Rachat
Sous réserve de l'agrément des autorités de la concurrence, le groupe Prisma Media se prépare à intégrer Vivendi dans les prochaines semaines. Interview exclusive avec son patron, Rolf Heinz, qui se verrait bien continuer à le développer.

Vivendi a signé un accord de négociations exclusives avec Berteslmann pour le rachat de Prisma Media. Vous qui êtes patron de la branche internationale de Gruner und Jahr, pouvez-vous nous dire pourquoi ? Les Résultats sont-ils moins bons ? L’avenir est-il plus sombre ?

Les résultats sont excellents tant sur le plan de nos succès auprès des lecteurs et utilisateurs que sur le plan financier. Nous sommes numéro un en audience dans tous les médias où nous avons investi, que ce soit sur le papier avec 21 millions de lecteurs, sur le numérique avec 9 millions d’internautes par jour, ou dans la vidéo avec 34 millions de vidéonautes. Et selon la dernière étude One, nous avons en audience globale (print et digitale) 41 millions de lecteurs. Sur le plan financier, c’est aussi un énorme succès : nous avons clôturé l’an dernier avec un CA de 271 millions d’euros et un editda de 45 millions soit + 3 millions par rapport à 2019 où ce résultat était déjà en hausse (sur 304 millions de CA). Au premier trimestre 2021, il est encore en progression, de même que notre CA. C’est une rentabilité assez extraordinaire au regard de la presse en France et dans le monde. En 2009, quand je suis arrivé, le résultat était de 44 millions d’euros. En une décennie de décroissance de la presse, nous avons progressé. Y compris en 2020 où nous avons eu la triple crise de la vente au numéro du fait des confinements, de la faillite de Presstalis et de la crise publicitaire liée au Covid.



Alors pourquoi ce retrait de la France ?

Berteslmann a fait le choix stratégique de concentrer ses investissements dans les industries qui ont une logique d’échelle mondiale : la musique, l’édition de livres, le e-learning, les services BtoB. Et par rapport aux médias, basés sur une logique plus locale, il s’agit d’investir là où le groupe peut être numéro un sur son territoire linguistique. C’est le cas en Allemagne, pas en France. C’est pourquoi le choix du désinvestissement a été fait sur M6, RTL et Prisma Media. Pour ce qui nous concerne, le closing est attendu dans le courant du deuxième trimestre.



Les salariés vous ont senti ému à l’annonce de la signature de la promesse de vente. Pensez-vous que l’entrée d’un actionnaire comme Vivendi va nécessiter de repenser les contenus éditoriaux ?

Je vois surtout d’énormes opportunités de croissance et de développement pour Prisma Media. Oui, il y a beaucoup d’émotion – qui est dans ma vie quelque chose de très positif – devant la réussite de cette transformation digitale au cours de cette décennie passée et en raison des opportunités que nous avons et que nous aurons. Vivendi est un des leaders des médias dans le monde avec l’intention stratégique et les moyens de se développer en France et à l’international. C’est une chance formidable d’accélérer nos développements sur le papier et dans le numérique, à la fois sur la monétisation publicitaire et sur le modèle qu’on est en train d’ajouter du « payant consommateur ». Avec de la croissance organique et peut-être des acquisitions.



Vincent Bolloré est réputé interventionniste. Faut-il des garde-fous pour des médias comme Capital ?

Je viens d’une longue histoire avec Bertelsmann où nous trouvions dans M6 et RTL des entreprises cousines traitant de sujets dont nous parlions avec Capital, Télé Loisirs, TV Grandes chaînes, Télé 2 Semaines, Voici… Nous avons toujours été dans un contexte de groupe plus large tout en sachant répondre aux besoins et aux envies des lecteurs-utilisateurs à tel point que nous avons conquis les premières positions partout où nous avons investis. C’est basé sur notre déontologie journalistique qui est de mettre à la première place le lecteur. Cela fait partie des critères clés de nos succès et cela ne va pas changer. Les marques de presse ont pour missions fondamentales d’être des sources de repères et de détente ou de loisirs. Nous voulons rendre la vie des consommateurs plus facile, plus inspirée, plus informée, plus augmentée. En un mot plus belle.



Voyez-vous beaucoup de synergies possibles ?

Oui, sur le fait d’attirer des artistes et des talents, leur offrir de multiples plateformes de publication, cross-promouvoir les activités. Si les autorités de la concurrence acceptent le projet, ce sont des opportunités de développement que nous n’aurions pas en étant seuls. Je me réjouis de faire partie d’un groupe qui donne une forte autonomie entrepreneuriale à ses branches et à leurs filiales et qui est en même temps très puissant.



