Médias
Alors que son usage s’est fortement développé avec la crise sanitaire, de plus en plus de podcasts d’actualité voient le jour, portés principalement par la presse quotidienne. Reste la question de leur monétisation.

Tous les éditeurs français rêvent d’avoir leur Daily, ce podcast quotidien d’information lancé par le New York Times en 2017 et qui revendique 4 millions de téléchargements par jour. Après Les Echos et Le Parisien il y a presque deux ans, Le Monde va à son tour se lancer dans l’aventure du podcast quotidien d’actualité, profitant du développement de l’usage du podcast chez les Français depuis le début de la crise sanitaire (+5,6 % de podcasts écoutés en un an, à 100,6 millions en janvier, d’après Médiamétrie). Selon nos informations, ce podcast sera baptisé L’heure du Monde et sera mis en ligne chaque matin, du lundi au vendredi, à partir du 29 mars en exclusivité sur Spotify. Il durera 15 à 20 minutes et sera présenté par le journaliste Jean-Guillaume Santi, qui avait déjà animé le podcast Pandémie, lancé par Le Monde en mars 2020.

Rajeunir et pérenniser l'audience

« Aujourd’hui, nous sentons une accélération des podcasts notamment chez les médias d’actualité. Ils ont compris que c’était un moyen d’étendre leurs points de contact et ainsi de créer une relation différente avec leurs audiences », estime Geoffrey Hayat, directeur associé de Re-Mind PHD (groupe Omnicom). « Ce que fait Spotify avec Le Monde est une tendance mondiale : la plateforme de streaming commence à intégrer de l’actualité pour sortir de cette image de robinet à musique », ajoute Fleur Toutain, head of audio chez Havas Media Group, qui cite la matinale lancée par Spotify en octobre aux États-Unis, The Get Up.

En France, le podcast d’actualité a déjà son histoire. Nés tous deux en mai 2019, La Story des Echos et Code Source du Parisien ont le même propos : approfondir un fait d’actu via un épisode de 20 minutes quotidien. L’objectif est aussi de rajeunir et de pérenniser l’audience de leur marque, dans le giron du pôle média de LVMH. Et ils cartonnent, sans se cannibaliser. C’est La Story qui se classe en tête des podcasts d’actu en France avec 455 216 téléchargements en février 2021 et 565 859 dans le monde. La série compte 434 épisodes. « Nous affichons 9 millions d’écoutes en un an et demi et 70% se fait sur Apple podcast. Nous venons de booster notre visibilité sur Spotify, ce qui nous a permis de passer de 940 à 4000 écoutes en une semaine », explique Marie Van de Voorde, éditrice aux Echos. « Notre succès repose sur notre promesse tenue : un podcast quotidien d'actu explicatif sur les thématiques éco qui intéressent notre cœur de cible », renchérit Clémence Lemaistre, rédactrice en chef adjointe en charge du numérique. L’âge moyen des auditeurs avoisine les 30 ans contre 49 pour les lecteurs des Echos. Ils plébiscitent la réactivité en termes d’info, comme les négociations Carrefour - Couche-tard. L’éditrice vise une rentabilité au premier semestre 2021.

Outil contre le churn

Même objectif d’équilibre pour Code Source. Portée par Jules Lavie, qui travaille avec un réalisateur salarié et trois à quatre attachés de production pour chaque épisode, la série du Parisien se décline en quatre récits et un reportage signé Claudia Prolongeau par semaine. Elle se classe 7e selon l’ACPM en février 2021, 50 % de son l’écoute se faisant sur Apple podcast et 10 % sur le site du Parisien. « Notre écoute native, sur les plateformes, a doublé cette année » s’enthousiasme Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions du Parisien-Aujourd’hui en France en charge du numérique. Ce sont trois podcasts sur la Covid qui trustent le classement depuis le lancement en mai 2019, suivis par un opus sur l’humoriste Blanche Gardin. « Les faits divers, surtout lorsqu’il s’agit d’affaires sur lesquelles nous apportons des révélations mais aussi la politique, la culture et les médias sont les piliers de nos audiences », détaille Pierre Chausse qui s’enorgueillit d’un taux de complétion de 98 %. Une réflexion est menée sur le développement de podcasts thématiques. La force de ce format ?  Être un redoutable outil pour lutter contre le « churn », le taux de désabonnement. Les abonnés qui écoutent Code Source se désabonnent trois fois moins que les autres.

Radio France fait aussi entendre de grands succès du podcast d’actualité en France. Après Washington d'ici, lancé il y a deux ans sur la campagne américaine par France Info avec RFI, la RTBF, RTS et Radio Canada (et dans le top 20 des podcasts de Radio France), le groupe a lancé en février Élysée, la bataille. Les débuts de ce podcast de France Info, consacré à la campagne présidentielle, sont prometteurs alors que Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Xavier Bertrand se sont déclarés candidats. Déjà, le Flash éco créé par Franceinfo pour les podcasts et les assistants vocaux se classe en troisième position du top 20 avec 9 millions d’auditeurs cumulés tandis que Salut l'info avec Astrapi (Bayard) y est aussi présent. Quant au Quart d’heure, avec Céline Asselot, imaginé et produit par une équipe mixte à tout Radio France, il se situe en sixième position du Top 20, avec plus d’un million d’écoutes en février. 

