Cinéma
Les Rencontres des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP) ont fait ressortir les grands enjeux du cinéma français en attente d’un nouvel accord sur la chronologie des médias.

Deux fauteuils vides. Ni Canal+ ni Netflix n’étaient présents, aux Rencontres de l’ARP, le 5 novembre au Touquet, signe de la paralysie des négociations sur la chronologie des médias qui détermine l’exposition des films sur les écrans après leur sortie en salles. Or le temps presse, les parties ont jusqu’à mi-décembre pour s’entendre, un délai administratif de six à huit semaines étant nécessaire avant la date butoir, le 10 février 2022. Signé en juin, le décret Smad prévoit de faire contribuer à la création audiovisuelle et cinématographique à hauteur de 20 à 25 % de leur chiffre d’affaires les Netflix, Amazon Prime et autre Disney+ (dont un cinquième de cette manne dans les films français) et de négocier en contrepartie un avancement de leur fenêtre d’exposition (36 mois actuellement).

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Comme l’a expliqué Alain Sussfeld, le directeur général d’UGC, « nous sommes à 95 % d’un accord ». Les professionnels proposent une diffusion à six mois après la sortie en salles pour Canal+ et à quinze mois pour les plateformes (Smad), soit neuf mois d’exclusivité pour le grand argentier des films français. En échange, ils exigent de Canal+ un financement à 170 millions d’euros auquel s’ajoutent 20 millions d’euros pour la contribution de Ciné+ (groupe Canal+) et 20 autres millions en règlement d’un contentieux (il manque 30 millions d’euros du groupe à péage au regard de ses actuels engagements à 174 millions). Soit une facture totale de 210 millions d’euros par an sur trois ans.

Pour Jean-Francois Mary, conseiller du CSA, « les accords ne sont pas indispensables pour faire vivre le système ». La réglementation s’appliquera quoi qu’il advienne. Le risque est toutefois que Canal+ se désengage du financement du cinéma, quitte à perdre sa fréquence TNT qui lui impose des obligations en matière. On pourrait alors imaginer Canal+ à neuf mois et des plateformes à douze. « Si demain le cinéma perd Canal+, on sera tous perdants », rappelle la député LREM Aurore Berger. Une hypothèse à laquelle ne croit pas Alain Sussfeld : « Le taux de TVA des plateformes est à 20 %, celui des chaînes est à 10 %, et le montant de la différence, c’est la contribution du cinéma. »

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En attendant, les plateformes font ressentir leur emprise en sortie de crise sanitaire. Malgré un rebond des entrées en salles en octobre, le recul est encore de 29 % par rapport à octobre 2019. Ce sont moins les jeunes qui manquent à l’appel que les « 35-70 ans », selon le patron d’UGC. La perspective d’un « Netflix festival » à travers la cinémathèque et l’Institut Louis Lumière fait bondir ceux qui y voient une remise en cause de la création indépendante et un aval donné à la privatisation des œuvres. Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, a déjà mis en place la loi du 25 octobre qui permet d’obliger l’acheteur d’un catalogue à « protéger l’accès du public à ces œuvres à travers leur exploitation suivie ». Mais que faire face à des droits digitaux et mondiaux sur une seule plateforme ? Le président du CNC, Dominique Boutonnat, qui lance un groupe de travail à trois mois sur le financement du cinéma, pose la question qui fâche : « qu’est-ce qu’un film ? ». Ne peut-il pas être « consommé ailleurs qu’au cinéma » ? De quoi faire exploser toute une filière.

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