Longtemps chantre de la presse populaire, Prisma Media a investi le luxe à l’initiative de Claire Léost, sa présidente. Elle nous détaille ses projets pour 2025 : s’engager sur le segment masculin haut de gamme avec The Good Life totalement refondu et le lancement de Harper’s Bazaar Homme.

En 1978, Axel Ganz a lancé Prisma Presse en visant un public large avec des titres à bas prix. En 2023, vous avez créé la verticale du luxe en lançant Harper’s Bazaar avant de racheter les groupes Milk, à 50 %, Côté Maison et Ideat en 2024. Serait-ce un changement de paradigme ?

CLAIRE LÉOST. Il s‘agit plutôt d’un complément. En prenant mes fonctions, il y a trois ans, j’ai été frappée par la puissance des positions du groupe sur le print avec un magazine sur trois vendus en France, via la presse télé, avec Télé Loisirs, Télé Z ou Télé 2 Semaines [auquel s’ajoute depuis le 2 décembre Programmes Télé 15 Jours, un quinzomadaire à 1,50 euro pour les plus de 50 ans], la presse féminine avec Femme Actuelle et people avec Voici. Tous les territoires grand public étaient couverts du voyage avec Geo à l’économie avec Capital… sauf le luxe, qui résiste bien en publicité et en diffusion. C’était un pari car Prisma y avait connu des échecs avec Jasmin et Femme.

Lancé en mars 2023, le mensuel Harper’s Bazaar a vite trouvé sa place…

C’est un grand succès. Avec 57 800 exemplaires en DFP et 38 530 abonnés dont 32 000 en numérique, il est rentable dès la deuxième année d’exercice avec 7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est la première marque print de la régie devant Femme Actuelle, avec ses numéros mode à plus de 100 pages de publicité. Les annonceurs mode et beauté ont investi pour faire de la place à ce nouvel entrant, ce qui a créé de la valeur. À fin novembre 2024, le titre affiche 31 % de part de marché, derrière Vogue et ses 43 % de part de marché. C’est également la marque avec notre plus gros chiffre d’affaires sur les réseaux sociaux grâce au brand content avec des marques comme Chanel. Reste à investir davantage le digital.

Vous venez de lancer le trimestriel Harper’s Bazaar Intérieurs alors que vous avez déjà les titres des groupes Ideat, Milk et Côté Maison. Vous ne craignez pas la cannibalisation ?

Non. Dans ce secteur, avec des marques institutionnelles, nous avons rapidement construit ce pôle déco très puissant en y adjoignant Harper’s Bazaar Intérieurs, fort de personnalités de la mode qui nous dévoilent leurs intérieurs. Le titre a été tiré à 50 000 exemplaires et a reçu un très bon accueil des annonceurs italiens, très influents.

Le luxe serait-il la planche de salut de la presse écrite ?

Les annonceurs du luxe ont besoin d’écrins papier pour montrer leurs créations. Pour ces marques, le digital ne suffit pas. Et les lecteurs veulent sortir de la fatigue des écrans et se réfugier dans de beaux objets de détente. Il y a donc une niche print du luxe, loin du tumulte digital et des réseaux.

Que représente ce segment pour votre groupe ?

Le pôle luxe représente 75 salariés et un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros. L’objectif est d’arriver à 30 millions d’euros d’ici à fin 2026, soit quasiment 10 % du chiffre d’affaires de Prisma, qui était de 309 millions d’euros en 2023. Nous voulons investir le territoire du luxe masculin. Peut-être ne serions-nous pas allés si vite si nous n’avions pas été contraints de céder Gala, qui représentait 10 % de notre chiffre d’affaires, au groupe Le Figaro…

Quid du projet Harper’s Bazaar Homme prévu pour mars 2025 ?

Ce semestriel de 200 pages paraîtra finalement au second semestre. Il mettra à l’honneur les créations des marques de mode françaises et étrangères avec des séries photo et des sujets sur la beauté, qui devient moins taboue. Alors que les tendances et les tribus sont en pleine explosion dans le secteur de la mode masculine, il n’y a finalement pas vraiment de magazine dédié. Comme dans les autres titres Harper’s Bazaar, la culture sera très présente. Il est important que les lecteurs sentent une colonne vertébrale commune dans toutes les déclinaisons.

Pourquoi décaler ce projet ?

Parce que nous allons totalement repenser l’identité de The Good Life. Il sortira le 20 mars 2025. Le rédacteur en chef demeure Paul Miquel, épaulé par Anne Boulay, qui avait dirigé le GQ français puis imaginé et lancé Vanity Fair. Elle devient conseillère de la rédaction. La direction artistique est assurée par Yorgo Tloupas, un professionnel très reconnu [il a travaillé pour Condé Nast ou Beaux Arts et pour Hermès, Loro Piana, Vuitton ou Cartier].

À quoi ressemblera ce nouveau The Good Life ?

