Tribune

Le 6 mai dernier, les Français.es attendaient l’annonce de la nomination du Premier ministre et de son gouvernement. En lieu et place, c’est Renaissance, le nouveau nom du parti La République en marche, qui était rendu public. Un choix qui en dit long.

Juger un nom a posteriori de sa création, rien de plus simple ? On aime ou on n’aime pas, comme on le ferait après avoir entendu le prénom du fils des voisins ou à l’annonce du nouveau nom de Total, Total Energies. En tant qu’experte en création de noms et de langages de marque, et donc partisane des mots justes, impossible pour moi de céder aux sirènes de cette facilité-là, hors de tout jugement politique. La valeur d’un naming s’évalue à l’aune de deux critères : la capacité du nom à répondre à un brief stratégique mais aussi à l’acuité de sa réception par ses cibles. Dans le cadre bien spécifique d’un « re-nom », un troisième critère s’ajoute : l’aptitude du nouveau naming à ménager une forme de continuité avec le premier, tout en le dépassant.

À bon brief, bon naming

Quel a été le cahier des charges que l’équipe présidentielle s’est donné ? En se livrant à un exercice politique de fiction créative, on imagine bien aisément : un nom simple, connu de tous, court, plutôt existant, un concept irréductible à quelques lettres absconses, pas d’acronyme imprononçable au déroulé complexe, tel le récent NUPES (La Nouvelle Union populaire écologique et sociale) dont tout le monde bute sur le sens comme sur la prononciation. Un nom français, au pays de Molière et de la loi Toubon, pas d’anglais for sure. La compréhension internationale a dû être un point de vigilance : être Européen.ne.s sans fausse note linguistique. Le nom de domaine n’a pas dû être une contrainte de taille. Les .com et .fr sont tous pris, prouvant par là même que le concept de renaissance est populaire, et ce, dans tous les domaines.

Voilà pour la forme, mais quid du message? La République en marche doit exhaler la fraicheur d’une espérance renouvelée, se réinventer pour le second quinquennat de son chef de file, Emmanuel Macron. En ce sens, Renaissance coche de nombreuses cases intrinsèques mais aussi par rapport à la concurrence. Là où Eric Zemmour convoquait l’imaginaire de la Reconquista ibérique, le parti présidentiel capitalise sur le mouvement de rénovation culturelle et artistique des XVe et XVIe siècles, dixit Larousse, sur la référence à un passé tellement lointain qu’il en est donc mythique et idéalisé. Ou encore sur une ren-essence ontologique pour remettre du « fuel » idéologique dans le parti ou bien revenir à l’essentiel, à la racine de ses idées.

Le préfixe « re- » est magique tant il est polysémique : tantôt réitération, tantôt renforcement pour signifier ici une naissance augmentée, ou encore la marque d’un retour à un état antérieur. Il brouille pour affirmer paradoxalement une projection dans le futur, misant sur l’anachronisme pour parler de demain. Di Lampedusa, alias le Prince de Salina, sublime Burt Lancaster affirmant au milieu des tourments révolutionnaires : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »

Compréhension et dépassement

Il s’avère difficile de se mettre dans la tête des 47,9 millions de Français.es inscrit.e.s sur les listes électorales pour juger de la réception de ce nouveau nom. Rappelons que le coup de cœur général – de surcroît national – n’existe pas. Le ré-emploi d’un concept historique supposé connu de tous apporte du flou, à un moment où valsent les renamings et les repères des électeurs. En Marche, dont les initiales renvoyaient clairement à Emmanuel Macron, avait déjà été renommé La République en marche suite à sa première élection comme président de la République. Avec ce nouveau nom, l’empreinte du président s’efface encore plus pour préfigurer la naissance d’un mouvement politique à part entière. Et si les marques étaient des individus, les anagrammes seraient leur inconscient. Pour Renaissance, ce sont les mots « encasernerais » ou « enracinasse » qui affleurent. Un message subliminal ?

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