Investissements médias
Les annonceurs du luxe et leurs agences ont tendance à revoir leur stratégie de dépenses sous l'influence des changements d'habitude liés à la crise du covid. Mais les nuances perdurent d'une géographie ou d'une marque à l'autre.

Le covid n’a pas dit son dernier mot, y compris chez les annonceurs du luxe. Comme le résume Nicolas Chaumont, global client partner d'iProspect (Dentsu), en charge de grands comptes, la crise sanitaire a été un accélérateur de modification des comportements médias. « Dans ce secteur où la transition digitale n’a pas été très rapide, car on était plus connecté aux sujets image et retail, dit-il, il y a eu un coup de chaud avec le covid et on commence à reconsidérer le digital en même temps que le gap avec d’autres régions du monde ». Autant l’Asie et les États-Unis concentrent, précise-t-il, près de 90 % de leurs investissements médias sur les canaux numériques, autant la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique (Emea) rechigne à dépasser les 50 % sur le digital. Faut-il y voir le poids de traditions ancrées, la propension de grandes marques européennes à soutenir une industrie des médias qui lui est proche ? Sans doute car l’origine des annonceurs compte. Pour le japonais Shiseido, par exemple, la digitalisation du portefeuille est plus marquée que pour un LVMH, par ailleurs actionnaire de médias en France (Les Echos, Le Parisien, Radio Classique…). Antoine Arnault, dircom du groupe, revendiquait d’ailleurs en septembre 2020 dans Stratégies un certain équilibre : « Toutes nos maisons utilisent Instagram, Facebook, Twitter… Ce sont devenus des partenaires médias au moins aussi importants que nos grands partenaires historiques. Je rencontre aussi bien Laurent Solly (Facebook) qu’Anna Wintour (Vogue). » Reste que la globalisation s’accentue depuis le covid. « L’effet de réseau joue à plein alors qu’on avait auparavant des régions voire des pays fonctionnant beaucoup plus en silos », ajoute Nicolas Chaumont.

Des annonceurs sélectifs et vigilants

Mais comment se fait cette redistribution des cartes ? Si la télévision « reste un socle notamment pour les parfums », comme le rappelle Philippe Nouchi, directeur de l’expertise médias de Publicis Media, elle ne revient pas au niveau de 2019 tandis que la presse est en retrait et la communication extérieure et le cinéma demeurent difficiles à appréhender. Quant au digital, il est évidemment le grand gagnant. « Le luxe fait davantage appel aux influenceurs, le social y a pas mal de poids et ce n’est pas juste pour de la bascule de TV en vidéo », ajoute Philippe Nouchi.

Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de confiance aveugle. « Les annonceurs sont plus sélectifs et vigilants sur leur environnement, il y a un arbitrage plus fin et sélectif pour se différencier davantage, reprend l’expert d’iProspect. Pour parler à l’élite, plutôt Linkedin que Facebook par exemple ». Sur le offline, c’est l’idée de parti-pris qui l’emporte, d’expériences uniques pour des happy few, dans un rapport de partenariat autour de contenus, incluant d’ailleurs des prolongements digitaux. « L’enjeu, c’est le full funnel, complète Stéphanie Jolivot, directrice du business intelligence à Publicis Media, avec de la notoriété, de la considération… et de la conversion : tous les médias deviennent des magasins ». Social, formats display exclusifs, DOOH… tout est dans la fusion des deux mondes à travers, en particulier, des expériences de gaming dans lesquelles on retrouve Gucci (Kering) ou Louis Vuitton (LVMH).

 

Discours descendant

Les acteurs du luxe suivent un calendrier de communication spécifique, articulé, selon la catégorie de produits, autour des Fashion Weeks, des fêtes des Pères et des Mères, de Noël, etc. Sur ces temps courts et communs à tous, la difficulté est de se démarquer des autres maisons. Parfois, ils visent une double cible, le grand public d’une part et les médias d’autre part, sans compter que l’image des marques peut ou doit se construire sur le long terme. « Le groupe LVMH qui agrège 76 maisons indépendantes suit un fil conducteur : l’obsession du premium. Il s’agit de privilégier l’émergence, l’écrin, la puissance », souligne Jean-Philippe Bertaux, PDG de KR Wavemaker France (GroupM - WPP). Cela se traduit par exemple par des emplacements préférentiels ou une appétence pour des environnements éditorialisés. 

« On voit bien que le podcast suscite un intérêt chez les annonceurs même s’il s’agit encore d’un petit marché », relève ainsi Hélène Bouchon, responsable études et recherche à Mediabrands.

Mais en termes de médias, « les leviers dominants sont visuels et audiovisuels », indique Thierry Joly, directeur général de Havas International (Havas Media Group). Les stratégies se construisent ensuite au cas par cas. Les parfums, l’automobile, la beauté, la tech, la maison se tournent vers la télé. C’est moins le cas de la mode, sinon sur des produits d’accès ou dans une optique de créer du rêve. Des exceptions existent : « En 2012, Cartier avait monté L’Odyssée, un film de 3 minutes 30, montré en TV via des partenariats exclusifs, en France avec TF1 », complète l’expert. « LVMH est le premier investisseur en presse aujourd’hui en France », assure Jean-Philippe Bertaux. La TV segmentée, en termes de ciblage des audiences, pourra ouvrir des opportunités, lorsque la technique sera plus mature. « Nous l’avons testée avec Sephora pour la marque Tarte que l’enseigne distribue, sur TF1 et M6, en juin », précise Marie Costeux, directrice générale de KR Wavemaker.

Le digital ne permet d’ailleurs pas de construire une image sur le long terme, voilà pourquoi LVMH aurait remodifié son équilibre en faveur des médias. Les réseaux comportent des risques accrus de mises en cause directes par les socionautes, alors que les maisons de luxe privilégieraient plutôt un discours descendant…

La ventilation des médias

Sur le segment de la mode, couture, bijouterie et joaillerie hors parfumerie, le rebond des investissements publicitaires médias du luxe est indéniable en 2021, selon Kantar : +23 % en septembre 2021 (vs septembre 2020). Mais les investissements restent en deçà de 2019 à l’exception de la télé où ils sont en hausse grâce à des joaillers comme Pandora, Mauboussin et Swarovski.  En septembre 2020, on avait observé une très forte baisse : -35 % vs septembre 2019 (-15 % tous secteurs confondus). « Sur ce secteur, même si elle reste première, la part de marché de la presse s’est érodée, passant de 69 % en 2019 à 62 % en 2021 », constate Hélène Bouchon, responsable études et recherche de Mediabrands. Si l’on envisage l’univers en incluant la parfumerie, qui pèse à elle seule la moitié de l’univers du luxe élargi, le rebond est de 34 % en 2021 vs 2020, année qui affiche -43 % vs 2019. « Le niveau de 2019 n’a pas encore été retrouvé, même en télé », ajoute-t-elle. Dans cet univers élargi (qui prend mal en compte le digital), les parts de marché sont trustés par la presse (44 %), et la télé (41%). Reste à scruter le dernier trimestre qui est essentiel pour ce secteur avec les fêtes et définira la tonalité de 2021.

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