Le contenu du journal sera beaucoup plus lisible avec trois sections. D’abord le beau, pour se laisser tenter, avec des sélections shopping et des chroniques de marques. Ensuite le bien, pour s’évader avec un city-guide, des reportages et des bons plans. Et enfin le bon, pour s’inspirer avec des interviews hors promo, des séries mode et des récits de vie, pour un regard unique sur ceux qui incarnent la singularité et l’audace. Visuellement, place à de grandes photos et une maquette aérée. C’est le magazine des hommes hédonistes avec une signature joueuse « La belle vie en (encore) mieux ». Le prix demeurera à 8,50 euros comme la pagination autour de 250 pages. Il y aura quatre numéros par an et deux hors-séries, un sur l’horlogerie en février et un sur le style à l’automne. The Good Life sera un compagnon de voyage alors que Harper’s Bazaar Homme sera un objet de rêve.

D’Olivier Lalanne, qui dirige le Harper’s Bazaar à Anne Boulay, pourquoi tant de journalistes venus de Condé Nast ?

Ce groupe a changé de stratégie en privilégiant la mutualisation de contenus dans les magazines de tous les pays. Cela nous permet de recruter des talents disponibles sur le marché.

Côté RH, quid de votre rupture conventionnelle collective (RCC) ouverte à 61 postes cet été ?

Elle a été mise en place suite au départ de Gala, surtout pour des fonctions supports. Nous avons eu 27 départs volontaires dans de bonnes conditions financières. Cela correspond aux 30 % de taux de transformation moyen d’un plan de RCC dans notre secteur.

Dernière marque haut de gamme, la Harvard Business Review accentue sa diversification dans l’édition. Avec quels résultats ?

Ses guides et cahiers sont réalisés par nos éditions Prisma et très bien placés dans les Relay. Avec des prix de vente élevés, cette activité très rentable touche un lectorat masculin et urbain, CSP+, qui voyage beaucoup. Notre dernière étude montre que la marque se féminise avec 40 % de lectrices. 80 % du contenu provient de la traduction du magazine américain. Le chiffre d’affaires est de 3 millions d‘euros par an et le titre est rattaché au pôle économique.

Justement, quid de la nouvelle formule de Capital lancée fin avril…

Le site payant a 5 000 abonnés et a eu 10,6 millions de visiteurs en octobre, ce qui en fait le premier site économique devant Les Échos, le Figaro Eco ou Challenges. Le journal affiche une diffusion stable à 84 000 exemplaires en DFP, ce qui devient rare dans la presse.

Vous venez de lancer Prisma Media Ad Manager, une plateforme d’achat publicitaire en libre-service pour le digital. Qu’en attendez-vous ?

C’est une première dans un groupe de presse magazine. On s’est rendu compte que Google et Meta réalisaient la majorité de leur chiffre d’affaires non pas avec de gros, mais avec de petits et moyens annonceurs et nous n’avions pas d’offres pour eux. Ils peuvent se plugger directement et mettre leurs campagnes en ligne dans notre contexte brain safety.

Que va changer la scission de Vivendi, qui sera présentée le 9 décembre et donnerait lieu à la création de Louis Hachette Group avec Prisma Media, Hachette Livre, les boutiques Relay et Lagardère SA ?

C’est un peu tôt pour le dire. Le siège de Louis Hachette Group sera désormais chez Lagardère, rue de Presbourg, et le président directeur général sera Jean-Christophe Thiery [directeur général délégué du groupe Hachette Livre]. Mais nos locaux resteront à Gennevilliers où nous avons cinq studios vidéos, essentiels pour nos activités car le digital passe désormais par la vidéo. Ce rapprochement a du sens, parce que culturellement, nous sommes assez proches. En termes de fonctionnement, nous serons peut-être plus agiles pour nos acquisitions, même si Vivendi l’a été ces trois dernières années.

À quelles prochaines acquisitions songez-vous ?

Nous envisageons plusieurs opportunités. D’une part, de déployer nos marques de luxe à l’international en vendant des licences, The Good Life notamment. Car le luxe est le segment le plus facilement déclinable hors de nos frontières. D’autre part, de racheter une marque ou un groupe de marques et d’adapter leurs titres en France, avec des journalistes locaux. Enfin, de proposer notre force de frappe digitale et programmatique à des sites de médias en Europe, qui seraient moins avancés techniquement.

Ce rapprochement avec Hachette peut-il vous ouvrir des perspectives de lancements ?

Nous allons bénéficier de la puissance de Hachette, dont les secteurs développement personnel, cuisine, jeunesse et new romance sont en forte croissance. Autant de domaines porteurs sur lesquels on se penche. Nous réfléchissons au coloriage pour adulte. Côté jeunesse, après le lancement réussi du magazine Mortelle Adèle adapté de la BD, nous aurons un autre lancement en 2025. Quant à la cuisine, nous venons de lancer le nouveau Cuisine AZ, déjà vendus à 50 000 exemplaires, tandis que Dr Good, c’est bon affiche 100 000 ventes. Le livre est un bon baromètre des tendances du marché et peut effectivement nous inspirer pour des lancements.