Comment vous projetez-vous dans six mois personnellement ?

Dans le collectif. Nous avons démontré que nous étions capables de réussir la transformation sur tous les médias d’une entreprise de marques de presse. Selon One, la marque de magazine avec la plus forte audience est Télé Loisirs (25 millions de lecteurs) suivi de Femme actuelle (24 millions), avec 15% de croissance chacune. Voici est à +27%, Capital à près de 40%. Cela nous donne une très forte légitimité pour développer ces marques au sein de Vivendi. J’adore ce métier, je suis hyper engagé dans le développement. J’ai une grande envie de continuer dans cette direction en France et à l’international.



Est-il possible de s’inscrire dans la continuité ?

Pour moi, la continuité signifie l’évolution, le développement avec des changements comme nous l’avons toujours fait. Je veux bien m’inscrire dans la continuité du changement et de l’évolution. C’est aussi un questionnement permanent pour faire encore mieux et plus. J’ai envie de m’adapter parce que les usages changent, parce que le marché évolue et à partir du moment où le nouvel actionnaire nous offre de nouvelles possibilités.



Quelles vont être les relations avec le groupe M6 avec lequel vous lancez Bienvenue chez vous, avec Stéphane Plaza, mais avec lequel vous avez aussi arrêté votre partenariat sur la plateforme de podcasts Audio Now ?

Le développement de l’audio est une priorité pour Prisma Media : nous avons une cinquantaine de formats, dont douze lancés l’an dernier. Nous avons doublé notre audience avec 16 millions d’écoutes. On vise +50% en 2021. Nous voulons développer les contenus et les usages. J’assume d’avoir testé Audio Now et recueilli de la data. Mais cela n’est pas lié à M6 si nous l’avons arrêtée. Nous avons préféré développer nos marques et investir dans les usages plutôt que dans une nouvelle marque de distribution. Je souhaiterais continuer à faire des partenariats avec M6 comme avec d’autres acteurs des médias. Par exemple Gravity ou Food brand trust, avec CMI et Reworld.



Vous continuerez donc de chercher des partenaires…

On pourrait avoir des partenariats extérieurs et une belle dynamique de coopération au sein de Vivendi avec ses filiales. Nous sommes dans une offensive de croissance qui inclut le papier, la vidéo digitale et l’audio ainsi que les offres de service, l’événementiel, la formation et le commerce contextualisé. Nous sommes aussi désireux de nous développer sur le plan international, comme nous avons commencé à le faire avec le groupe Cerise. Sur le papier, nous avons une douzaine d’idées de projets. Nous lancerons de nouveaux magazines mais aussi bien d’autres choses qui relèvent de cette matrice. Bienvenue chez vous est un magazine autour d’une personnalité, Stéphane Plaza, qui me rappelle le lancement de titres de personnalités que j’ai accompagnés aux Etats-Unis et en Allemagne au sein de Gruner und Jahr. C’est aussi une vraie innovation éditoriale car c’est deux magazine en un, à la fois immo et déco, avec l’expertise et du pratique, mais aussi de l‘inspiration et de la détente.



Vous avez lancé Prisma Inno Lab en 2020 sur les services digitaux payants. C’est un vrai relais de croissance ou juste quelques revenus additionnels ?

C’est un relais de croissance très important. Mon objectif est de générer 10 millions de marge supplémentaire d’ici trois ans à travers des lancements. En touchant plus de quatre Français sur cinq chaque mois, avec des marques tellement fortes dans des secteurs qui touchent à la vie quotidienne, et tout en ayant la connaissance du consommateur et de la data, toutes les conditions sont réunies pour y arriver. Avec toutes les compétences du groupe et l’âme entrepreneuriale, je dis Waouh ! Les entrepreneurs y voient des mines d’or et viennent parce qu’ils y croient. Moi aussi, je crois qu’on peut se développer au-delà de notre cœur de métier. Le Prisma Inno Lab travaille main dans la main avec nos business units pour inventer de nouvelles activités. Il y a une dizaine de projets en test avec des pivotages possibles quand nous identifions de potentiels marchés. Un exemple: la plateforme de mise en relation Femme actuelle AstroConsultavec 5O professionnels des arts divinatoires, basé sur un code éthique. Ou Sales Circkle, pour la mise en relation des entreprises avec des talents commerciaux.



