Stratégies Les 50
Golshifteh Farahani, actrice internationale qui a joué dans «Mensonges d’État» de Ridley Scott comme dans «Pirates des Caraïbes», est à la fois Iranienne et Française. À la manière de Montesquieu dans les Lettres persanes, elle jette un regard plein d’acuité sur son pays d’adoption.

Maryam Salehi. Vous connaissez l’appétence que l’on prête aux Persans pour l’analyse anthropologique de la France et des Français. Mais ce n’est pas l’œil du voyageur que j’aimerais interroger, mais celui de la Française née à Téhéran : qu’est-ce qu’être Française signifie pour vous ? Le fait d’avoir connu l’exil aide-t-il à comprendre la France ? À l’aimer ?

Golshifteh Farahani : Je suis une voyageuse. Je suis venue en France et c’est comme ça que je suis devenue une Parisienne. J’ai le sentiment d’être une Française venue d’ailleurs et qui porte en elle un exil. La France est mon pays adoptif. Je l’aime comme la famille qui m’a acceptée et qui m’a prise sous sa protection. Parfois, mes débuts avec elle ont été difficiles. Je me suis souvent retrouvée face à des incompréhensions culturelles très fortes et qui ont pu me choquer. Comme la fois où mon premier fiancé français m’a expliqué la liberté amoureuse et assumée des Français avec la notion d’amant ou d’amante… On peut s’asseoir autour d’une table pour manger et rester des heures à parler, débattre… Mais ce qui m’a marqué c’est que les discussions étaient autour d’une pièce de théâtre, d’un livre, d’un sujet d’actualité mais elles n’étaient jamais portées sur les convives eux-mêmes. Je me souviens d’une fois où j’ai demandé autour d’une table à une jeune femme si elle était heureuse et le silence s’est fait immédiatement. J’ai eu le sentiment de dire une impolitesse. Mon amie m’a dit «mais c’est quoi ce genre de questions ?». J’ai compris plus tard…

N’est-ce pas une mise à distance ?

Les Français ont une distance mais arrivent, grâce à la culture, à être proches les uns des autres. Je trouve la France extrêmement «culturelle», ce qui permet aux Français de se cacher derrière elle. En France, on ne parle pas de soi, mais on parle de soi à travers Freud ou un livre. Les Français analysent beaucoup les taches sans chercher à les enlever. L’idée n’est pas de trouver une solution concrète. C’est très différent de la culture par exemple «Indian» qui se fiche d’où vient la tache mais qui veut juste proposer des moyens de l’enlever. Mais tout ça fait qu’on tombe facilement amoureux de la France, des Français mais aussi, pour moi, des Parisiens. Cette complexité à les cerner fait qu’ils sont passionnants. Je ne peux pas comprendre ceux qui trouvent les Parisiens insupportables ! Je les aime tellement. Et quand je les vois se cacher, je les aime encore plus.

La France est-elle toujours un endroit où il fait bon débattre ? Respecte-t-elle toujours l’esprit, c’est-à-dire la haute estime qu’on témoigne aux écrivains, aux penseurs, aux philosophes et aux artistes avant le reste, avant la naissance ou l’argent ?

Oui je trouve que la France est un pays de traditions très ancrées dans sa culture et dans son organisation, notamment politique. Sa tradition donne l’impression parfois d’être un frein à des avancées culturelles mais aussi sociales. Le droit humain semble difficile à faire évoluer par rapport à d’autres pays. Il y a un esprit collectif très fort qui ne permet pas de lâcher certaines valeurs. Mais ce que j’aime en France, c’est que le poids de la tradition donne l’impression que rien ne change. Il y a quelque chose de rassurant et de confortable. Ce qui peut être aussi dangereux et facile. À Paris, les quartiers bobos tendent à ressembler à Manhattan mais l’esprit est toujours français. Malgré cette lutte pour faire perdurer ses valeurs, le pays change malgré lui. Le monde ne lui laisse pas le choix. Mais la façade reste la même comme à Paris. En plus de la tradition morale très importante. La France a une tradition culturelle très forte : sa cuisine, son vin mais aussi, pour moi, son cinéma. Les réalisateurs parlent souvent de choses simples mais d’un point de vue psychanalytique. Je pense tout de suite à Arnaud Desplechin qui va décortiquer les petits détails de l’être humain et va réussir à les rendre beaux. François Truffaut et Jean-Luc Godard ne mourront jamais car cette école continue malgré le temps qui passe. La France résiste à l’américanisme ambiant dans son art et dans sa culture. Son identité est unique et puissante.

Vous avez récemment déclaré votre amour pour la France en disant qu’elle est votre « mère adoptive » et que vous aviez l’impression, parfois, que ses enfants biologiques étaient plus sévères à son encontre que vous, enfant adoptive. Pouvez-vous nous en dire plus, sur ce que vous semblez considérer comme une chance inestimable que l’on a de pouvoir se réveiller et de vivre en France ?

Heureusement que la France est ma mère adoptive. Je ne peux pas imaginer un autre pays. Après 14 ans d’exil, si je regarde en arrière et si je m’imagine ailleurs, j’ai l’impression que j’aurais raté tellement de choses dans ma vie ! J’aime la France, et j’ai beaucoup de reconnaissance envers elle. J’en vois toutes les belles choses. Notamment de ma place d’artiste, je suis sensible au fait que l’art peut vivre. La France lui donne un statut unique et une place importante. C’est une richesse pour un pays. Je suis née dans une famille d’artistes. Et l’art, pour nous, est la chose ultime pour vivre. Quand je regarde l’attention donnée aux artistes qui galèrent, cela me donne toujours beaucoup d’émotion. J’ai des amis artistes qui viennent d’Iran et qui, au bout de quelques années en France, critiquent la bureaucratie, les impôts etc. Mais je leur dis d’arrêter. Je leur demande s’ils ont déjà oublié l’Iran avec son manque de sécurité politique, économique et humaine. Je crois que c’est un problème, quand on vient d’ailleurs, on râle plus que les Français. On absorbe l’esprit français et on ne se rend plus compte de notre chance. Eh oui ! le besoin de râler qui va si bien aux Français est repris par ses enfants adoptifs ! Ils prennent l’exemple ! Cela donne l’impression d’exister. Et bien sûr, les aides sociales ! Il n’y a eu aucun pays au monde qui a mis pendant le covid des tests PCR gratuits. Quand je suis revenue en France après un an et demi bloquée à l’étranger, j’ai été surprise. J’ai pu payer ailleurs jusqu’à 150 euros mes tests PCR. On oublie à quel point nous sommes protégés en France. Je tiens à finir cette question en soulignant sa beauté. Elle est partout : dans son art, dans sa tradition, dans sa culture. Je voyage beaucoup pour mon travail et sur les plateaux je mange souvent mal. En France, dans n’importe quel film, même à tout petit budget, je mange bien ! C’est un signe de respect.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.