Stratégies Les 50
La propagation massive des fake news représente une menace démocratique sans précédent. Et si le journaliste reste bien la dernière sentinelle capable de les combattre, il devra pour cela accepter les bénéfices d’une nouvelle alliée de choix : l’intelligence artificielle. Décryptage et illustrations.

La démocratie repose sur la capacité des citoyens à exprimer des choix libres et éclairés. Aujourd’hui, cette liberté d’expression s’avère menacée par un autre gisement de progrès, celui de la révolution digitale. Pour Roger McNamee, ancien conseiller de Mark Zuckerberg, «la démocratie pourrait bien ne jamais se rétablir». Car si internet crée un accès inédit à l’information et à la diversité, le débat public se paie au prix fort des fake news, deep fakes et autres amplifications complotistes. On peut ainsi louer l’effet d’accélérateur du digital sur des phénomènes tels que les marches pour le climat ou le célèbre MeToo. Mais déplorer dans un même temps les 45,5 millions de tweets ayant relayé ou commenté une fake news, et relevés en une seule année par la société Visibrain.

La qualité de l’information et le travail journalistique deviennent dès lors essentiels pour combattre une infobésité toxique pour le libre arbitre. Mais avec une information plus dense, la tâche devient irréaliste à échelle humaine. Pour beaucoup, comme pour Vincent Giret, directeur de l’information de Radio France, l’intelligence artificielle reste donc la clef, «l’arme nouvelle dans la guerre contre la désinformation». Sauf à la considérer comme un journaliste à bas coût. Certes, le robot Heliograf du Washington Post a publié 850 articles l’année dernière dans les domaines sportifs ou électoraux. Mais hormis ces traitements de données en nombre, l’IA ne peut remplacer l’intelligence journalistique, lui offrant plutôt de lutter à armes égales et avec la même vitesse de traitement que les diffuseurs de faits alternatifs.

Dans ce sens, la Commission européenne s’attelle à la création d’un cadre législatif en faveur d’une IA plus fiable. À horizon 2021, elle a pour ambition de réduire les préjugés de genre, sociaux ou culturels dans les technologies pour éliminer les biais. Elle opère un distinguo entre bonnes et mauvaises IA, les dernières étant capables d’opérer de la surveillance, de la notation individuelle ou de la manipulation de comportement. En parallèle, sur le terrain, des premières initiatives montrent le chemin d’un nouveau journalisme. Focus sur trois d’entre elles, sélectionnées pour leur exemplarité.

 

Écrire pour être lu, la promesse de l’outil Newswhip

Les plateformes d’écoute sociale, capables d’analyser toute la data publique, ont depuis longtemps gagné le cœur des entreprises sur des sujets comme la veille concurrentielle, la captation de tendances ou la gestion de réputation. Aux journalistes désormais de s’y intéresser, pour comprendre, grâce à l’analyse en temps réel de la vie de leur contenu en ligne, l’engagement des communautés ou les tendances qui feront l’actualité de demain. L’outil Newswhip, par exemple, peut tout autant mesurer les performances d’un article, qu’identifier les sources d’information, ou comprendre les audiences et prochaines tendances. «L’IA n’est pas décisionnaire, elle reste une approche scientifique pour soutenir les choix du journaliste», rappelle Paul Quigley, fondateur et CEO de Newswhip. Cette technologie est déjà utilisée au quotidien depuis sa création par la très sérieuse agence Associated Press.

 

Serelay et la blockchain pour combattre les deepfakes

Les deepfakes, ou truquages visuels hyperréalistes, génèrent des effets désastreux sur la toile, avec des difficultés à détecter encore ces falsifications. Pour combattre ce fléau, les médias se mettent en ordre de marche. Dernier exemple en date, l’équipe dédiée du Wall Street Journal qui utilise des technologies comme celles de l’entreprise Serelay. La start-up s’appuie ainsi sur la technologie et l’infrastructure de sécurité des smartphones, pour doter les contenus dès leur création d’un cryptage dans la blockchain, le bouton photo activant en arrière-plan l’authentification. Depuis le début d’année, un partenariat avec Adobe permet également d’attacher automatiquement au contenu des métadonnées de temps et de lieux non mutables. Et dans un même temps, l’entreprise a lancé un nouveau produit participatif avec The Guardian qui encourage chacun à capturer et soumettre des photos nativement authentifiées. Et si demain, l’idée progressait suffisamment jusqu’à être intégrée nativement dans toutes les caméras de smartphone, le journalisme n’entrerait-il pas dans une autre dimension ?

 

Le robot journaliste Syllabs

Le débat du robot journalisme et de sa concurrence avec l’homme-reporter a longtemps fait rage, jusqu’à admettre qu’un bot pouvait prendre la relève avec mesure sur des domaines tels que le sport, les élections, les analyses financières, ou encore la météo. Ce journalisme augmenté est, depuis, légion dans les conférences de rédaction, en utilisant des outils comme Syllabs, moteur de rédaction mis au point par des experts en IA et des linguistes pour présélectionner des informations et produire du contenu rédactionnel de qualité. Cette entreprise française compte notamment à son actif des descriptifs de véhicules pour Auto Plus, ou encore des comptes rendus de matchs de foot pour l’AFP. «Syllabs ne remplace en aucun cas les journalistes, l’IA étant utilisée pour faciliter le travail humain», rappelle Claude de Loupy, cofondateur et CEO de Syllabs. Au programme des potentiels du moteur encore non exploités, la génération automatique de bio et encarts sur la personne citée au fur et à mesure de la frappe. À suivre…

L’opinion d’Open AI, l’algorithme d’Elon Musk

L’entreprise Open AI a été dotée d’un milliard de dollars par Elon Musk pour «promouvoir et développer une intelligence artificielle à visage humain». Nous avons interrogé l’algorithme GPT-3, destiné au traitement du langage naturel, et qui, avec 175 milliards de neurones, reste le plus puissant à ce jour. Point de vue littéral de robot : «Les journalistes sont désormais en mesure de se concentrer sur ce qu’ils font le mieux : une narration et une analyse de qualité, qui prendraient autrement du temps sans l’aide d’assistants IA qui trient automatiquement les données ou fournissent automatiquement des informations sur les sujets des articles. L’utilisation de l’IA dans l’industrie des médias présente de nombreux avantages, mais aussi quelques risques. Certains de ces risques incluent un biais accru dans les articles en raison du fonctionnement des algorithmes et du fait que les entreprises ont accès à toutes sortes d’informations privées grâce à l’exploration de données.»

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