Presse
Depuis 1985, il livre un dessin quotidien qui fait la une du Monde. Alors qu'il prend sa retraite, Jean Plantureux, dit Plantu, fait le point sur ce genre journalistique fragilisé.

Dans quel état d’esprit tirez-vous votre révérence du Monde où votre premier dessin a été publié il y a presque 50 ans ?

Plantu. Avec une joie immense car j’ai adoré travailler au Monde. J’ai adoré me nourrir culturellement auprès des journalistes et j’ai beaucoup aimé la manière dont les choses s'organisent d'ici à quelques jours. Cela fait dix ans que je demande aux différents responsables du Monde de penser à mettre un jeune à ma place et j’ai enfin obtenu que, dès le 1er avril, il y ait en une et à ma place, des dessinatrices et des dessinateurs du Venezuela, de Russie, de Chine, d’Afrique etc. (faisant partie du collectif Cartooning for peace, NDLR). Quelles magnifiques fenêtres sur les débats qui agitent la planète!

 

Livrer un dessin quotidien depuis 1985, c’est une astreinte ou un privilège ?

C’est une contrainte que j’ai acceptée depuis cinquante ans. J’ai toujours considéré que je n’avais pas la science infuse. Aussi, chaque matin, je propose entre trois et dix brouillons à la rédaction en chef à partir de sujets qui me tiennent à cœur. Quand, et cela arrive parfois, un dessin décidément ne passe pas, alors je le représente dix ou trente fois jusqu’au moment où il finit par passer. 



Trouvez-vous qu’il devient plus difficile de rire de tout ?

La période est de plus en plus casse-gueule. Quand on voit comment le New York Times s’est déballonné en stoppant la publication de dessins de presse, cela n’est pas bon signe pour l’avenir de la liberté d’opinion dans nos démocraties.  



Avez-vous été déçu que Le Monde présente ses excuses pour le dessin de Xavier Gorce ?

Je trouve que son dessin était tout simplement drôle et génial. Bien entendu, jamais ce dessinateur n’a voulu se moquer des transgenres. Je lui ai demandé de bien vouloir revenir au journal car il ne trouvera pas meilleur endroit pour exprimer sa liberté d’opinion. Il faudrait, pour calmer tout le monde, réapprendre ce qu’est l’ironie, le second degré. 

 

Avez-vous l’impression que le dessin de presse est menacé ?

Il ne s’agit pas tellement d’une menace sur les dessinateurs de presse. On a tous en tête le drame de janvier 2015. Mais je n’ai aucune vision corporatiste. Il s’agit de menaces sur la liberté d’opinion des citoyens. C’est bien plus grave qu’une affaire de dessin.



Ressentez-vous une plus grande frilosité des rédactions face à la virulence des réseaux sociaux ?

Bonne question ! C’est une alchimie à trouver car le dessinateur de presse doit être en osmose totale avec sa famille éditoriale. À partir de là, tout est possible et j’ai moi-même été étonné de voir publiés dans Le Monde quelques-un de mes dessins qui étaient plutôt très casse-gueules.



Comment réagissez-vous aux critiques de vos dessins sur Twitter ?

Il y en a très peu par rapport aux 170 000 abonnés qui me suivent. Cela ne me pose aucun problème car, et j’en suis désolé, je ne les lis pas. Il y a tellement de messages. Mais il y a un problème à régler sur l’anonymat de certains réseaux sociaux : imaginez les dénonciations anonymes en France, en 1942, si les dénonciateurs avaient utilisé les réseaux sociaux… Cela me surprend toujours de voir des dénonciateurs qui signent  #Bécassine, #Craignos ou #Pinocchio. C’est la raison pour laquelle j’ai dessiné Richelieu qui, pour moi, est l’inventeur des réseaux sociaux.

 

Faire polémique avec un dessin, c’est une erreur ou une lettre de noblesse ?

Ça dépend. Des fois, il faut accepter certaines provocations et c’est l’honneur du journal de publier une image dérangeante. Et quelques fois, il faut savoir mettre de côté une provocation inutile quand les esprits ne sont pas encore prêts. Quand Notre-Dame a brûlé, le jour même, j’aurais pu faire une fine astuce sur le « gothique flamboyant ». J’ai préféré faire ce dessin (voir ci-contre).

 

Que peut exprimer un dessin que ne peut pas contenir un texte ?

Il y a des dessinateurs qui utilisent des images universelles : tout le monde peut comprendre. Et vous verrez à la une du Monde des dessins d’un immense cartoonist cubain qui vit au Mexique. Il s’appelle Boligan et il n’y a jamais de texte dans ses dessins.

 

De quel dessin êtes-vous le plus fier ?

Peut-être le dessin que nous avons fait à trois : les drapeaux israéliens et palestiniens de part et d’autre d’une frontière dessinée et coloriée par Yasser Arafat et Shimon Peres que j’ai rencontrés à Tunis et à Jérusalem.



Un de vos professeurs de dessin disait de vous « Je l'ai beaucoup apprécié pour sa gentillesse, son calme, son assiduité ». Ces qualités vous collent à la peau. Comment les conserve-t-on quand on est soumis quotidiennement à la violence et à la brutalité de l’info ? 

J’étais gentil, calme et assidu pendant les cours de dessin, c’est vrai ! Par contre, pendant les cours de maths et de sciences naturelles, je devenais chèvre. J’ai bien failli me lancer dans le terrorisme et puis, finalement, j’ai décidé d’être dessinateur de presse, c’est plus cool.



Vos dessins sont souvent empreints d’une douceur poétique ou utopique. Parce que vous êtes un optimiste ?

Je suis un affreux pessimiste qui se soigne. Et de temps en temps, je vais dans les écoles souvent accompagné d’une ou d’un journaliste du Parisien pour qu’il puisse témoigner de ce a quoi nous assistons. Et voilà une bonne nouvelle au milieu de cette grisaille. Figurez-vous qu’il existe dans la ville de Trappes une école magnifique : le collège Henri Wallon où les maîtresses enseignent... l’empathie ! Il y a au milieu de la classe une chaise qui s’appelle « la chaise des émotions » et quand un élève est trop excité ou trop en colère, la maîtresse lui propose de s’asseoir sur la chaise des émotions. Elle lui donne des feutres,  des pastels et des papiers et il se calme. On devrait proposer ça à certains politiques quand ils sont trop énervés. 



Que comptez-vous faire désormais ?

Quand j’ai créé Cartooning For Peace en 2006 avec Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU qui m’avait demandé de réunir à New York des dessinateurs chrétiens, juifs musulmans etc., ce fut pour moi le début d’une immense aventure. Mais il a fallu que je laisse de côté tout mon travail de sculpture et de peinture. Je vais retrouver mes blocs d’argile et mes tubes de peinture à l’huile. Je prépare avec mon ami le photographe Reza un livre et des expositions qui sont le fruit du mariage de ses photos et de mes dessins... auxquels je rajoute de la peinture à l’huile. Ça sent un peu trop l’essence de térébenthine. Il y a de la poussière partout mais je redécouvre le plaisir de goûter le temps qui passe tout en gardant mes émotions éditoriales.

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