Edition

Dans son enquête, Les Fossoyeurs, qui vient d'obtenir le prix Albert Londres, Victor Castanet a mis à jour les pratiques d'Orpéa qui a abouti à l'effondrement du titre en Bourse et à l'éviction de ses dirigeants. Il annonce pour janvier dix chapitres inédits sur ceux qui ont essayé d’empêcher que l’information arrive auprès du grand public. Entretien.

Les Fossoyeurs, paru en janvier chez Fayard, vient de remporter le prix Albert Londres dans la catégorie « livre ». C'est un phénomène journalistique ? médiatique ? d’édition… ?

Un peu tout cela à la fois. Tout est parti en janvier de la Une du Monde mais il y a eu aussi un effet de souffle absolument incroyable de la part des médias qui ont relayé les informations du livre et les ont poursuivies en participant à la libération de la parole. A la fois des salariés du secteur mais aussi des familles sont venus confirmer les informations du livre et ont continué d’une certaine manière l’enquête. Cela a entraîné un débat de société sur la gestion des personnes âgées dans toutes les tranches d’âge. Comme on était en pleine campagne, tous les candidats à l’élection présidentielle ont parlé de leurs propositions pour améliorer l’encadrement du secteur. Puis il y a eu le suivi des enquêtes administratives, les enquêtes judiciaires... En parallèle, c’est un phénomène d’édition puisqu’au premier tirage on est à une dizaine de milliers d’exemplaires, on passe à 18.000 avec la Une du Monde et, dès le premier jour, tout est vendu. On est aujourd'hui à 170.000 exemplaires vendus et 220.000 en circulation.

Une édition de poche va sortir aussi le 25 janvier…

Oui, il y aura dix chapitres inédits où je raconte les coulisses de l’enquête, avec tous les acteurs qui ont essayé, d’une manière ou d’une autre, d’empêcher que l’information arrive auprès du grand public dans les mois qui ont précédé et qui ont suivi la sortie du livre : les sociétés d’intelligence économique, les boîtes de communicants, les hackers, les journalistes, etc. Bref, tout ce qui est mis en place pour permettre à une société cotée en Bourse de riposter : manipuler l’info, brouiller les pistes, empêcher que l’information sorte puis qu’elle ait de l’impact. Cela dit à quel point l’information peut avoir de l’impact mais aussi à quel point elle est fragile et l’objet de manipulations de la part d’acteurs que le grand public ne connaît pas toujours.

On se souvient de la tentative de corruption qui a été menée à votre endroit.  Est-ce que cela a participé au succès du livre ? Et est-ce que ces tentatives de déstabilisation ont continué ?

J’ai décidé avec ma maison d’édition d’incarner mon livre et mon sujet. Je suis allé énormément dans les médias pour montrer mon visage. Le fait que je sois jeune, indépendant et que je ne parle pas de politique...

Et que vous soyez incorruptible…

… Oui, cela a certainement joué pour mobiliser les gens. J’ai incarné le sujet mais cela a aussi été le cas d’énormément de sources qui ont décidé de continuer de participer à cette enquête et sont allées témoigner dans les médias : la famille de Françoise Dorin, le cadre-infirmier lanceur d’alerte Laurent Garcia, l’ex-juriste d’Orpéa Camille Lamarche, qui a enregistré des conversations au sein du service RH pour prouver les pratiques irrégulières au sein du groupe, l’ancien directeur médical de la branche clinique Patrick Métais qui raconte le système de l’intérieur… Cela a rendu cette enquête plus humaine et plus forte. J’étais inquiet pour mes sources après les intimidations que nous avions reçues. Je leur avais envoyé le manuscrit avant publication et elles ont choisi d’apparaître à visage découvert, contre l’avis de leur avocat. Heureusement, la vague de soutien a été tellement forte que ça a protégé tout le monde.

Y a-t-il eu des poursuites contre vous ou vos sources ?

Non, les dirigeants d’Orpéa ont répété à maintes reprises notamment devant l’Assemblee nationale qu’ils allaient porter plainte en diffamation. Ils ne l’ont jamais fait. Tous les points de l’enquête ont été confirmé par l’Inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des services, puis par un audit interne au groupe Orpéa qui a validé la captation irrégulière d’argent public, les violations répétées au droit du travail, les situations de maltraitance. Et la nouvelle direction d’Orpéa a porté plainte contre l’ancienne, notamment pour abus de biens sociaux. Le Orpéa d’aujourd’hui reconnaît les pratiques irrégulières de l’ancienne direction et l’intérêt de ce livre.

Quel a été le rôle de l’éditeur ? A-t-il fallu polir certains passages, ne serait-ce que pour des raisons juridiques ?

Un rôle essentiel. Mon éditrice Sophie de Closets m’a fait confiance pendant trois ans, elle m’a donné les moyens de faire mon enquête et elle ne m’a pas mis de dead line. Elle m’a donné beaucoup de temps, de liberté et de moyens. Après, quand j’ai rendu mon manuscrit, il y eu un travail exceptionnel avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme qui ont fait un boulot d’éditeur et coupé quand c’était trop long, trouvé un titre fort (j’avais pensé à « la mafia Orpéa »). Il fallait trouver ensuite la bonne manière de sortir le livre, le faire sous embargo pour protéger les sources, contacter les bons médias. Mon attachée de presse, Sandie Rigolt, a été excessivement présente pendant des mois et des mois pour me faire faire les bon choix notamment des émissions dans lesquelles aller. Il y eu aussi un mediatraining en particulier pour que je ne qualifie pas juridiquement les faits dans les interviews. Il fallait que je sois très précis et très factuel. Christophe Bigot, l’avocat de Fayard, a joué aussi son rôle. Il ne fallait pas dire « détournement d’argent public » mais « captation irrégulière d’argent public ». A la justice ensuite de se prononcer. Le but était de dénoncer un système plus que des gens. On a donc fait le choix d’enlever les noms d’un certain nombre de cadres de l’entreprise mis en cause pour pointer les responsabilités des trois principaux dirigeants et de quelques personnalités politiques.

Vos révélations ont changé le cours des choses. Albert Londres a-t-il inspiré votre action ?

C’est une figure par son engagement, la qualité de ses reportages et son style littéraire. Il est vrai que certains de ses reportages ont entraîné des changements. On apprend beaucoup en le lisant. Une des choses qui m’importe le plus, c’est l’impact. Si j’ai passé autant de temps sur ce sujet, c’est que je voulais avoir assez d’éléments pour impacter la société et produire un électrochoc.

Votre prochain terrain d’étude ? On dit que ce pourrait être sur l’univers psychiatrique…

Je pourrai pas le dire car l’idée est d’être discret quand on je mène une enquête. Certes, ce sera moins facile qu’avant. Mais la notoriété qu’a eu ce livre a eu des effets positifs : les gens m’alertent et me font confiance, notamment dans la santé. Ils savent que je ferai un travail sérieux qui ira au bout des choses. Les enquêtes sur lesquelles je travaille, notamment pour Le Monde, c’est suite à des alertes après la sortie du livre. Tous les jours, je reçois un mail me proposant d’enquêter sur tel ou tel sujet. Avec ma nouvelle maison, Flammarion, qu’a rejoint Sophie de Closets, je me lancerai bientôt sur une nouveau livre-enquête de deux ou trois ans.

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