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C’est près d’Arras que Léonce-Antoine Deprez, PDG de l'imprimerie Léonce Deprez (ILD), poursuit l’activité initiée par son arrière-grand-père. L’imprimeur de Society ou Pif Gadget dévoile les dessous d’un métier en pleine mutation.

C’est la modernité de l’usine qui saute d’abord aux yeux. L'élégant bâtiment crème posé au milieu d’une pelouse, dans la zone industrielle de Wancourt (Pas-de-Calais, Hauts-de-France), se trouve à 10 km d’Arras. 6 400 m2 y sont dédiés à l’impression de catalogues, livres de poche, prospectus et brochures institutionnelles. Surtout, plus de 250 magazines en sortent mois pour les tirages variant de 2 000 à 150 000 exemplaires. Automoto, Onze Mondial, VSD, Pif Gadget, Yam, Marketing Magazine, Entreprendre, Jazz magazine y voient le jour comme toutes les publications de Franck Annese, fondateur de Society, So Foot, Tampon et So Good.

Le patron du groupe So Press a bien des points communs avec le maître des lieux, Léonce-Antoine Deprez, PDG de l'imprimerie Léonce Deprez (ILD), qui nous reçoit ce matin-là. À commencer par une passion pour la presse papier « C’est le seul média où il y a encore accès à de l’information profonde, au long. Et on retient tellement mieux l’info lue sur papier que sur digital », assure l’imprimeur. Dès l’entrée de l’usine, le vacarme des rotatives offset, hypnotiques et fluviales, nous emporte comme il entraîne les imprimés. Lesquels passent de l’état de bobines immaculées à celui d’exemplaires, façonnés, assemblés, routés et mis en palettes pour être distribués.

45 000 exemplaires par heure

Tout commence par le planning électronique géré par une intelligence artificielle. Ce système inédit en France a demandé six mois de paramétrage. Il permet via deux écrans de visualiser la production prévue. Et donc de caler sur l’instant les commandes des éditeurs, pour que l’imprimerie tourne de manière optimale du lundi 6 heures au samedi 13 heures. Soit une rotative 32 pages qui imprime jusqu’à 45 000 exemplaires par heure en trois huit, une 16 pages qui fonctionne en deux huit et une « machine feuille » dédiée aux impressions luxueuses comme les couvertures avec vernis acryliques.

« 40 % des clients livrent leur fichier en retard à cause des régies pub ou des éditos du maire, sourit l’industriel, et cela peut aller jusqu’à une semaine de retard ». Réorganiser le planning sur l’instant s’avère salvateur. Comme toute l’informatisation des tâches. Six postes ont été supprimés entre la création de la commande du client et la validation du fichier d’impression. La PAO, publication assistée par ordinateur, déclenche l’envoi de ces plaques en aluminium (recyclables) à la gravure au laser. Deux plaques (recto et verso) pour chacune des quatre couleurs primaires : rouge, jaune, noir et bleu. L’encre s’y déposera par effet magnétique suivant le tracé du cuivre déposé par répulsion. 

Crise du papier

 L’opération de gravure s’effectue en quinze minutes. Les plaques sont ensuite trouées puis accrochées aux rotatives. C’est le calage. Les bobines de papier issues de forêts gérées suivant les critères du développement durable pèsent chacune 1 tonne. Vendues 600 euros il y a 6 mois, elles coûtent désormais 1 200 euros et viennent à manquer « C’est la crise du papier, il nous faut quatre mois d’attente après une commande là où trois semaines suffisaient. On stocke tout ce que l’on peut. Les éditeurs réduisent leur grammage de 90 à 70 pour s’en sortir financièrement ». Les bobines, 4 à 15 suivant le nombre de pages du magazine, sont installées en début de cette chaîne de production.

Et le fleuve hypnotique se met à gronder. La gâche, qui représente environ 7 % incompressibles de la production, sert de brouillons mais ces imprimés seront revendus et recyclés. Le papier roule sur les cylindres où les plaques de cuivres ont été placées, au-dessus des bacs de couleurs. On se croirait dans Les Temps modernes de Chaplin : rien ne semble pouvoir arrêter l’implacabilité du système industriel savamment rodé et totalement mécanisé.

Le papier se mouille et s’imprime à la vitesse de l’éclair. Il roule ensuite sur de longs mètres de cylindres pour être aéré et séché à 120 degrés. Il perd alors un centimètre de surface. Les feuilles sont ensuite étirées et pliées, puis taquées pour être bien alignées avant d’être massicotées. Place ensuite à la finition avec le façonnage qui va permettre l’assemblage des cahiers, leur piqûre ou couture.

Chaque machine n’est plus surveillée que par un seul homme. Ce sont 67 personnes dont 65 sur place qui sont autant de maillons nécessaires à la bonne impression. Soit neuf embauches depuis la reprise de l’usine pour un chiffre d’affaires de 17 millions d'euros par an, dont 7 millions pour l’achat de papier vendu à prix coûtant aux éditeurs.

«Être propre et écolo»

Les magazines dos carrés collés sont produits à 15 000 exemplaires par l’heure. Une colle sourcée. Léonce-Antoine Deprez croit à la RSE « c’est la R&D de l’imprimerie. Plus on va essayer d’être propre et écolo en consommant moins d’encre, de papier et d’énergie et plus on va être économique. Avec la hausse du prix de l’énergie, notre surcoût sera de 350 000 euros cette année ».

L’imprimeur questionne aussi la responsabilité des diffuseurs, dont les mises en place sont encore de 25 à 30 % supérieures aux chiffres de diffusion, sans réajustement possible d’un kiosque à l’autre. Dernière étape, le service de routage avec une mise sous film, opaque ou transparent, impression des adresses sur chaque exemplaire et dépôt jusqu’au centre de tri postal ou via une ou deux livraisons par camion quotidien au dépôt des MLP à Villablé. Avant qu’ils n’aillent jusqu’aux 20 700 points de vente français…

Une tradition familiale

L’usine a été bâtie en 2006 par le père de Léonce-Antoine Deprez. Mais elle s’inscrit dans une tradition familiale plus ancienne. Il y a un siècle, Célestin Basin, imprimeur béthunois, crée le journal L’Avenir d’Auchel. Sa fille Éliane reprend l’activité avec son mari Léonce Deprez, député-maire centriste du Touquet-Paris-Plage, qui a marié Brigitte et Emmanuel Macron en 2007. Le couple Deprez publie et imprime Les Echos du Touquet et L’Avenir de l’Artois. Leur fils reprend l’activité d’imprimerie dans les années 1990 jusqu’à ce que son propre fils ne relève le défi de reprendre l’entreprise placée en liquidation judiciaire fin 2020. Ce dernier s’impatiente de faire construire une extension de 2 000 m2 pour stocker ses 1 400 tomes de papier déposés dans un hangar à 500 mètres. Il pourra ainsi disposer in situ de la chaîne de production, des bobines au routage.

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