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Dans une interview à Stratégies, le secrétaire général de Reporters sans Frontières revient sur les recommandations qu’il porte en vue des Etats Généraux de l’information. Parmi celles-ci, l’idée de faire de la lutte contre la désinformation « la grande cause nationale ».

RSF a publié, le 28 septembre, un livre blanc contenant trente propositions dans la perspective des Etats généraux pour le droit à l’information, qui se tiendront en novembre, à la demande du président de la République. Ce rapport de 32 pages est tiré des assemblées citoyennes organisées lors de la tournée du #BusRSF dans vingt villes et villages de France, à partir de réunions mêlant des citoyens de toutes sortes, sur la base de scénarios relevant du design prospectif. Les Français étaient incités à formuler leurs observations mais surtout à proposer des solutions.

La première des 30 recommandations porte sur la constitutionnalisation du droit à l'information, dans un contexte de « chaos informationnel » et des manipulations favorisées par les nouvelles technologies. RSF souhaite élever la lutte contre la désinformation au rang de grande cause nationale et appelle de ses vœux un « New Deal pour le journalisme », permettant de garantir un financement public et privé pour assurer l’avenir de la fonction sociale du journalisme. Dix propositions majeures ont été formulées. (voir encadré).

Si un dispositif incitant les annonceurs à placer leurs budgets publicitaires vers des médias produisant « du journalisme digne de ce nom » est réclamé, seule la proposition 7 portant sur l’émergence d’entreprises à mission dans les médias évoque de loin l’urgence climatique en appelant à «  un journalisme bas carbone », avec une « utilisation raisonnée des ressources ». Explications du secrétaire général de RSF, Christophe Deloire.

Lire : Le plan de Reporters sans frontières pour lutter contre les fake news

Pourquoi n’avez-vous pas retenu un « journalisme à la hauteur de l’urgence climatique » parmi vos dix propositions prioritaires ? Une charte a été conçue en ce sens. Est-ce que RSF va la signer ?

Christophe Deloire. Une information bas carbone est dans nos trente propositions. On considère qu’il n’est pas de notre ressort d’énoncer ce que doit dire le journaliste. On sortirait de notre socle d’objectivité. On est dans une vision un peu procédurale. On ne parle pas de telle ou telle orientation, aussi légitime soit-elle. Nous ne sommes pas du tout hostiles à cette charte. Mais est-ce que les médias doivent s’engager ? Il y a eu des débats dans les rédactions. Nous, nous faisons toujours très attention de ne pas sortir d’une neutralité axiologique, quel que soit le sujet et quoi qu’on pense à titre personnel.

N'est-ce pas une attente qui est ressortie de votre tournée en bus ?

C.D. Il y a une demande très forte des Français de les éclairer sur les grands sujets, sur les grands bouleversements climatiques, technologiques, géopolitiques… On veut sortir des petites histoires pour entrer dans les grands sujets ! L’envie de comprendre a remplacé l’envie de savoir. Dans La Fin des Journaux, Bernard Poulet parlait déjà de la fin du « fétichisme de l’information ». Il y a moins d’appétence pour le fait de savoir des choses disparates. Même si on ne sait jamais à quel point cette demande est contradictoire avec les comportements du public.

La fondation Jean Jaurès a parlé de « fatigue informationnelle ». Cela porte-t-il un risque sur nos démocraties ?

C.D. Il y a trois grands sujets. Le premier porte justement sur cette profusion d’informations, ce jet continu et surpuissant de contenus en tout sens. Oui, la captation permanente de l’attention et la multiplication des médias de toute sorte finissent par nous épuiser. Le deuxième sujet, c’est l’intégrité et la transparence des médias. Et le troisième, c'est l’exigence d’un plus grand réalisme impliquant de dire l’ensemble de la réalité.

Faire de la lutte contre la désinformation une « grande cause nationale »,  c’est cibler plus précisément les plateformes ?

C.D. Il est nécessaire d’imposer aux plateformes une lutte structurelle contre la désinformation. Aujourd’hui, il y a des actions menées, mais dès qu’il s’agit de faire en sorte que le modèle même des plateformes ne favorise pas la désinformation, il n’y a plus personne. Un seul exemple : un code de bonnes pratiques contre la désinformation a été édité sous l’égide de la Commission européenne. Un engagement attendu portait sur les indicateurs de fiabilité de l’information. Sur douze plateformes, il n’y en a qu’une – Microsoft - qui l’a signé alors même que le texte avait été négocié avec elles.  Elles font de grands discours, mais quand il s’agit de passer structurellement à l’acte, elles ne sont pas là.

Parmi les dix objectifs prioritaires de RSF, il y a « favoriser le journalisme constructif pour dépasser la négativité ».  C’est la première fois que votre ONG met en avant l’information positive ?

C.D. Ce qui est remonté de la tournée en bus de RSF au contact des Français, c’est que les journalistes présentent des choses très négatives. Il y a une sorte de choc entre une aspiration populaire à parler aussi de ce qui va bien et une culture journalistique qui n’est pas portée vers cela. Cela ne veut pas dire mettre des lunettes roses mais ne pas avoir de biais favorisant les accidents, les morts, etc.

Les journalistes ne parlent pas tellement des trains qui arrivent à l’heure…

C.D. Il n’y a pas de raison. Il est aussi intéressant de parler de l’évolution des trains, de l’industrie ferroviaire, des aiguillages… On a parlé de journalisme constructif car cela consiste à lutter contre le biais de négativité. Les événements sont rarement des bonnes nouvelles, à la temporalité plus lente. Ce qui surgit, ce sont surtout des accidents. Dans notre déclaration sur l’information et la démocratie, nous disions que le journalisme devait s’attacher à parler des événements mais aussi des évolutions et des situations. Dans mon bouquin, La Matrice, je parle d’un économiste allemand qui raconte que tous les jours depuis trente ans, les journaux auraient pu faire le même titre : « Hier 137.000 personnes sont sorties de l’extrême pauvreté ». A lire les médias, on n’a pas toujours cette conscience-là

Les « dix propositions majeures pour le droit à l’information »

 1. Constitutionnaliser le droit à l’information

2. Faire de la lutte contre la désinformation la grande cause nationale

3. Instaurer un système de protection des démocraties au niveau européen

4. Favoriser l’émergence d’entreprises à mission dans les médias

5. Mettre en place un Pass Médias pour les jeunes de 15 à 24 ans

6. Mettre en avant les informations dignes de confiance sur les plateformes

7. Développer les interactions entre les journalistes et les citoyens

8. Faire du 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, la « fête des Médias »

9. Décentraliser le traitement de l’information

10. Favoriser le journalisme constructif pour dépasser la négativité

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