Télévision
Le directeur des antennes et des programmes de France Télévisions a présenté ses premières grilles en se concentrant sur le week-end. Il sait que la reconquête de l'audience des actifs passe par des programmes de flux et une attention nouvelle au « dissensus ».

Depuis sa nomination, en septembre, il n’a passé qu’un petit mois au bureau. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une demi-journée par semaine. L’essentiel de son temps, Stéphane Sitbon-Gomez le passe dans son canapé, chez lui, en visio. Parfois, le petit Orphéo glisse une tête et le papa propose de dire bonjour.  « Stéphane ne se prend pas la tête, constate Takis Candilis qui l’a précédé et adoubé au poste de numéro deux, et le fait qu’il n’y ait pas d’accrocs en cette période difficile montre que les choses vont bien ».

Il faut sans doute une aisance new age pour échanger à distance avec des talents tout en ayant la main sur une enveloppe de près d’1 milliard d’euros. Il est vrai que le dirigeant de 33 ans, tient à l’équilibre avec sa vie privée : il a pris tous ses congés parentaux pour ses deux enfants, et se montre très à cheval sur le partage des tâches avec sa compagne, qui dirige une association sur le droit des femmes.

Europe Écologie-Les Verts

Perçu parfois comme un ex-aparatchik d’Europe Écologie-Les Verts, l’homme est engagé et authentique, sans être dogmatique. Moins vert que nature. « Il y a en lui beaucoup d’intelligence et de sensibilité, c’est le contraire d’une machine froide, relève Cécile Duflot, ex-secrétaire nationale des Verts, qui a repéré ce gamin de 13 ans qui lui avait écrit et qu’elle surnomme « Yop » « parce que le calcium, ça fait grandir ».

En quinze ans d’engagement politique, il a été dircab de la cheffe de parti ou conseiller de la ministre du Logement, après avoir dirigé les campagnes d’Eva Joly ou de Daniel Cohn Bendit. Cécile Duflot salue sa capacité à s’imprégner d’une pensée pour en dégager des lignes de force, comme ce soir d’août 2009 où elle fait sa rentrée à l’Université d’été du PS. C’est elle qui conduit – « il n’a toujours pas le permis » - et lui qui structure dans sa tête.

Rencontre avec Delphine Ernotte

Le pas de deux se reproduit quand il rencontre Delphine Ernotte, candidate à la présidence de France Télévisions en 2015, par l’entremise de Denis Pingaud qui la conseille (et qu’il remplace au pied levé). Stéphane Sitbon-Gomez vient de quitter le monde politique, par peur de s’y enfermer. « J’en étais salarié depuis mes 18 ans, je ne voulais pas être un apparatchik », se souvient-il. Avec un père d’origine juive tunisienne et une mère espagnole, qui ont fait fortune dans le minitel rose, le jeune homme a grandi à Gambetta, dans le 20ème arrondissement.

Il est marqué par un voyage au Liban avec son grand père, Guy Sitbon, cofondateur de L’Obs, auquel il voue une admiration sans borne. « Je crois à la diversité des regards, à la rencontre des cultures, explique-t-il, les bulles de confirmation des réseaux sociaux ne m’intéressent pas. On s’enrichit des oppositions ». C’est ce sentiment qu’il y « trop de regards et de voix absents » qui l’a poussé à lancer le 25 janvier «C ce soir», avec Karim Rissouli, à 22h30 en semaine. « L’idée est de redonner la parole à des intellectuels et d’avoir de la contradiction, de faire vivre le dissensus », professe-t-il.

En 2015, sa seule expérience de la télé a consisté à travailler sur le web-documentaire Anarchy pour Boris Razon. Il devient vite l’homme de confiance de la présidente et suit pour elle tous les dossiers, de la création de franceinfo au lancement d’un feuilleton sur France 2. L’homme réforme aussi la filière de production à la tête de France TV Studio. « Il est rare de rencontrer quelqu’un d’aussi affûté et qui travaille sans arrière-pensée, confie Takis Candilis, quand il a une mission, il va jusqu’au bout sans se mettre en avant. Il a un principe d’efficacité qui fait qu’il passera sur beaucoup de choses car il n’a pas d’ego ».

Réinvestir le week-end

Côté défauts, on lui reconnaîtra une capacité à ne pas répondre aux textos et un poil de mauvaise foi. Mais en tant que patron de l’antenne et des programmes, c’est désormais à lui que revient la responsabilité de tracer des lignes éditoriales. Un exercice contraint après 40 millions d’économies sur les programmes de flux en 2020. Avec Marie Drucker (« Au bout de l’enquête ») ou un magazine sur la santé le dimanche à 17h avec Michel Cymès sur France 2, ou « Cuisine ouverte » de Mory Sacko qui enseigne le métissage culinaire le samedi à 20h15 sur France 3, il s’agit de « réinvestir le week-end pour les actifs qui sont de plus en plus attirés par les plateformes ». Netflix est enfin vu comme un rival de la télé linéaire. « La fiction française fonctionne bien mais pour une clientèle plus âgée, il faut rajeunir l’audience », prévient Pascale Rogard, directeur général de la SACD.

Avec des amis de moins de 35 ans dans tous les ministères, le dirigeant a désormais « tout Paris qui lui fait des sourires et auquel il faut savoir dire non », comme dit son prédécesseur. En négociations pour abaisser les factures, l’homme sait se montrer dur. Mais il est, là encore, à fond dans la mission qu’il s’est donné. Politique ? Sans doute, mais pour les programmes. « Il sait qu’il faut laisser les gens vous prêter de grandes capacités de calculs et de stratégie. C’est protecteur », conclut son amie Cécile Duflot.

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