Comment expliquez-vous la hausse des résultats en 2020, année de crise ?

L’activité print est stable et nos résultats digitaux connaissent une croissance très forte. En 2020, l’année a été un peu atypique car nous avons aussi augmenté résultat opérationnel papier. Nous avons gagné des parts de marché en diffusion et revu la valeur de nos magazines à la fois sur l’abonnement, et sur les ventes au numéro. Cela n’empêche pas de lancer des magazines comme 100% Programmes TV avec une accessibilité très forte, à 60 centimes par semaine. Il faut jouer sur toutes les touches du clavier. Cela fait aussi trois ans que notre chiffre d’affaires publicitaire est en croissance, si j’exclus le premier confinement. Il y a des offres programmatiques et différents emplacements, des contextes de publication mais aussi des offres sur mesure qu’on va développer, où on peut intégrer la production et le conseil stratégique avec notre logique de Business partenaires. Nous sommes dans une approche de long terme. 



À la suite de l’entrée en vigueur des lignes directrices de la Cnil sur les cookies, vous avez créé une formule d’abonnement, le pass media, si on ne veut pas être tracé. Etes-vous sûr que c’est conforme au RGPD ?

C’est pour être en conformité avec les règles de la Cnil que nous avons mis en place cela. C’est donc 100% conforme au RGPD.  Nous arrivons ainsi à proposer des contenus éditoriaux de façon gratuite à nos audiences dans la mesure où nous avons en contrepartie une monétisation publicitaire raisonnable et efficace. C’est pourquoi nous donnons à l’utilisateur la possibilité de donner son consentement au ciblage ou de rendre possible cette publication en payant. Cela dit, notre objectif est de maximiser le consentement. Et de ce point de vue, c’est très successful. Je ne vois pas d’inflexion à la baisse.



La réorganisation entre les MLP et France Messagerie vous convient-elle ? La faillite de Presstalis a coûté 250 millions d’euros à l’Etat. Et à vous ?

Près de 50 millions d’euros, dont 44 millions de créances pré-redressement judiciaire et 4 millions de créances de la période d’observation qui doivent être réglées – nous avons eu confirmation qu’elles le seraient.  Il y a aujourd’hui une liberté de choix commercial, ce qui est fondamental du point de vue de l’équité, un niveau de coûts et donc des tarifs de distribution bien meilleurs dans un marché en décroissance, et enfin les deux entreprises sont sur des bases saines. Rien à voir avec la situation de Presstalis qui était lourdement, structurellement déficitaire. Aujourd’hui, nous avons en outre des délais de préavis qui nous permettent de regarder chaque année ce qui nous convient, entre MLP et France Messagerie, titre par titre.



Faut-il d’abord être inquiets pas les plateformes ou surtout voir en elles les opportunités qu’elles génèrent ?

Les deux. Je vois toujours les opportunités. Elles sont des partenaires pour l’audience, la monétisation, nos services... Et en même temps, on ne peut qu’être inquiet quand il y a une totale distorsion au vu de lois anti-concurrentielles très lourdes pour les groupes médias mais pas pour les plateformes. Ces dernières arrivent à duopoliser un marché alors que la réalité de leur usage et leur crédibilité par rapport au média n’est pas en adéquation avec l’allocation d’investissement publicitaire qu’elles reçoivent. Mais c’est aussi pour nous une opportunité de faire croître notre monétisation et nos revenus digitaux. Nous avons les atouts pour convaincre les annonceurs de réallouer leurs investissements dans les médias.



Et sur les droits voisins au droit d’auteur ?

C’est un droit pour toutes les offres de presse, et pas seulement les publications IPG [information politique et générale]. Je souhaite qu’on arrive à un accord qui respecte cela. Un recours juridique est en cours. On peut imaginer un mode de négociation avec un médiateur mandaté par l’Etat, ou un organe de négociation collective. Il faut sortir du bilatéral si on veut un accord global. Il faut obtenir beaucoup plus !



Vous considérez-vous toujours à la tête d’un groupe de presse magazine ?

Oui, mais aussi à la tête d’un groupe numérique, vidéo, audio, de marques de presse et qui a une offre par rapport à tous les usages qui intéressent les Français. Le fait que les audiences ne cessent pas de croître, comme le montre One, et que nos visites augmentent de 50% en 2020 et de 30% au premier trimestre 2021, montre qu’il y a de la place pour les médias portés par les marques de presse magazine.

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