« Bulle pour raconter l'info »

Mais l’actualité n’est-elle pas antinomique avec l’idée même du podcast, qui induit une longue traine, donc une écoute tardive ? « On s’est posé la question, reconnaît Lucas Menget, directeur adjoint de la rédaction de Franceinfo, mais le podcast d’actualité marche bien, il accompagne l’internaute et lui permet de faire un pas de côté ». La production quotidienne du Quart d’heure, qui réunit cinq personnes venues des rédactions de France Inter, Culture, Info ou Bleue et s'appuie sur la contribution de tous les journalistes comme sur le savoir-faire des ingénieurs du son de la maison, permet de faire face à la demande alors que Radio France ne dispose pas d’une équipe de 24 personnes comme le Daily. Même s’il n’a rien à voir avec une matinale, Le Quart d’heure sort à 18h mais est écouté le matin comme le soir. « Il y a un usage du podcast d’actu du matin », constate Lucas Menget. Céline Asselot, elle, s’efforce de trouver un ton, en posant sa voix de façon un peu différente, tout en traitant de l’actualité chaude de façon plus éditorialisée. « On essaye d’avoir un regard, un décryptage, un angle original sur l’actu de demain ou l’air du temps, c’est un juste milieu entre le magazine et l’actualité, témoigne-t-elle. On accompagne les gens dans leurs trajets en créant une bulle pour raconter l’info sans être trop plombant. » Inutile de coller à la dernière info : on peut suivre le podcast réalisé avant un procès même s’il a commencé.

Ouest-France dispose, de son côté, d’un « mur des podcasts » qui cumule 1,5 million d’écoutes en janvier 2021. En bonne place figure Sur le Pouce, une production un peu décalée de 3 minutes chaque jour. Cela va du récit d’une amende pour expliquer l’importance du masque à la narration d’une arnaque par un faux Elon Musk. Bref, une « histoire du jour » corrélée à l’édition du journal numérique de 18 h. « L’audio vient compléter notre création de valeur éditoriale, explique Edouard Reis Carona, rédacteur en chef délégué en charge du numérique, sachant que nous sommes moins bien servis que les médias nationaux sur Deezer et Apple Podcast. Être dans la sélection de ces plateformes dope les audiences ; ils y sont car ils ont plus d’audience, mais ils ont plus d’audience car ils sont. » Chez Ouest-France, où deux postes et demi sont consacrés aux podcasts, on trouve aussi bien Y'a le feu au lac sur le réchauffement climatique, que Minute Débattons ou Sans contrôle, podcast 100 % foot nantais qui peut monter jusqu’à 150 000 écoutes.

Multiplier les niches

Bref, le groupe préfère multiplier les niches pour parler local, sport, politique, religion ou divertissement plutôt que de capitaliser sur un programme unique avec une contrainte d’horaire fixe. Face à une telle production, la curation par des tiers est plus difficile. Résultat : « On s’appuie sur notre propre audience pour amener de la conversion, reprend le rédacteur en chef, nos podcasts sont d’abord à destination de nos plateformes. Et on envisage de les réserver aux abonnés ». L’idée ? Garder, comme Spotify, une fenêtre d’exclusivité pour les 150 000 abonnés numériques avant de les re-proposer au grand public. L’audience « longue traine » y incite :  elle se distribue pour un tiers lors de la sortie du podcast, pour un tiers quelques mois après et pour un tiers deux ans après. L'Équipe, qui conserve ses débriefs de matchs en gratuit, vient de faire un arbitrage comparable : il réserve désormais à son espace abonnés ses podcasts à plus forte valeur ajoutée.

Approche de branding

Reste à savoir si ces podcasts d’actualité sont aisés à monétiser sur le plan publicitaire. Sur le Pouce de Ouest-France intègre la programmation automatique de 366 pour des campagnes d’une semaine. Des annonceurs peuvent aussi rechercher de l’image. Mais l’audio reste vu comme un produit de niche et apparaît beaucoup plus difficile à monétiser que la vidéo. « Dans les plans médias, nous abordons le podcast dans une approche plutôt de branding, avec la recherche d’une caution média sur des verticales, comme la RSE ou les nouvelles technologies. C’est un mode d’achat très contextualisé, qui rappelle celui de la presse », indique Fleur Toutain, d'Havas Media. La tâche peut donc s’avérer plus délicate sur des podcasts d’information dont le sujet dépend par essence de l’actualité, plus risquée pour les annonceurs. « Il y a des règles à trouver pour ne pas associer une marque à un contenu qui ne lui conviendrait pas. Mais ce n’est pas plus compliqué que de faire de la publicité sur Lemonde.fr », estime Geoffrey Hayat, de Re-Mind PHD.

Selon nos informations, plusieurs annonceurs ont tout de même émis des craintes au sujet du podcast L’heure du Monde, dont ils ne maîtriseront pas le contenu, contrairement à des podcasts thématiques. Même difficulté de monétisation pour le podcast du Parisien, Code Source, contrairement à La Story des Echos, dont les thématiques économiques, tournées vers l’expertise, sont plus rassurantes pour le marché publicitaire. Contrairement aux usages, le podcast, qui plus est d’actualité, doit encore faire son chemin dans les plans médias des annonceurs.

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