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Concilier numérique et environnement : l'Assemblée nationale s'empare le 10 juin d'un texte à l'ambition a priori consensuelle, mais qu'un bref article sur des droits à appliquer ou non aux téléphones portables reconditionnés transforme en bataille rangée entre mondes de la culture et de l'industrie.

La proposition de loi sur la « réduction de l'empreinte environnementale du numérique », déjà adoptée en janvier par le Sénat dont elle émane, est soumise aux députés en première lecture. Ce texte transpartisan - 130 sénateurs de tous bords l'ont signé à son origine - comprend une cinquantaine d'articles. Parallèlement au projet de loi « Climat et Résilience », objet d'une procédure distincte, il vise à traiter un « angle mort des politiques environnementales et climatiques », selon son rapporteur au Palais Bourbon, Vincent Thiébaut (LREM), qui considère que « la pollution numérique va s'imposer comme une problématique centrale des prochaines années ».

 

« Sobriété numérique »

 

Selon les travaux d'une mission d'information sénatoriale, si rien n'est fait, le numérique serait à l'horizon 2040 à l'origine de 24 millions de tonnes équivalent carbone, soit environ 7% des émissions de la France, contre 2% aujourd'hui.

Point central de la proposition de loi : limiter le renouvellement des terminaux numériques (téléphones, tablettes, ordinateurs...) qui seraient responsables de près de 70% de cet impact du numérique.
La proposition prévoit aussi d'inciter les jeunes à la « sobriété numérique », et veut également promouvoir des centres de données et réseaux moins énergivores, entre autres dispositifs. Mais le diable se cache dans les détails, et le court article « 14bis B » ajouté en première lecture par des sénateurs LR fait depuis des jours monter la température, sur fond d'intenses pressions des lobbies de la culture et de ce secteur économique. L'article vise à inscrire dans la loi l'exonération des appareils électroniques reconditionnés (principalement les téléphones) de la « rémunération pour copie privée » (RCP), si elle a déjà été payée lors de l'achat de l'appareil neuf. Cette exonération existe déjà, mais cet article bloquerait toute tentative de l'instaurer pour ce secteur.

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Créée en 1985, cette taxe s'applique aux fabricants d'appareils permettant de copier des oeuvres culturelles, et constitue une source de financement importante pour le monde de la création.

En dispenser définitivement les appareils de deuxième main serait un encouragement pour cette filière en plein développement, acteur-clé pour « verdir » l'industrie numérique. Mais le monde de la culture est vent debout contre toute perspective d'affaiblir la RCP, qui a généré 273 millions d'euros en 2020 au profit des ayants droit et de projets culturels comme les festivals.
Toucher à la RCP « fragiliserait encore un peu plus le monde culturel, déjà très affecté par la crise sanitaire », ont écrit dans une tribune récente au JDD quelque 1600 artistes (Jean-Louis Aubert, Nathalie Baye, Benabar, Sandrine Bonnaire, Julien Clerc...). La ministre de la Culture Roselyne Bachelot estime aussi qu'une remise en cause partielle de la « rémunération de copie privée » serait « inconcevable ».

En retour, plus d'un millier de salariés de la filière du reconditionnement ont eux aussi publié une tribune dans le JDD, affirmant qu'appliquer cette taxe menacerait pas moins de 2500 emplois dans leur filière naissante. « Nos vies comptent au même titre que la leur », répondent-ils aux artistes.

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D'autres membres du gouvernement  - la ministre de l'Ecologie, Barbara Pompili, ou le secrétaire d'État au Numérique, Cédric O - sont favorables à une exonération. À l'Assemblée, Virginie Duby-Muller (LR) souligne que ces emplois concernent souvent « des salariés en situation de handicap, qui y trouvent un moyen d'insertion».
« Taxer les produits reconditionnés serait un contresens majeur », fait aussi valoir Jean-Charles Colas-Roy, représentant de l'aile écologiste de LREM.
Le texte pourrait aller finalement dans le sens d'une taxation des appareils d'occasion rénovés, mais moins élevée que pour le neuf.
Un amendement gouvernemental prévoyant une taxation « spécifique et différenciée » de celle du neuf a été déposé pour la séance.

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