Audiovisuel
De la grande époque de Canal+ à Nagui, François Jost, professeur émérite à l’université Sorbonne Nouvelle, décrypte la manière dont l’humour a évolué ces dernières années à la télévision.

Rigole-t-on encore à la télévision française ?
François Jost. L’humour se retrouve aujourd’hui essentiellement dans des émissions beaucoup larges qu’avant, qui ne sont pas forcément des programmes d’humour. Dans les jeux, par exemple ceux de Nagui sur France 2, il y a un comportement humoristique, avec un humour un peu gaulois et égrillard. Ça fait partie de la manière de se rapprocher du téléspectateur. En revanche, le rire comme on pouvait le voir à une certaine époque sur Canal+ me semble avoir disparu.

Comment l’expliquez-vous ?
La force de Canal+ à l’époque, c’était la dérision, l’ironie autour des programmes et de ce qui se passait au sein de la chaîne. On pouvait même se moquer des dirigeants. Alain de Greef [ancien directeur des programmes de Canal+] était d’ailleurs un personnage récurrent dans Les Guignols de l'info. Ça, ça a totalement disparu et ça ne peut pas s’exercer totalement de la même façon sur YouTube parce que la parodie suppose qu’on ait des connaissances communes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on ne parodie pas beaucoup le cinéma, par exemple, à la télévision, on parodie la télé, parce qu’on est sûr que les gens ont les mêmes connaissances que le parodieur. Pour revenir à Canal+, l’époque a changé. Dans la réception de l’humour, le second degré est aujourd’hui quasiment impossible, on ne peut rire qu’au premier degré. Et puis Monsieur Vincent Bolloré n’aime pas tellement qu’on se moque des animateurs de ses chaînes...

Les chaînes ont-elles peur de prendre des risques en programmant des humoristes qui ne seraient pas assez fédérateurs ?
C’est sûr. D’ailleurs, quand on voit les émissions consacrées aux sketchs, c’est toujours autour de ceux que les Français ont aimé, avec un classement s’appuyant sur un sondage sur les personnalités qui fédèrent le maximum de gens. Les chaînes répondent aux goûts du public qu’elles connaissent, elles ne prennent aucun risque à ce niveau.

Voyez-vous un basculement de l’humour vers YouTube ?
L’humour est profondément segmentant. On ne rit pas tous de la même chose, selon sa catégorie sociale, son âge… L’humour ado qu’on retrouve sur YouTube n’est par exemple pas transposable à la télé, ou à peine. C’est la même chose avec le phénomène des mèmes ; la télé ne peut pas s’en emparer. Il existe tout de même quelques points de rencontre entre le monde d’internet et la télé en matière d’humour, par exemple avec les bêtisiers, qui reprennent l’humour de YouTube et qui occupent une place de plus en plus grande à l’antenne.

Comment définiriez-vous cet «humour YouTube» ?
Sur YouTube comme dans le cas des mèmes, on est sur un humour scriptovisuel, avec par exemple une image et une accroche verbale, une légende qui va faire l’humour. Un genre s’est aussi développé sur TikTok autour d’une accroche comme « quand ta mère te demande si… », accompagnée d’une illustration paradoxale. On ne trouve pas beaucoup ce genre d’humour à la télé, où on est davantage dans de l’humour verbal, autour de sketchs.

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