobre, l’offre ROI Partenaire s’engage sur les ventes en s’appuyant sur la puissance de couverture de la télévision (55 millions de personnes chaque semaine pour France Télévisions). « Avec CSA Consulting, nous avons modélisé l’efficacité de nos chaînes compte tenu de cette puissance de couverture. Un euro investi chez nous génère 17,6 euros de chiffre d’affaires. À partir de 500 000 euros, nous avons une promesse d’efficacité. Cela entre en œuvre en 2021 », détaille la directrice générale adjointe. Cette promesse consiste en un ROI supérieur de 10 % à la moyenne des chaînes. Par ailleurs, la régie entend continuer d’optimiser l’achat d’espace TV à travers sa plateforme ADspace, qui automatise la démarche. « Deux tiers du chiffre d’affaires TV transite par là. On dénombre 40 agences connectées, 200 annonceurs par jour dans les agences », précise Irène Grenet.
La régie du groupe M6 affiche également plusieurs nouveautés, comme des formats publicitaires spécifiques développés à l’occasion du nouvel habillage de la chaîne, lancé en septembre, dans le but de développer à la fois l’impact du spot et sa mémorisation. Autre parti pris : permettre aux annonceurs de bénéficier du succès rencontré par les programmes. C’est le cas, par exemple, d'une campagne développée avec Carrefour et diffusée d’octobre à décembre, dans laquelle Karine Le Marchand, animatrice de L’amour est dans le pré, interviewait des producteurs partenaires de l’enseigne. Une campagne également relayée en digital.